VictorHugo dit NON Ă  la peine de mort, Murielle Szac et SĂ©bastien Vassant. J’ai vraiment apprĂ©ciĂ© cette lecture. Elle permet de mettre des images sur un combat et sur une cause, ce qui n’est pas simple, d’autant plus quand on est en 4Ăšme. J’ai particuliĂšrement apprĂ©ciĂ© de dialogue perpĂ©tuel entre Victor Hugo et la guillotine. C’est d’ailleurs un point qui
Dans Ce que c'est que la mort » Les Contemplations, Victor Hugo dĂ©crit le caractĂšre mortel de la vie ou la finitude de l'existence., Ă©trange dĂ©faite »MalgrĂ© son ignorance de la mort, cette grande inconnue, il exprime sa foi dans la l'amour et la lumiĂšre. Fondre et vivre », une mĂ©taphore de la renaissance. Ne dites pas mourir ; dites naĂźtre. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ; On tĂąche d’oublier le bas, la fin, l’écueil, La sombre Ă©galitĂ© du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ; Car tous les hommes sont les fils du mĂȘme pĂšre ; Ils sont la mĂȘme larme et sortent du mĂȘme Ɠil. On vit, usant ses jours Ă  se remplir d’orgueil ; On marche, on court, on rĂȘve, on souffre, on penche, on tombe, On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe. OĂč suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu, Impur, hideux, nouĂ© des mille nƓuds funĂšbres De ses torts, de ses maux honteux, de ses tĂ©nĂšbres ; Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est bĂ©ni, Sans voir la main d’oĂč tombe Ă  notre Ăąme mĂ©chante L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant, Tout notre ĂȘtre frĂ©mit de la dĂ©faite Ă©trange Du monstre qui devient dans la lumiĂšre un ange. Au dolmen de la tour Blanche, jour des Morts, novembre 1854.
TexteDiscours sur la mort et le deuil de Victor Hugo Le prodige de ce grand dĂ©part cĂ©leste qu’on appelle la mort, c’est que ceux qui partent ne s’éloignent point. Ils sont dans un monde de clartĂ©, mais ils assistent, tĂ©moins attendris, Ă  notre Victor Hugo, un gĂ©ant au cƓur romantique 003806 Au milieu du XIXe siĂšcle, Victor Hugo est au sommet de sa gloire. Il est loin d’imaginer que les vents mauvais de la tragĂ©die, qui frappent ses personnages fictifs, vont heurter son propre entourage et le blesser dans sa chair. À commencer par sa fille ainĂ©e, sa fille adorĂ©e, LĂ©opoldine. Il l’aime tellement qu’il ne peut se rĂ©soudre Ă  la laisser quitter le nid familial au bras d’un autre homme que lui-mĂȘme. LĂ©opoldine est amoureuse d’un jeune homme Charles Vacquerie, fils d'un armateur du Havre. Elle n’a que quatorze ans. "Ma fille est bien trop jeune et ce Vacquerie bien falot", tranche Hugo. Alors LĂ©opoldine patiente et aprĂšs trois ans d’idylle secrĂšte, Victor Hugo, papa poule, ultra possessif et fusionnel, finit par cĂ©der, de mauvaise grĂące. D'ailleurs, il fait tout pour retarder les noces, au point de prĂ©texter une paralysie de la main pour ne pas signer le registre de mariage ! Chose amusante dans Les MisĂ©rables, Jean Valjean feint d’avoir le pouce blessĂ© pour ne pas signer l’acte de mariage entre Marius et Cosette ! LĂ©opoldine et Charles peuvent donc convoler en justes noces. Mais seulement sept mois plus tard, la tragĂ©die frappe. La mort de deux amants À Villequier en Normandie, LĂ©opoldine et son mari montent Ă  bord d’un canot pour une petite virĂ©e sur la Seine. Soudain un tourbillon de vent s'Ă©lĂšve, s’abat sur la voile et fait brusquement chavirer le canot. LĂ©opoldine ne sait pas nager, Charles, lui, est excellent nageur. Il tente tout pour sauver sa femme, qui sous l'eau, se cramponne dĂ©sespĂ©rĂ©ment au canot renversĂ©. Charles plonge et replonge, en vain. Alors, dans un Ă©lan de dĂ©sespoir, il plonge une derniĂšre fois pour rejoindre son Ă©pouse et ne plus la quitter. Les deux jeunes mariĂ©s pĂ©rissent noyĂ©s, ensemble. LĂ©opoldine n'avait que dix-neuf ans. Victor Hugo apprend la terrible nouvelle par la presse, de retour de voyage. Il est anĂ©anti. Sa LĂ©opoldine chĂ©rie n’est plus. Lorsqu’il arrive Ă  Villequier, les deux amants, sont dĂ©jĂ  enterrĂ©s, ensemble dans la mĂȘme sĂ©pulture. La mort de sa fille inspirera Ă  Victor Hugo son plus cĂ©lĂšbre poĂšme, Demain dĂšs l’aube, paru dans le recueil, les Contemplations. Allez, je ne rĂ©siste pas Ă  l’envie de vous le lire le premier quatrain "Demain, dĂšs l'aube, Ă  l'heure oĂč blanchit la campagne,Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m' par la forĂȘt, j'irai par la ne puis demeurer loin de toi plus longtemps". Un pĂšre qui vit dans le culte de sa dĂ©funte filleLa mort de LĂ©opoldine touche tout le clan Hugo, en particulier sa jeune sƓur AdĂšle ĂągĂ©e de 13 ans. Elle, qui a reçu moins d’attention que l’ainĂ©e, pense pouvoir la substituer dans le cƓur de son pĂšre. Mais LĂ©opoldine reste irremplaçable, et son pĂšre inconsolable. La famille vit dans le culte de la dĂ©funte, vĂ©nĂ©rant comme des saintes reliques ses effets personnels et ses robes. Elle hante le cƓur de son pĂšre et continue de faire de l’ombre Ă  sa jeune sƓur. AdĂšle manifeste alors les premiers signes de graves troubles psychiques. En proie Ă  des dĂ©lires de plus en plus frĂ©quents, sa santĂ© mentale se dĂ©grade. Elle est placĂ©e dans en hĂŽpital psychiatrique, oĂč elle finira ses jours. C’est Ă  croire que tous les ĂȘtres chers au grand homme sont condamnĂ©s Ă  souffrir. Les annĂ©es qui suivent la mort de LĂ©opoldine, Hugo n’écrit plus rien, ou presque. Ni théùtre, ni roman, ni poĂšme. L’encre a sĂ©chĂ©, mais pas les larmes. L’actualitĂ© par la rĂ©daction de RTL dans votre boĂźte mail. GrĂące Ă  votre compte RTL abonnez-vous Ă  la newsletter RTL info pour suivre toute l'actualitĂ© au quotidien S’abonner Ă  la Newsletter RTL Info VictorHugo ; Les contemplations, Ce que dit la bouche d'ombre (1855) On meurt minĂ© aussi bien que foudroyĂ©. Victor Hugo ; Les misĂ©rables (1862) L'odieux de l'hypocrisie commence obscurĂ©ment dans l'hypocrite. Victor Hugo ; Les travailleurs de la mer (1866) La mort doit avoir un voile, la tombe doit avoir une pudeur. Victor Hugo ; L'homme qui rit (1869) Personne ne Nombre de vues 463 Ce que c’est que la mort Ne dites pas mourir ; dites naĂźtre. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ; On tĂąche d’oublier le bas, la fin, l’écueil, La sombre Ă©galitĂ© du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ; Car tous les hommes sont les fils du mĂȘme pĂšre ; Ils sont la mĂȘme larme et sortent du mĂȘme oeil. On vit, usant ses jours Ă  se remplir d’orgueil ; On marche, on court, on rĂȘve, on souffre, on penche, on tombe, On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe. OĂč suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu, Impur, hideux, nouĂ© des mille noeuds funĂšbres De ses torts, de ses maux honteux, de ses tĂ©nĂšbres ; Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est bĂ©ni, Sans voir la main d’oĂč tombe Ă  notre Ăąme mĂ©chante L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant, Tout notre ĂȘtre frĂ©mit de la dĂ©faite Ă©trange Du monstre qui devient dans la lumiĂšre un ange. Victor HUGO 1802-1885 Quec'est la seule joie ici-bas qui persiste De tout ce qu'on rĂȘva, ConsidĂ©rez que c'est une chose bien triste De le voir qui s'en va ! — Victor Hugo, Les contemplations. Du mĂȘme auteur. Les PoĂšmes de Victor Hugo de A Ă  Z. Lettrines photographiĂ©es sur des ailes de papillons par Kjell Sandved. À Alexandre D. À Alphonse Rabbe; À AndrĂ© ChĂ©nier; À Aug. V. À Canaris; À
RĂ©sumĂ© Le dernier jour d’un condamnĂ© raconte l’histoire des derniers moments de vie d’un prisonnier. C’est sous la forme d’un monologue interne que le condamnĂ© relate ses impressions et ses Ă©motions depuis son arrivĂ©e en prison jusqu’au moment de son est la seule occupation qu’il peut exercer dans sa cellule. Sans jamais mentionner son identitĂ© ou bien son crime, le condamnĂ© fait part de ses peurs mais aussi de ses espoirs. L’objet de ces derniĂšres pensĂ©es se dirigent vers sa fille, sa femme et sa mĂšre . Analyse / explication du livre Victor Hugo livre un plaidoyer politique pour l’abolition de la peine de de mort Ă  travers le rĂ©cit du dernier jour d’un homme dont on ne connaĂźt rien de son passĂ© ou de son identitĂ©. Cette absence de renseignement concernant l’individu en question est expliquĂ©e par Victor Hugo par le fait que le lecteur aurait pu manquer d’objectivitĂ© en dĂ©crĂ©tant que cet individu lĂ  en particulier ne mĂ©ritait pas de mourir. Il ne voulait pas qu’on s’attache Ă  un personnage en particulier. Victor Hugo souhaitait montrer qu’aucun des individus, quels que soient leurs crimes ou leurs pĂ©chĂ©s, ne mĂ©ritent d’ĂȘtre exĂ©cutĂ©s. C’est dans le but de rendre ce plaidoyer universel et applicable Ă  chaque situation et individu que l’anonymat du personnage principal est gardĂ© secret. Dans la prĂ©face de 1832, Victor Hugo insiste tout particuliĂšrement sur la portĂ©e sociale de son Ɠuvre. Citations Le dernier jour d’un condamnĂ© “Les mots manquent aux Ă©motions.”“Qu’est-ce que la douleur physique prĂšs de la douleur morale !”“Les hommes, je me rappelle l’avoir lu dans je ne sais quel livre oĂč il n’y avait que cela de bon, les hommes sont tous condamnĂ©s Ă  mort avec des sursis indĂ©finis.”“Il faut convenir que les moeurs vont se dĂ©pravant de jour en jour 
” Quelques mots sur l’auteur Victor Hugo 1802 – 1885 est un Ă©crivain, poĂšte, dramaturge et homme politique français. Il montre dĂšs son plus jeune Ăąge un vif intĂ©rĂȘt pour la littĂ©rature. Hugo prend ses racines dans le romantisme dont il devient une figure de rĂ©fĂ©rence. En 1827 il brise les rĂšgles et les conventions classiques d’unitĂ© de temps et de lieu avec la prĂ©face de Cromwell. C’est suite Ă  la mort de sa fille LĂ©opoldine qui le touche profondĂ©ment que Victor Hugo se lance dans une carriĂšre politique et participe Ă  la rĂ©sistance contre NapolĂ©on III en meurt en 1885 Ă  la suite d’une congestion pulmonaire. Il est emmenĂ© au PanthĂ©on comme hommage national. Autres oeuvres de l’auteur Les Orientales 1829 Les misĂ©rables 1862 Notre dame de Paris 1831 Oeuvres similaires → Dans ces deux oeuvres Victor Hugo utilise sa voix pour dĂ©fendre des causes et des sujets qui lui tiennent Ă  coeur, de la mĂȘme maniĂšre que dans Le dernier jour d’un condamnĂ©. La prĂ©face des Orientales 1829 Les misĂ©rables 1862
1erjuin 1885 : Les funérailles de Victor Hugo et les obsÚques de la gauche. Par Julien Leclercq. Publié le 31/05/2018 à 18:21. Le 1er
Les grandsclassiques PoĂ©sie Française 1 er site français de poĂ©sie Les Grands classiques Tous les auteurs Victor HUGO Ce que c'est que la mort Ce que c'est que la mort Ne dites pas mourir ; dites naĂźtre. voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l'homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ;On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ;On tĂąche d'oublier le bas, la fin, l'Ă©cueil,La sombre Ă©galitĂ© du mal et du cercueil ;Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ;Car tous les hommes sont les fils du mĂȘme pĂšre ;Ils sont la mĂȘme larme et sortent du mĂȘme vit, usant ses jours Ă  se remplir d'orgueil ;On marche, on court, on rĂȘve, on souffre, on penche, on tombe,On monte. Quelle est donc cette aube ? C'est la suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnuVous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,Impur, hideux, nouĂ© des mille noeuds funĂšbresDe ses torts, de ses maux honteux, de ses tĂ©nĂšbres ; Et soudain on entend quelqu'un dans l'infini Qui chante, et par quelqu'un on sent qu'on est bĂ©ni, Sans voir la main d'oĂč tombe Ă  notre Ăąme mĂ©chante L'amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d'extase et d'azur s'emplissant, Tout notre ĂȘtre frĂ©mit de la dĂ©faite Ă©trange Du monstre qui devient dans la lumiĂšre un ange. Cest grĂące Ă  Victor Hugo notamment, ainsi qu'avec l'aide d'autres personnes que BarbĂšs passe de « condamnĂ© Ă  mort » Ă  « condamnĂ© Ă  la prison Ă  vie » rapidement. AprĂšs la RĂ©volution de 1848, il retrouve finalement sa libertĂ© et reprend ses activitĂ©s politiques. Anecdotiquement, il termine sa vie en exil volontaire. Tu n’es plus lĂ  oĂč tu Ă©tais, mais tu es partout lĂ  oĂč je suis. » Les recherches qui ont menĂ© Ă  cet article tu nes plus lĂ  oĂč tu Ă©tais mais tu es partout lĂ  oĂč je suis, tu n\es plus lĂ  oĂč tu Ă©tais mais tu es partout lĂ  oĂč je suis, tu nes plus la ou tu etais, citation pour dĂ©cĂšs, yhs-ddc_bd, citations de deuil, tu n es plus la ou tu etais victor hugo, Tu nes plus lĂ  oĂč tu Ă©tais mais tu es partout ou je suis, tu n\es plus la ou tu etais, tu nes plus la ou tu Ă©tais victor hugo, paroles de victor hugo sur le deuil, tu n es plus la ou tu Ă©tais poĂšme, tu nes la pas ou tu es, victor hugo tu es partout ou je suis ».
LeDernier Jour d’un condamnĂ© est un roman de Victor Hugo paru en 1829, qui constitue un Il prĂ©cise ses motivations : le livre est bien un plaidoyer contre la peine de mort. Pour que ce plaidoyer soit efficace, qu'il ait valeur de gĂ©nĂ©ralitĂ©, il fallait que le hĂ©ros soit le plus quelconque possible, exĂ©cutĂ© un jour quelconque, pour un crime quelconque. Il prĂ©sente des
Victor Hugo, "Pour Dieu, contre ses prĂȘtres"Je donne cinquante mille francs aux pauvres, je dĂ©sire ĂȘtre portĂ© au cimetiĂšre dans leur corbillard, je refuse l'oraison de toutes les Eglises, je demande une priĂšre Ă  toutes les Ăąmes, je crois en Dieu." Telles sont les cĂ©lĂšbres ultimes volontĂ©s de Victor Hugo et les derniĂšres lignes Ă©crites de sa main, trois jours avant sa mort, le 22 mai 1885. Le dĂ©part fait entre Dieu et ses prĂȘtres semble donc clair. Au premier, plus que le respect, la croyance ; aux autres, plus que le rejet, la dĂ©testation. Cette allergie Ă  l'oraison, oĂč plutĂŽt cette interrogation sur la lĂ©gitimitĂ© de l'intercession entre Dieu et les hommes, Victor Hugo l'avait, bien avant ses derniers instants, maintes fois formulĂ©e. On songe Ă  ce passage de La lĂ©gende des siĂšcles 1877 "Je dois faire appeler cet homme Offre limitĂ©e. 2 mois pour 1€ sans engagement sur ma fosse ? [...] Est-ce que sa voix porte au-delĂ  de la terre ? Est-ce qu'il a le droit de parler au mystĂšre ? Est-ce qu'il est ton prĂȘtre ? Est-ce qu'il sait ton nom ? Je vois Dieu dans les cieux faire signe que non." On ne saurait toutefois en conclure que Victor Hugo exĂšcre sans nuance l'ensemble des hommes d'Eglise et a fortiori qu'il Ă©carte toute conversation avec Dieu, c'est-Ă -dire toute priĂšre. Si la figure de l'archidiacre Claude Frollo, dans Notre-Dame de Paris, tourmentĂ© par le sexe, n'est pas particuliĂšrement flatteuse pour le clergĂ©, la reprĂ©sentation de l'Ă©vĂȘque de Digne, Monseigneur Bienvenu, offrant l'hospitalitĂ© Ă  Jean Valjean, le rĂ©prouvĂ©, est, elle, trĂšs bienveillante. Si bienveillante d'ailleurs, que George Sand en Ă©tait navrĂ©e et que Michelet ne dĂ©colĂ©ra pas "Il y a eu, cette annĂ©e, deux choses qui m'ont fait bien mal", Ă©crit-il Ă  la sortie des MisĂ©rables, "D'abord, la mort de mon fils ; et puis le roman d'Hugo ! Comment ! Il a fait un Ă©vĂȘque estimable et un couvent intĂ©ressant ! Il faut ĂȘtre comme Voltaire un ennemi de vos idĂ©es, de vos principes, il faut le peindre toujours comme un gueux, comme un coquin, comme un pĂ©dĂ©raste." On le voit, nos deux monstres sacrĂ©s du siĂšcle du ProgrĂšs avaient le sens de la nuance ! Sur la priĂšre, maintenant. Jean-Marc Hovasse fait cette remarque que si "il y a des catholiques qui ne pratiquent pas, Hugo Ă©tait plutĂŽt, sur cette question si importante de la priĂšre, un pratiquant qui n'Ă©tait pas catholique". Dans La priĂšre pour tous, la piĂšce la plus longue des Feuilles d'automne, Victor Hugo se charge de tous les pĂ©chĂ©s du monde et seul l'enfant vierge et pur a quelque chance de nous racheter. C'est d'ailleurs pourquoi le dogme de l'ImmaculĂ©e Conception, proclamĂ© en 1854, remplira le poĂšte d'une sainte fureur anticlĂ©ricale. "En prĂ©supposant que tous les enfants portent en eux le pĂ©chĂ© originel", remarque encore Jean-Marc Hovasse, le dogme "anĂ©antit du mĂȘme coup le premier fondement de la religion" de Victor Hugo. On a compris que si le titan des lettres entretenait avec Dieu une intime complicitĂ© - celle que deux dĂ©miurges peuvent nourrir -, que si, en moraliste, il entendait bien "parler Ă  JĂ©sus comme Ă  Socrate", que si, mĂȘme, il avait Ă  coeur de respecter les hommes de foi, sa dĂ©testation fougueuse Ă©tait tout entiĂšre rĂ©servĂ©e au "parti prĂȘtre". Elle se dĂ©chaĂźna, notamment, dans la lutte contre la loi Falloux et, en cela, Victor Hugo a bien mĂ©ritĂ© sa place au panthĂ©on des saints laĂŻcs. Les plus lus OpinionsLa chronique de Pierre AssoulinePierre AssoulineEditoAnne RosencherChroniquePar GĂ©rald BronnerLa chronique d'AurĂ©lien SaussayPar AurĂ©lien Saussay, chercheur Ă  la London School of Economics, Ă©conomiste de l'environnement spĂ©cialiste des questions de transition Ă©nergĂ©tique

Celuiqui perd sa vie, un jour la trouvera. Entre les bras ouverts un matin au soleil. Ce que tu as souffert, en d’autres revivra. Celui qui perd sa vie, un jour la trouvera. Un sourire germĂ© sur les yeux de ton coeur. Que tu as partagĂ© aux mendiants du bonheur. Ce que tu

Ne dites pas mourir ; dites naĂźtre. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ; On tĂąche d’oublier le bas, la fin, l’écueil, La sombre Ă©galitĂ© du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospĂšre ; Car tous les hommes sont les fils du mĂȘme pĂšre ; Ils sont la mĂȘme larme et sortent du mĂȘme oeil. On vit, usant ses jours Ă  se remplir d’orgueil ; On marche, on court, on rĂȘve, on souffre, on penche, on tombe, On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe. OĂč suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu, Impur, hideux, nouĂ© des mille noeuds funĂšbres De ses torts, de ses maux honteux, de ses tĂ©nĂšbres ; Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est bĂ©ni, Sans voir la main d’oĂč tombe Ă  notre Ăąme mĂ©chante L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant, Tout notre ĂȘtre frĂ©mit de la dĂ©faite Ă©trange Du monstre qui devient dans la lumiĂšre un ange. Victor Hugo, Les contemplations

Cetarticle se propose d’examiner les propriĂ©tĂ©s de l’espoir telles qu’elles apparaissent dans le cĂ©lĂšbre poĂšme de Victor Hugo, « Ce que dit la bouche d’ombre ». Il tente d’une part d’analyser le fonctionnement et les particularitĂ©s de ce texte littĂ©raire, et d’autre part, d’éprouver la valeur heuristique de la sĂ©miotique des passions et de la sĂ©miotique tensive

Temps de lecture 24 minutes > Il est rare que l’Ɠuvre comme les engagements d’un auteur suscitent l’admiration c’est le cas de Victor HUGO 1806-1885. À la fois poĂšte, Ă©crivain, dramaturge, dessinateur et homme politique, il a fait rimer idĂ©aux esthĂ©tiques et sociaux. Ouvrir Les MisĂ©rables ou Les Contemplations, c’est comprendre le sens du mot gĂ©nie ». Savoir admirer est une haute puissance. Victor Hugo [ 31 juillet 2021] Si je vous dis Notre Dame de Paris, Les MisĂ©rables ou encore L’Homme qui rit, vous me rĂ©pondez sans aucune hĂ©sitation Victor Hugo ! Parmi les nombreuses histoires qui accompagnent l’un des Ă©crivains les plus cĂ©lĂšbres de la littĂ©rature française, saviez-vous seulement que la Belgique Ă©tait devenue sa terre d’asile pendant plus de 500 jours ? Pour vous y retrouver, cliquez ici... DerriĂšre l’auteur, le politique engagĂ©Belgique, terre d’accueilIntroductionL’auteurLe texteDu gĂ©nieLe goĂ»tUtilitĂ© du Beau DerriĂšre l’auteur, le politique engagĂ© Celui qui est considĂ©rĂ© comme le pĂšre du romantisme français met sa plume au service de son engagement politique. Plusieurs sources situent ses dĂ©buts en politique aprĂšs le dĂ©cĂšs tragique de sa fille, LĂ©opoldine, en 1843. Quel qu’en ait Ă©tĂ© l’élĂ©ment dĂ©clencheur, Victor Hugo est nommĂ© “Pair de France” par le roi Louis-Philippe en 1845 et rejoint le camp des RĂ©publicains. Membre de l’AcadĂ©mie française depuis 1841, le poĂšte se dresse contre la peine de mort et l’injustice sociale, Ă  la Chambre, et est Ă©lu maire du 8e arrondissement de Paris et dĂ©putĂ© en 1848. Sous la IIe RĂ©publique, Hugo juge les lois trop rĂ©actionnaires, et dĂ©nonce la rĂ©duction du droit de vote et de la libertĂ© de la presse. Il s’insurge Ă©galement face Ă  la terrible rĂ©pression menĂ©e par l’armĂ©e suite aux 4 journĂ©es d’insurrection ouvriĂšre Ă  Paris, en juin 1848. Initialement alliĂ© au rĂ©gime du roi, le romantique se dĂ©tache finalement de la droite, pour soutenir la candidature de Louis NapolĂ©on Bonaparte. Élu PrĂ©sident de la RĂ©publique le 10 dĂ©cembre 1848, mais politiquement isolĂ©, ce dernier Ă©choue Ă  s’attirer les bonnes grĂąces de l’AssemblĂ©e, majoritairement conservatrice. A ses yeux, le futur NapolĂ©on III reprĂ©sente le chef de la famille Bonaparte, l’hĂ©ritier de l’Empereur, son oncle, et son continuateur prĂ©somptif. Il y a lĂ  un problĂšme sa fonction prĂ©sidentielle est limitĂ©e Ă  un seul mandat de 4 ans. Impossible, donc, pour Louis-NapolĂ©on de rallonger sa prĂ©sidence pour la transformer en monarchie, Ă  moins d’imposer la rĂ©vision par la force. Belgique, terre d’accueil “Moi, je les aime fort ces bons Belges” © Pour contrer le coup d’Etat du 2 dĂ©cembre 1851, visant Ă  rĂ©tablir l’Empire, Victor Hugo signe un appel Ă  la rĂ©sistance armĂ©e – “charger son fusil et se tenir prĂȘt” peut-on lire dans le magazine Geo –, sans succĂšs. Pour Ă©viter le bannissement, le poĂšte dĂ©cide alors de fuir la France qu’il dit tyrannisĂ©e par “le petit“. Le 11 dĂ©cembre 1851 au soir, il monte Ă  bord d’un train en direction de Bruxelles depuis la gare du Nord. DissimulĂ© sous une fausse identitĂ©, Jacques-Firmin Lanvin, ouvrier imprimeur, Hugo arrive en Belgique par QuiĂ©vrain. Le plat pays ne lui est pas Ă©tranger, puisqu’il s’y Ă©tait rendu pour la premiĂšre fois en vacances aux cĂŽtĂ©s de Juliette Drouet, en 1837. Victor Hugo s’installe pour 7 mois sur la Grand-Place de Bruxelles, dans la Maison du Moulin Ă  vent puis la Maison du pigeon. Il gagne ensuite l’üle anglo-normande de Jersey pour les 10 prochaines annĂ©es. La cĂ©lĂ©britĂ© littĂ©raire française, dont la vĂ©ritable identitĂ© ne resta pas longtemps secrĂšte Ă  Bruxelles, ne semble pas pouvoir se sĂ©parer de notre pays si facilement. “En 1861, il est venu faire un voyage en Belgique. Il a rĂ©sidĂ© Ă  Bruxelles et Ă  Spa pendant quelques mois ; depuis lors il est venu passer chaque annĂ©e une partie de la belle saison dans le royaume, parcourant les champs de bataille ou les parties curieuses du pays. Il n’a jamais Ă©tĂ© mis obstacle Ă  son sĂ©jour.” [Source document du 30 mai 1871, extrait du dossier conservĂ© aux Archives gĂ©nĂ©rales du Royaume] C’est lors de son retour en 1862 qu’il peaufine Les MisĂ©rables. VĂ©ritable manifeste contre la pauvretĂ©, trop dĂ©licat pour lui de le publier en France. C’est ainsi qu’il se tourne vers Lacroix & Verboeckhoven, une maison d’édition bruxelloise situĂ©e rue des Colonies. En mars 1871, le romancier français regagne une nouvelle fois le sol belge et s’installe place des Barricades n°4 Ă  Bruxelles au moment de l’éclatement de la guerre civile en France. Chez nous, ses prises de position provoquent le dĂ©sarroi de quelques citoyens qui rĂ©clament alors son expulsion. Hugo quitte la Belgique et dĂ©barque au Grand-DuchĂ© du Luxembourg le 1er juin 1871. Il dĂ©cĂ©dera Ă  Paris le 22 mai 1885, ĂągĂ© de 83 ans. Romane Carmon, Le texte suivant est extrait d’un cahier central de prĂ©parĂ© par Victorine de Oliveira. Le numĂ©ro 137 de mars 2020 Ă©tait consacrĂ© Ă  notre besoin d’admirer “L’admiration, c’est ce qui vient briser notre rapport instrumental au monde. Quand nous la ressentons, nous oscillons entre Ă©mancipation et aliĂ©nation. Comment ne pas nous perdre en elle ?” En savoir plus sur Introduction Quand on s’appelle Victor Hugo et qu’on a dĂ©jĂ  une bonne partie de son Ɠuvre et de sa carriĂšre politique derriĂšre soi, admirer n’a pas exactement la mĂȘme signification que pour le commun des mortels. Face Ă  une Ɠuvre d’art, une symphonie de Beethoven ou À la recherche du temps perdu de Proust, il y a fort Ă  parier que nous nous sentions tous petits. DĂ©jĂ  que le moindre rhume suffit Ă  nous faire manquer l’heure du rĂ©veil, pas sĂ»r que nous survivions Ă  une surditĂ© incurable ou Ă  de sĂ©vĂšres difficultĂ©s respiratoires chroniques. Alors pour ce qui est de composer ou d’écrire
 L’admiration suppose a priori une hiĂ©rarchie, un piĂ©destal sur lequel repose l’objet que l’on ne peut que regarder d’en bas. Hugo perçoit une autre dynamique loin de marquer la distance, l’objet d’admiration laisse entre- voir la possibilitĂ© d’un monde – “Vous avez vu les Ă©toiles.” Une vision qui ne laisse pas indemne, avec un avant et un aprĂšs. La faute Ă  ce pouvoir Ă©trange qu’ont les Ɠuvres de nous transformer “Toute Ɠuvre d’art est une bouche de chaleur vitale ; l’homme se sent dilatĂ©. La lueur de l’absolu, si prodigieusement lointaine, rayonne Ă  travers cette chose, lueur sacrĂ©e et presque formidable Ă  force d’ĂȘtre pure. L’homme s’absorbe de plus en plus dans cette Ɠuvre ; il la trouve belle ; il la sent s’introduire en lui.” D’autres parleront d’ouvrir les portes de la perception, mais c’est une autre histoire. Qu’est-ce qui attire dans telle ou telle Ɠuvre, chez tel ou tel auteur? “Ils ont sur la face une pĂąle sueur de lumiĂšre. L’ñme leur sort par les pores. Quelle Ăąme ? Dieu“, rĂ©pond Hugo. L’objet d’admiration est touchĂ© par la grĂące, dispose d’un accĂšs direct au divin. Mais loin de concevoir le gĂ©nie de façon aristocratique, comme quelque chose qui distingue diffĂ©rentes espĂšce d’ĂȘtres humains mais aussi les Ă©poques, Hugo veut croire qu’il montre la voie, tend la main, bĂątit un pont – façon d’accorder opinions politiques, son rĂ©publicanisme, et pensĂ©e esthĂ©tique. Certes, dans un premier temps, ceux qui portent la marque du gĂ©nie “laissent l’humanitĂ© derriĂšre eux. Voir les autres horizons, approfondir cette aventure qu’on appelle l’espace, faire une excursion dans l’inconnu, aller Ă  la dĂ©couverte du cĂŽtĂ© de l’idĂ©al, il leur faut cela.” Mais, en dĂ©finitive, “ils consolent et sourient. Ce sont des hommes.” C’est pourquoi l’échange, la circulation sont possibles. “Il est impossible d’admirer un chef-d’Ɠuvre sans Ă©prouver en mĂȘme temps une certaine estime de soi“, s’enthousiasme Hugo. VoilĂ  de quoi crĂ©er une vĂ©ritable “RĂ©publique des lettres”. L’ennui, c’est que “malgrĂ© 89, malgrĂ© 1830, le peuple n’existe pas encore en rhĂ©torique“. Pourquoi ? La faute Ă  une certaine critique, plus occupĂ©e Ă  opĂ©rer des distinctions, Ă  Ă©taler sa propre Ă©rudition, qu’à transmettre un souffle, un Ă©lan. Hugo, modeste, se place plutĂŽt du cĂŽtĂ© du critique grand philosophe’ que du gĂ©nie – encore qu’on ne peut s’empĂȘcher de noter que la liste des auteurs citĂ©s forme une lignĂ©e unie sous la plume de celui qui les loue. “Les enthousiasmes de l’art Ă©tudiĂ© ne sont donnĂ©s qu’aux intelligences supĂ©rieures ; savoir admirer est une haute puissance” ; admiration rime donc potentiellement avec crĂ©ation. Il n’y a plus qu’à
 L’auteur “Je veux ĂȘtre Chateaubriand ou rien” c’est en admirant que Victor Hugo est devenu le monument que l’on sait. NĂ© le 26 fĂ©vrier 1806 Ă  Besançon d’un pĂšre gĂ©nĂ©ral d’Empire et d’une mĂšre issue de la bourgeoisie, il n’a pas 10 ans quand il commence Ă  Ă©crire des vers. En crĂ©ant avec ses frĂšres la revue Le Conservateur littĂ©raire, il affiche une premiĂšre prĂ©fĂ©rence royaliste. StratĂ©gie judicieuse la pension que lui verse le roi Louis XVIII aprĂšs la parution de son premier recueil de poĂšmes Odes, en 1821, lui permet de vivre de sa plume, de devenir Victor Hugo. Il brise les codes du théùtre classique en 1827 avec sa piĂšce Cromwell – finies les unitĂ©s de temps et de lieu -, puis dĂ©clenche une bataille aussi physique que littĂ©raire lors de la premiĂšre reprĂ©sentation d’Hernani en 1830. Hauteville House Ă  Guernesey le cabinet de travail de Hugo © DP Dans le mĂȘme temps, ses idĂ©es politiques Ă©voluent s’il soutient dans un premier temps la rĂ©pression des rĂ©voltes de 1848, il dĂ©sapprouve les lois anti-libertĂ© de la presse. Son Discours sur la misĂšre de 1849, alors qu’il est dĂ©putĂ©, marque un tournant. De plus en plus ouvertement opposĂ© au pouvoir, il est finalement contraint Ă  l’exil Ă  partir de 1851, d’abord Ă  Bruxelles, puis Ă  Jersey et Ă  Guernesey. LĂ -bas naissent Les ChĂątiments 1853, Les Contemplations 1856, La LĂ©gende des siĂšcles 1859, Les MisĂ©rables 1862, Les Travailleurs de la mer 1866. Le poĂšte y dĂ©ploie son gĂ©nie en mĂȘme temps que ses inquiĂ©tudes sociales et sa sympathie pour tous les Gavroche. Ce n’est qu’à la chute du Second Empire, en 1870, qu’il peut enfin rentrer en France. Devenu une figure populaire, il est accueilli triomphalement. Plusieurs centaines de milliers de personnes assistent Ă  ses funĂ©railles en 1885, couronnant son statut d’écrivain le plus admirĂ© de son vivant. Le texte Écrites lors de sa pĂ©riode d’exil Ă  Guernesey mais parues aprĂšs sa mort, les Proses philosophiques sont des rĂ©flexions trĂšs libres, lyriques et poĂ©tiques sur les thĂšmes du goĂ»t, du beau et de l’art. Elles commencent par une cĂ©lĂ©bration de l’incommensurable beautĂ© du cosmos et se poursuivent par la description de l’élan crĂ©ateur humain. Hugo s’y place en modeste spectateur et admirateur de merveilles qui le subjuguent et le dĂ©passent. Du gĂ©nie BOCH Anna, Femme lisant dans un massif de rhododendrons © WikimĂ©dia Commons Vous ĂȘtes Ă  la campagne, il pleut, il faut tuer le temps, vous prenez un livre, le premier livre venu, vous vous mettez Ă  lire ce livre comme vous liriez le journal officiel de la prĂ©fecture ou la feuille d’affiches du chef-lieu, pensant Ă  autre chose, distrait, un peu bĂąillant. Tout Ă  coup vous vous sentez saisi, votre pensĂ©e semble ne plus ĂȘtre Ă  vous, votre distraction s’est dissipĂ©e, une sorte d’absorption, presque une sujĂ©tion, lui succĂšde, -vous n’ĂȘtes plus maĂźtre de vous lever et de vous en aller. Quelqu’un vous tient. Qui donc ? ce livre. Un livre est quelqu’un. Ne vous y fiez pas. Un livre est un engrenage. Prenez garde Ă  ces lignes noires sur du papier blanc ; ce sont des forces ; elles se combinent, se composent, se dĂ©composent, entrent l’une dans l’autre, pivotent l’une sur l’autre, se dĂ©vident, se nouent, s’accouplent, travaillent. Telle ligne mord, telle ligne serre et presse, telle ligne entraĂźne, telle ligne subjugue. Les idĂ©es sont un rouage. Vous vous sentez tirĂ© par le livre. Il ne vous lĂąchera qu’aprĂšs avoir donnĂ© une façon Ă  votre esprit. Quelquefois les lecteurs sortent du livre tout Ă  fait transformĂ©s. HomĂšre et la Bible font de ces miracles. Les plus fiers esprits, et les plus fins et les plus dĂ©licats, et les plus simples, et les plus grands, subissent ce charme. Shakespeare Ă©tait grisĂ© par Belleforest. La Fontaine allait partout criant Avez-vous lu Baruch ? Corneille, plus grand que Lucain, est fascinĂ© par Lucain. Dante est Ă©bloui de Virgile, moindre que lui. Entre tous, les grands livres sont irrĂ©sistibles. On peut ne pas se laisser faire par eux, on peut lire le Coran sans devenir musulman, on peut lire les VĂ©das sans devenir fakir, on peut lire Zadig sans devenir voltairien, mais on ne peut point ne pas les admirer. LĂ  est leur force. Je te salue et je te combats, parce que tu es roi, disait un Grec Ă  XerxĂšs. On admire prĂšs de soi. L’admiration des mĂ©diocres caractĂ©rise les envieux. L’admiration des grands poĂštes est le signe des grands critiques. Pour dĂ©couvrir au-delĂ  de tous les horizons les hauteurs absolues, il faut ĂȘtre soi-mĂȘme sur une hauteur. Ce que nous disons lĂ  est tellement vrai qu’il est impossible d’admirer un chef-d’Ɠuvre sans Ă©prouver en mĂȘme temps une certaine estime de soi. On se sait grĂ© de comprendre cela. Il y a dans l’admiration on ne sait quoi de fortifiant qui dignifie et grandit l’intelligence. L’enthousiasme est un cordial. Comprendre c’est approcher. Ouvrir un beau livre, s’y plaire, s’y plonger, s’y perdre, y croire, quelle fĂȘte ! On a toutes les surprises de l’inattendu dans le vrai. Des rĂ©vĂ©lations d’idĂ©al se succĂšdent coup sur coup. Mais qu’est-ce donc que le beau ? Ne dĂ©finissez pas, ne discutez pas, ne raisonnez pas, ne coupez pas un fil en quatre, ne cherchez pas midi Ă  quatorze heures, ne soyez pas votre propre ennemi Ă  force d’hĂ©sitation, de raideur et de scrupule. Quoi de plus bĂȘte qu’un pĂ©dant ? Allez devant vous, oubliez votre professeur de rhĂ©torique, dites-vous que Dieu est inĂ©puisable, dites-vous que l’art est illimitĂ©, dites-vous que la poĂ©sie ne tient dans aucun art poĂ©tique, pas plus que la mer dans aucun vase, cruche ou amphore ; soyez tout bonnement un honnĂȘte homme ayant la grandeur d’admirer, laissez-vous prendre par le poĂšte, ne chicanez pas la coupe sur l’ivresse, buvez, acceptez, sentez, comprenez, voyez, vivez, croissez ! L’éclair de l’immense, quelque chose qui resplendit, et qui est brusquement surhumain, voilĂ  le gĂ©nie. De certains coups d’aile suprĂȘmes. Vous tenez le livre, vous l’avez sous les yeux, tout Ă  coup il semble que la page se dĂ©chire du haut en bas comme le voile du temple. Par ce trou, l’infini apparaĂźt. Une strophe suffit, un vers suffit, un mot suffit. Le sommet est atteint. Tout est dit. Lisez Ugolin, Françoise dans le tourbillon, Achille insultant Agamemnon, PromĂ©thĂ©e enchaĂźnĂ©, les Sept chefs devant ThĂšbes, Hamlet dans le cimetiĂšre, Job sur son fumier. Fermez le livre maintenant. Songez. Vous avez vu les Ă©toiles. Il y a de certains hommes mystĂ©rieux qui ne peuvent faire autrement que d’ĂȘtre grands. Les bons badauds qui composent la grosse foule et le petit public et qu’il faut se garder de confondre avec le peuple, leur en veulent presque Ă  cause de cela. Les nains blĂąment le colosse. Sa grandeur, c’est sa faute. Qu’est-ce qu’il a donc, celui-lĂ , Ă  ĂȘtre grand ? S’appeler Miguel de CervantĂšs, François Rabelais ou Pierre Corneille, ne pas ĂȘtre le premier grimaud venu, exister Ă  part, jeter toute cette ombre et tenir toute cette place ; que tel mandarin, que tel sorbonniste, que tel doctrinaire fameux, grand personnage pourtant, ne vous vienne pas Ă  la hanche, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela ne se fait pas. C’est insupportable. COURBET Gustave, Le dĂ©sespĂ©rĂ© autoportrait, 1844-45 © Collection privĂ©e Pourquoi ces hommes sont-ils grands en effet ? ils ne le savent point eux-mĂȘmes. Celui-lĂ  le sait qui les a envoyĂ©s. Leur stature fait partie de leur fonction. Ils ont dans la prunelle quelque vision redoutable qu’ils emportent sous leur sourcil. Ils ont vu l’ocĂ©an comme HomĂšre, le Caucase comme Eschyle, la douleur comme Job, Babylone comme JĂ©rĂ©mie, Rome comme JuvĂ©nal, l’enfer comme Dante, le paradis comme Milton, l’homme comme Shakespeare, Pan comme LucrĂšce, JĂ©hovah comme IsaĂŻe. Ils ont, ivres de rĂȘve et d’intuition, dans leur marche presque inconsciente sur les eaux de l’abĂźme, traversĂ© le rayon Ă©trange de l’idĂ©al, et ils en sont Ă  jamais pĂ©nĂ©trĂ©s. Cette lueur se dĂ©gage de leurs visages, sombres pourtant, comme tout ce qui est plein d’inconnu. Ils ont sur la face une pĂąle sueur de lumiĂšre. L’ñme leur sort par les pores. Quelle Ăąme ? Dieu. Remplis qu’ils sont de ce jour divin, par moments missionnaires de civilisation, prophĂštes de progrĂšs, ils entr’ouvrent leur cƓur, et ils rĂ©pandent une vaste clartĂ© humaine ; cette clartĂ© est de la parole, car le Verbe, c’est le jour. – ĂŽ Dieu, criait JĂ©rĂŽme dans le dĂ©sert, je vous Ă©coute autant des yeux que des oreilles – Un enseignement, un conseil, un point d’appui moral, une espĂ©rance, voilĂ  leur don ; puis leur flanc bĂ©ant et saignant se referme, cette plaie qui s’est faite bouche et qui a parlĂ© rapproche ses lĂšvres et rentre dans le silence, et ce qui s’ouvre maintenant, c’est leur aile. Plus de pitiĂ©, plus de larmes. Éblouissement. Ils laissent l’humanitĂ© derriĂšre eux. Voir les autres horizons, approfondir cette aventure qu’on appelle l’espace, faire une excursion dans l’inconnu, aller Ă  la dĂ©couverte du cĂŽtĂ© de l’idĂ©al, il leur faut cela. Ils partent. Que leur fait l’azur ? que leur importe les tĂ©nĂšbres ? Ils s’en vont, ils tournent aux choses terrestres leur dos formidable, ils dĂ©veloppent brusquement leur envergure dĂ©mesurĂ©e, ils deviennent on ne sait quels monstres, spectres peut-ĂȘtre, peut-ĂȘtre archanges, et ils s’enfoncent dans l’infini terrible, avec un immense bruit d’aigles envolĂ©s. Puis tout Ă  coup ils reparaissent. Les voici. Ils consolent et sourient. Ce sont des hommes. Ces apparitions et ces disparitions, ces dĂ©parts et ces retours, ces occultations brusques et ces subites prĂ©sences Ă©blouissantes, le lecteur, absorbĂ©, illuminĂ© et aveuglĂ© par le livre, les sent plus qu’il ne les voit. Il est au pouvoir d’un poĂšte, possession troublante, frĂ©quentation presque magique et dĂ©moniaque, il a vaguement conscience du va-et-vient Ă©norme de ce gĂ©nie ; il le sent tantĂŽt loin, tantĂŽt prĂšs de lui ; et ces alternatives, qui font successivement pour lui lecteur l’obscuritĂ© et la lumiĂšre, se marquent dans son esprit par ces mots – Je ne comprends plus. – Je comprends. Quand Dante, quittant l’enfer, entre et monte dans le paradis, le refroidissement qu’éprouvent les lecteurs n’est pas autre chose que l’augmentation de distance entre Dante et eux. C’est la comĂšte qui s’éloigne. La chaleur diminue. Dante est plus haut, plus avant, plus au fond, plus loin de l’homme, plus prĂšs de l’absolu. Schlegel un jour, considĂ©rant tous ces gĂ©nies, a posĂ© cette question qui chez lui n’est qu’un Ă©lan d’enthousiasme et qui, chez Fourier ou Saint-Simon, serait le cri d’un systĂšme – Sont-ce vraiment des hommes, ces hommes-ci ? Oui, ce sont des hommes ; c’est leur misĂšre et c’est leur gloire. Ils ont faim et soif ; ils sont sujets du sang, du climat, du tempĂ©rament, de la fiĂšvre, de la femme, de la souffrance, du plaisir ; ils ont, comme tous les hommes, des penchants, des pentes, des entraĂźnements, des chutes, des assouvissements, des passions, des piĂšges, ils ont, comme tous les hommes, la chair avec ses maladies, et avec ses attraits, qui sont aussi des maladies. Ils ont leur bĂȘte. La matiĂšre pĂšse sur eux, et eux aussi ils gravitent. Pendant que leur esprit tourne autour de l’absolu, leur corps tourne autour du besoin, de l’appĂ©tit, de la faute. La chair a ses volontĂ©s, ses instincts, ses convoitises, ses prĂ©tentions au bien-ĂȘtre ; c’est une sorte de personne infĂ©rieure qui tire de son cĂŽtĂ©, fait ses affaires dans son coin, a son moi Ă  part dans la maison, pourvoit Ă  ses caprices ou Ă  ses nĂ©cessitĂ©s, parfois comme une voleuse, et Ă  la grande confusion de l’esprit auquel elle dĂ©robe ce qui est Ă  lui. L’ñme de Corneille fait Cinna ; la bĂȘte de Corneille dĂ©die Cinna au financier Montaron. PRETI Mattia, HomĂšre aveugle dĂ©tail, ca. 1635 © Academia Venezia Chez certains, sans rien leur ĂŽter de leur grandeur, l’humanitĂ© s’affirme par l’infirmitĂ©. Le rayon archangĂ©lesque est dans le cerveau ; la nuit brutale est dans la prunelle. HomĂšre est aveugle ; Milton est aveugle. Camoes borgne semble une insulte. Beethoven sourd est une ironie. Ésope bossu a l’air d’un Voltaire dont Dieu a fait l’esprit en laissant FrĂ©ron faire le corps. L’infirmitĂ© ou la difformitĂ© infligĂ©e Ă  ces bien-aimĂ©s augustes de la pensĂ©e fait l’effet d’un contrepoids sinistre, d’une compensation peu avouable lĂ -haut, d’une concession faite aux jalousies dont il semble que le crĂ©ateur doit avoir honte. C’est peut-ĂȘtre avec on ne sait quel triomphe envieux que, du fond de ces tĂ©nĂšbres, la matiĂšre regarde TyrtĂ©e et Byron planer comme gĂ©nies et boiter comme hommes. Ces infirmitĂ©s vĂ©nĂ©rables n’inspirent aucun effroi Ă  ceux que l’enthousiasme fait pensifs. Loin de lĂ . Elles semblent un signe d’élection. Être foudroyĂ©, c’est ĂȘtre prouvĂ© titan. C’est dĂ©jĂ  quelque chose de partager avec ceux d’en haut le privilĂšge d’un coup de tonnerre. À ce point de vue, les catastrophes ne sont plus catastrophes, les souffrances ne sont plus souffrances, les misĂšres ne sont plus misĂšres, les diminutions sont augmentations. Être infirme ainsi que les forts, cela tenterait volontiers. Je me rappelle qu’en 1828, tout jeune, au temps oĂč ‱‱‱ me faisait l’effet d’un ami, j’avais des taches obscures dans les yeux. Ces taches allaient s’élargissant et noircissant. Elles semblaient envahir lentement la rĂ©tine. Un soir,chez Charles Nodier, je contai mes taches noires, que j’appelais mes papillons, Ă  ‱‱‱, qui, Ă©tudiant en mĂ©decine et fils d’un pharmacien, Ă©tait censĂ© s’y connaĂźtre et s’y connaissait en effet. Il regarda mes yeux, et me dit doucement – C’est une amaurose commençante. Le nerf optique se paralyse. Dans quelques annĂ©es la cĂ©citĂ© sera complĂšte. Une pensĂ©e illumina subitement mon esprit. – Eh bien, lui rĂ©pondis-je en souriant, ce sera toujours ça. Et voilĂ  que je me mis Ă  espĂ©rer que je serais peut-ĂȘtre un jour aveugle comme HomĂšre et comme Milton. La jeunesse ne doute de rien. Le goĂ»t [ 
 ] Certaines Ɠuvres sont ce qu’on pourrait appeler les excĂšs du beau. Elles font plus qu’éclairer ; elles foudroient. Étant donnĂ©es les paresses et les lĂąchetĂ©s de l’esprit humain, cette foudre est bonne. Allons au fait, parquer la pensĂ©e de l’homme dans ce qu’on appelle “un grand siĂšcle” est puĂ©ril. La poĂ©sie suivant la cour a fait son temps. L’humanitĂ© ne peut se contenter Ă  jamais d’une tragĂ©die qui plafonne au-dessus de la tĂȘte-soleil de Louis XIV. Il est inouĂŻ de penser que tout notre enseignement universitaire en est encore lĂ  et qu’à la fin du dix-neuviĂšme siĂšcle les pĂ©dants et les cuistres tiennent bon sur toute la ligne. L’enseignement littĂ©raire est tout monarchique. MalgrĂ© 89, malgrĂ© 1830, le peuple n’existe pas encore en rhĂ©torique. Pourtant, ĂŽ ignorance des professeurs officiels ! la littĂ©rature antique proteste contre la littĂ©rature classique et, pour pratiquer le grand art libre, les anciens sont d’accord avec les nouveaux. Un jour BĂ©ranger, ce Français coupĂ© de Gaulois, ne sachant ni le latin ni le grec, le plus littĂ©raire des illettrĂ©s, vit un HomĂšre sur la table de Jouffroy. C’était au plus fort du mouvement de 1830, mouvement compliquĂ© de rĂ©sistance. BĂ©ranger, rencontrant HomĂšre, fut curieux de faire cette connaissance. Un chansonnier, qui voit passer un colosse, n’est pas fĂąchĂ© de lui taper sur l’épaule. –Lisez-moi donc un peu de ça, dit BĂ©ranger Ă  Jouffroy. Jouffroy contait qu’alors il ouvrit l’Iliade au hasard, et se mit Ă  lire Ă  voix haute, traduisant littĂ©ralement du grec en français. BĂ©ranger Ă©coutait. Tout Ă  coup, il interrompit Jouffroy et s’écria –Mais il n’y a pas ça ! – Si fait, rĂ©pondit Jouffroy. Je traduis Ă  la lettre. – Jouffroy Ă©tait prĂ©cisĂ©ment tombĂ© sur ces insultes d’Achille Ă  Agamemnon que nous citions tout Ă  l’heure. Quand le passage fut fini, BĂ©ranger, avec son sourire Ă  deux tranchants dont la moquerie restait indĂ©cise, dit HomĂšre est romantique. BĂ©ranger croyait faire une niche ; une niche Ă  tout le monde, et particuliĂšrement Ă  HomĂšre. Il disait une vĂ©ritĂ©. Romantique, traduisez primitif Ce que BĂ©ranger disait d’HomĂšre, on peut le dire d’ÉzĂ©chiel, on peut le dire de Plaute, onpeut le dire de Tertullien, on peut le dire du Romancero, on peut le dire des Niebelungen. On a vu qu’un professeur de l’école normale le disait de JuvĂ©nal. Ajoutons ceci un gĂ©nie primitif, ce n’est pas nĂ©cessairement un esprit de ce que nous appelons Ă  tort les temps primitifs. C’est un esprit qui, en quelque siĂšcle que ce soit et Ă  quelque civilisation qu’il appartienne, jaillit directement de la nature et de l’humanitĂ©. Quiconque boit Ă  la grande source est primitif ; quiconque vous y fait boire est primitif. Quiconque a l’ñme et la donne est primitif. Beaumarchais est primitif autant qu’Aristophane ; Diderot est primitif autant qu’HĂ©siode. Figaro et le Neveu de Rameau sortent tout de suite et sans transition du vaste fond humain. Il n’y a lĂ  aucun reflet ; ce sont des crĂ©ations immĂ©diates ; c’est de la vie prise dans la vie. Cet aspect de la nature qu’on nomme sociĂ©tĂ© inspire tout aussi bien les crĂ©ations primitives que cet autre aspect de la nature appelĂ© barbarie. Don Quichotte est aussi primitif qu’Ajax. L’un dĂ©fie les dieux, l’autre les moulins ; tous deux sont hommes. Nature, humanitĂ©, voilĂ  les eaux vives. L’époque n’y fait rien. On peut ĂȘtre un esprit primitif Ă  une Ă©poque secondaire comme le seiziĂšme siĂšcle, tĂ©moin Rabelais, et Ă  une Ă©poque tertiaire comme le dix-septiĂšme, tĂ©moin MoliĂšre. Primitif a la mĂȘme portĂ©e qu’original avec une nuance de plus. Le poĂšte primitif, en communication intime avec l’homme et la nature, ne relĂšve de personne. À quoi bon copier des livres, Ă  quoi bon copier des poĂštes, Ă  quoi bon copier des choses faites, quand on est riche de l’énorme richesse du possible, quand tout l’imaginable vous est livrĂ©, quand on a devant soi et Ă  soi tout le sombre chaos des types, et qu’on se sent dans la poitrine la voix qui peut crier “Fiat Lux”. Le poĂšte primitif a des devanciers, mais pas de guides. Ne vous laissez pas prendre aux illusions d’optique, Virgile n’est point le guide de Dante ; c’est Dante qui entraĂźne Virgile ; et oĂč le mĂšne-t-il ? chez Satan. C’est Ă  peine si Virgile tout seul est capable d’aller chez Pluton. Le poĂšte original est distinct du poĂšte primitif, en ce qu’il peut avoir, lui, des guides et des modĂšles. Le poĂšte original imite quelquefois ; le poĂšte primitif jamais. La Fontaine est original, CervantĂšs est primitif. À l’originalitĂ©, de certaines qualitĂ©s de style suffisent ; c’est l’idĂ©e-mĂšre qui fait l’écrivain primitif. Hamilton est original, ApulĂ©e est primitif. Tous les esprits primitifs sont originaux ; les esprits originaux ne sont pas tous primitifs. Selon l’occasion, le mĂȘme poĂšte peut ĂȘtre tantĂŽt original, tantĂŽt primitif. MoliĂšre, primitif dans Le Misanthrope, n’est qu’original dans Amphitryon. L’originalitĂ© a d’ailleurs, elle aussi, tous les droits ; mĂȘme le droit Ă  une certaine politesse, mĂȘme le droit Ă  une certaine faussetĂ©. Marivaux existe. Il ne s’agit que de s’entendre, et nous n’excluons, certes, aucun possible. La draperie est un goĂ»t, le chiffon en est un autre. Ce dernier goĂ»t, le chiffon, peut-il faire partie de l’art ? Non, dans les vaudevilles de Scribe. Oui, dans les figurines de Clodion. OĂč la langue manque, Boileau a raison, tout manque. Or la langue de l’art, que Scribe ignore, Clodion la sait. Le bonnet de Mimi Rosette peut avoir du style. Quand Coustou chiffonne une faille sur la tĂȘte d’un sphinx qui est une marquise, ce taffetas de marbre fait partie de la chimĂšre et vaut la tunique aux mille plis de la CythĂ©rĂ©e AnadyomĂšne. En vĂ©ritĂ©, il n’y a point de rĂšgles. Rien Ă©tant donnĂ©, pĂ©trissez-y l’art, et voici une ode d’Horace ou d’AnacrĂ©on. Une mode de la rue Vivienne, touchĂ©e par Coysevox ou Pradier, devient Ă©ternelle. Une maniĂšre d’écrire qu’on a tout seul, un certain pli magistralement imprimĂ© Ă  tout le style, un air de fĂȘte de la muse, une façon Ă  soi de toucher et de manier une idĂ©e, il n’en faut pas plus pour faire des artistes souverains ; tĂ©moin Horace. Cependant, insistons-y, le poĂšte qui voit dans l’art plus que l’art, le poĂšte qui dans la poĂ©sie voit l’homme, le poĂšte qui civilise Ă  bon escient, le poĂšte, maĂźtre parce qu’il est serviteur, c’est celui-lĂ  que nous saluons. Qu’un Goethe est petit Ă  cĂŽtĂ© d’un Dante ! En toute chose, nous prĂ©fĂ©rons celui qui peut s’écrier j’ai voulu ! Ceci soit dit sans mĂ©connaĂźtre, certes, la toute-puissance virtuelle et intrinsĂšque de la beautĂ©, mĂȘme indiffĂ©rente. Si d’aussi chĂ©tifs dĂ©tails valaient la peine d’ĂȘtre notĂ©s, ce serait peut-ĂȘtre ici le lieu de rappeler, chemin faisant, les aberrations et les puĂ©rilitĂ©s malsaines d’une Ă©cole de critique contemporaine, morte aujourd’hui, et dont il ne reste plus un seul reprĂ©sentant, le propre du faux Ă©tant de ne se point recruter. Ce fut la mode dans cette Ă©cole, qui a fleuri un moment, d’attaquer ce que, dans un argot bizarre, elle nommait la forme’. La forme forma, la beautĂ©. Quel Ă©trange mot d’ordre ! Plus tard, ce fut l’attaque Ă  la grandeur. Faire grand’ devint un dĂ©faut. Quand le beau est un tort, c’est le signe des Ă©poques bourgeoises ; quand le grand est un crime, c’est le signe des rĂšgnes petits. La logomachie Ă©tait curieuse. Cette Ă©cole avait rendu ce dĂ©cret la forme est incompatible avec le fond. Le style exclut la pensĂ©e. L’image tue l’idĂ©e. Le beau est stĂ©rile. L’organe de la conception et de la fĂ©condation lui manque. VĂ©nus ne peut faire d’enfants. Or c’est le contraire qui est vrai. La beautĂ©, Ă©tant l’harmonie, est par cela mĂȘme la fĂ©conditĂ©. La forme et le fond sont aussi indivisibles que la chair et le sang. Le sang, c’est de la chair coulante ; la forme, c’est le fond fluide entrant dans tous les mots et les empourprant. Pas de fond, pas de forme. La forme est la rĂ©sultante. S’il n’y a point de fond, de quoi la forme est-elle la forme ? Nous objectera-t-on que nous avons dit tout Ă  l’heure Rien Ă©tant donnĂ©, etc. ; mais Rien n’avait lĂ  qu’un sens relatif, “nescio quid meditans nugarum” [“Je ne sais quelles bagatelles“, tirĂ© de Satire d’Horace, 65-8 ACN], et une bagatelle d’Horace, c’est quelquefois le fond mĂȘme de la vie humaine. Le beau est l’épanouissement du vrai la splendeur, a dit Platon. Fouillez les Ă©tymologies, arrivez Ă  la racine des vocables, image et idĂ©e sont le mĂȘme mot. Il y a entre ce que vous nommez forme et ce que vous nommez fond identitĂ© absolue, l’une Ă©tant l’extĂ©rieur de l’autre, la forme Ă©tant le fond, rendu visible. Si cette Ă©cole du passĂ© avait raison, si l’image excluait l’idĂ©e, HomĂšre, Eschyle, Dante, Shakespeare, qui ne parlent que par images, seraient vides. La Bible qui, comme Bossuet le constate, est toute figures, serait creuse. Ces chefs-d’Ɠuvre de l’esprit humain seraient de la forme’. De pensĂ©e point. VoilĂ  oĂč mĂšne un faux point de dĂ©part. Cette Ă©cole de critique, un instant en crĂ©dit, a disparu et est maintenant oubliĂ©e. C’est comme cas singulier que nous la mentionnons ici dans notre clinique ; car, comme l’art lui-mĂȘme, la critique a ses maladies, et la philosophie de l’art est tenue de les enregistrer. Cela est mort, peu importe ; de certains spĂ©cimens veulent ĂȘtre conservĂ©s. Ce qui n’est pas nĂ© viable a droit au bocal des fƓtus. Nous y mettons cette critique. REPIN Ilia, Quelle libertĂ© ! 1903 © MusĂ©e russe, Saint-Petersbourg De loi en loi, de dĂ©duction en dĂ©duction, nous arrivons Ă  ceci carte blanche, coudĂ©es franches, cĂąbles coupĂ©s, portes toutes grandes ouvertes, allez. Qu’est-ce que l’ocĂ©an? C’est une permission. Permission redoutable, sans nul doute. Permission de se noyer, mais permission de dĂ©couvrir un monde. Aucun rhumb de vent [En navigation, le rhumb est la quantitĂ© angulaire comprise entre deux des trente-deux aires de vent de la boussole], aucune puissance, aucune souverainetĂ©, aucune latitude, aucune aventure, aucune rĂ©ussite, ne sont refusĂ©s au gĂ©nie. La mer donne permission Ă  la nage, Ă  la rame, Ă  la voile, Ă  la vapeur, Ă  l’aube, Ă  l’hĂ©lice. L’atmosphĂšre donne permission aux ailes et aux aĂ©roscaphes, aux condors et aux hippogriffes. Le gĂ©nie, c’est l’omnifacultĂ©. En poĂ©sie, il procĂšde par une continuitĂ© prodigieuse de l’Iliade, sans qu’on puisse imaginer oĂč s’arrĂȘtera cette sĂ©rie d’HomĂšre dont Rabelais et Shakespeare font partie. En architecture, tantĂŽt il lui plaĂźt de sublimer la cabane, et il fait le temple; tantĂŽt il lui plaĂźt d’humaniser la montagne, et, s’il la veut simple, il fait la pyramide, et, s’il la veut touffue, il fait la cathĂ©drale ; aussi riche avec la ligne droite qu’avec les mille angles brisĂ©s de la forĂȘt, Ă©galement maĂźtre de la symĂ©trie Ă  laquelle il ajoute l’immensitĂ©, et du chaos auquel il impose l’équilibre. Quant au mystĂšre, il en dispose. À un certain moment sacrĂ© de l’annĂ©e, prolongez vers le zĂ©nith la ligne de KhĂ©ops, et vous arriverez, stupĂ©fait, Ă  l’étoile du Dragon ; regardez les flĂšches de Chartres, d’Angers, de Strasbourg, les portails d’Amiens et de Reims, la nef de Cologne, et vous sentirez l’abĂźme. Sa science est prodigieuse. Les initiĂ©s seuls, et les forts,savent quelle algĂšbre il y a sous la musique ; il sait tout, et ce qu’il ne sait pas, il le devine, et ce qu’il ne devine pas, il l’invente, et ce qu’il n’invente pas, il le crĂ©e ; et il invente vrai, et il crĂ©e viable. Il possĂšde Ă  fond la mathĂ©matique de l’art ; il est Ă  l’aise dans des confusions d’astres et de ciels ; le nombre n’a rien Ă  lui enseigner; il en extrait, avec la mĂȘme facilitĂ©, le binĂŽme pour le calcul et le rythme pour l’imagination ; il a, dans sa boĂźte d’outils, employant le fer oĂč les autres n’ont que le plomb, et l’acier oĂč les autres n’ont que le fer, et le diamant oĂč les autres n’ont que l’acier, et l’étoile oĂč les autres n’ont que le diamant, il a la grande correction, la grande rĂ©gularitĂ©, la grande syntaxe, la grande mĂ©thode, et nul comme lui n’a la maniĂšre de s’en servir. Et il complique toute cette sagesse d’on ne sait quelle folie divine, et c’est lĂ  le gĂ©nie. C’est une chose profonde que la critique, et dĂ©fendue aux mĂ©diocres. Le grand critique est un grand philosophe ; les enthousiasmes de l’art Ă©tudiĂ© ne sont donnĂ©s qu’aux intelligences supĂ©rieures ; savoir admirer est une haute puissance. [ 
 ] L’antagonisme supposĂ© du goĂ»t et du gĂ©nie est une des niaiseries de l’école. Pas d’invention plus grotesque que cette prise aux cheveux de la muse par la muse. Uranie et Galliope en viennent aux coiffes. Non, rien de tel dans l’art. Tout y harmonie, mĂȘme la dissonance. Le goĂ»t, comme le gĂ©nie, est essentiellement divin. Le gĂ©nie, c’est la conquĂȘte ; le goĂ»t, c’est le choix. La griffe toute-puissante commence par tout prendre, puis l’Ɠil flamboyant fait le triage. Ce triage dans la proie, c’est le goĂ»t. Chaque gĂ©nie le fait Ă  sa guise. Les Ă©piques mĂȘmes diffĂšrent entre eux d’humeur. Le triage d’HomĂšre n’est pas le triage de Rabelais. Quelquefois, ce que l’un rejette, l’autre le garde. Ils savent tous les deux ce qu’ils font, mais ils ne peuvent jurer de rien ni l’un ni l’autre, l’idĂ©al, qui est l’infini, est au-dessus d’eux, et il pourra fort bien arriver un jour, si l’éclair hĂ©roĂŻque et la foudre cynique se mĂȘlent, qu’un mot de Rabelais devienne un mot d’HomĂšre, et alors ce sera Cambronne qui le prononcera. L’art a, comme la flamme, une puissance de sublimation. Jetez dans l’art, comme dans la flamme, les poisons, les ordures, les rouilles, les oxydes, l’arsenic, le vert-de-gris, faites passer ces incandescences Ă  travers le prisme ou Ă  travers la poĂ©sie, vous aurez des spectres splendides, et le laid deviendra le grand, et le mal deviendra le beau. Chose surprenante et ravissante Ă  affirmer, le mal entrera dans le beau et s’y transfigurera. Car le beau n’est autre chose que la sainte lumiĂšre du bon. Dans le goĂ»t, comme dans le gĂ©nie, il y a de l’infini. Le goĂ»t, ce pourquoi mystĂ©rieux, cette raison de chaque mot employĂ©, cette prĂ©fĂ©rence obscure et souveraine qui, au fond du cerveau, rend des lois propres Ă  chaque esprit, cette seconde conscience donnĂ©e aux seuls poĂštes, et aussi lumineuse que l’autre, cette intuition impĂ©rieuse de la limite invisible, fait partie, comme l’inspiration mĂȘme, de la redoutable puissance inconnue. Tous les souffles viennent de la bouche unique. Le gĂ©nie et le goĂ»t ont une unitĂ© qui est l’absolu, et une rencontre qui est la beautĂ©. UtilitĂ© du Beau ANTO-CARTE, Le Jardinier 1941, photo Jacques Vandenberg © SABAM Belgium 2022 Un homme a, par don de nature ou par dĂ©veloppement d’éducation, le sentiment du Beau. Supposez-le en prĂ©sence d’un chef-d’Ɠuvre, mĂȘme d’un de ces chefs-d’Ɠuvre qui semblent inutiles, c’est-a-dire qui sont créés sans souci direct de l’humain, du juste et de l’honnĂȘte, dĂ©gagĂ©s de toute prĂ©occupation de conscience et faits sans autre but que le Beau ; c’est une statue, c’est un tableau, c’est une symphonie, c’est un Ă©difice, c’est un poĂšme. En apparence, cela ne sert Ă  rien, Ă  quoi bon une VĂ©nus ? Ă  quoi bon une flĂšche d’église ? Ă  quoi bon une ode sur le printemps ou l’aurore, etc., avec ses rimes ? Mettez cet homme devant cette Ɠuvre. Que se passe-t-il en lui ? le Beau est lĂ . L’homme regarde, l’homme Ă©coute ; peu Ă  peu, il fait plus que regarder, il voit ; il fait plus qu’écouter, il entend. Le mystĂšre de l’art commence Ă  opĂ©rer ; toute Ɠuvre d’art est une bouche de chaleur vitale ; l’homme se sent dilatĂ©. La lueur de l’absolu, si prodigieusement lointaine, rayonne Ă  travers cette chose, lueur sacrĂ©e et presque formidable Ă  force d’ĂȘtre pure. L’homme s’absorbe de plus en plus dans cette Ɠuvre ; il la trouve belle ; il la sent s’introduire en lui. Le Beau est vrai de droit. L’homme, soumis Ă  l’action du chef-d’Ɠuvre, palpite, et son cƓur ressemble Ă  l’oiseau qui, sous la fascination, augmente son battement d’ailes. Qui dit belle Ɠuvre dit Ɠuvre profonde ; il a le vertige de cette merveille entr’ouverte. Les doubles-fonds du Beau sont innombrables. Sans que cet homme, soumis Ă  l’épreuve de l’admiration, s’en rende bien clairement compte peut-ĂȘtre, cette religion qui sort de toute perfection, la quantitĂ© de rĂ©vĂ©lation qui est dans le Beau, l’éternel affirmĂ© par l’immortel, la constatation ravissante du triomphe de l’homme dans l’art, le magnifique spectacle, en face de la crĂ©ation divine, d’une crĂ©ation humaine, Ă©mulation inouĂŻe avec la nature, l’audace qu’a cette chose d’ĂȘtre un chef-d’Ɠuvre Ă  cĂŽtĂ© du soleil, l’ineffable fusion de tous les Ă©lĂ©ments de l’art, la ligne, le son, la couleur, l’idĂ©e, en une sorte de rythme sacrĂ©, d’accord avec le mystĂšre musical du ciel, tous ces phĂ©nomĂšnes le pressent obscurĂ©ment et accomplissent, Ă  son insu mĂȘme, on ne sait quelle perturbation en lui. Perturbation fĂ©conde. Une inexprimable pĂ©nĂ©tration du Beau lui entre par tous les pores. Il creuse et sonde de plus en plus l’Ɠuvre Ă©tudiĂ©e ; il se dĂ©clare que c’est une victoire pour une intelligence de comprendre cela, et que tous peut-ĂȘtre n’en sont pas capables ni dignes; il y a de l’exception dans l’admiration, une espĂšce de fiertĂ© amĂ©liorante le gagne ; il se sent Ă©lu, il lui semble que ce poĂšme l’a choisi. Il est possĂ©dĂ© du chef-d’Ɠuvre. Par degrĂ©s, lentement, Ă  mesure qu’il contemple ou Ă  mesure qu’il lit, d’échelon en Ă©chelon, montant toujours, il assiste, stupĂ©fait, Ă  sa croissance intĂ©rieure ; il voit, il comprend, il accepte, il songe, il pense, il s’attendrit, il veut ; les sept marches de l’initiation ; les sept noces de la lyre auguste qui est nous-mĂȘmes. Il ferme les yeux pour mieux voir, il mĂ©dite ce qu’il a contemplĂ©, il s’absorbe dans l’intuition, et tout Ă  coup, net, clair, incontestable, triomphant, sans trouble, sans brume, sans nuage, au fond de son cerveau, chambre noire, l’éblouissant spectre solaire de l’idĂ©al apparaĂźt ; et voilĂ  cet homme qui a un autre cƓur. [ 
 ] [INFOS QUALITE] statut validĂ© mode d’édition partage, correction et iconographie sources Philosophie Magazine n°137 ; contributeur Patrick Thonart crĂ©dits illustrations en-tĂȘte, Victor Hugo par Edmond Bacot 1862 © WIKIMEDIA COMMONS Victor Hugo dans Textes
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L'aurore ressemble Ă  ton Ăąge ; Jeanne, il existe sous les cieux On ne sait quel doux voisinage Des bons coeurs avec les beaux lieux. Tout ce vallon est une fĂȘte Qui t'offre son humble bonheur ; C'est un nimbe autour de ta tĂȘte ; C'est un Ă©den en ton honneur. Tout ce qui t'approche dĂ©sire Se faire regarder par toi, Sachant que ta chanson, ton rire, Et ton front, sont de bonne foi. Ô Jeanne, ta douceur est telle Qu'en errant dans ces bois bĂ©nis, Elle fait dresser devant elle Les petites tĂȘtes des nids. 2. A une jeune fille Recueil Odes et ballades. Vous qui ne savez pas combien l'enfance est belle, Enfant ! n'enviez point notre Ăąge de douleurs, OĂč le coeur tour Ă  tour est esclave et rebelle, OĂč le rire est souvent plus triste que vos pleurs. Votre Ăąge insouciant est si doux qu'on l'oublie ! Il passe, comme un souffle au vaste champ des airs, Comme une voix joyeuse en fuyant affaiblie, Comme un alcyon sur les mers. Oh ! ne vous hĂątez point de mĂ»rir vos pensĂ©es ! Jouissez du matin, jouissez du printemps ; Vos heures sont des fleurs l'une Ă  l'autre enlacĂ©es ; Ne les effeuillez pas plus vite que le temps. Laissez venir les ans ! Le destin vous dĂ©voue, Comme nous, aux regrets, Ă  la fausse amitiĂ©, A ces maux sans espoir que l'orgueil dĂ©savoue, A ces plaisirs qui font pitiĂ©. Riez pourtant ! du sort ignorez la puissance Riez ! n'attristez pas votre front gracieux, Votre oeil d'azur, miroir de paix et d'innocence, Qui rĂ©vĂšle votre Ăąme et rĂ©flĂ©chit les cieux ! 3. Oh ! quand je dors... Recueil Les rayons et les ombres. Oh ! quand je dors, viens auprĂšs de ma couche, Comme Ă  PĂ©trarque apparaissait Laura, Et qu'en passant ton haleine me touche... - Soudain ma bouche S'entr'ouvrira ! Sur mon front morne oĂč peut-ĂȘtre s'achĂšve Un songe noir qui trop longtemps dura, Que ton regard comme un astre se lĂšve... - Soudain mon rĂȘve Rayonnera ! Puis sur ma lĂšvre oĂč voltige une flamme, Eclair d'amour que Dieu mĂȘme Ă©pura, Pose un baiser, et d'ange deviens femme... - Soudain mon Ăąme S'Ă©veillera ! 4. On vit, on parle... Recueil Les rayons et les ombres. On vit, on parle, on a le ciel et les nuages Sur la tĂȘte ; on se plaĂźt aux livres des vieux sages ; On lit Virgile et Dante ; on va joyeusement En voiture publique Ă  quelque endroit charmant, En riant aux Ă©clats de l'auberge et du gĂźte ; Le regard d'une femme en passant vous agite ; On aime, on est aimĂ©, bonheur qui manque aux rois ! On Ă©coute le chant des oiseaux dans les bois Le matin, on s'Ă©veille, et toute une famille Vous embrasse, une mĂšre, une soeur, une fille ! On dĂ©jeune en lisant son journal. Tout le jour On mĂȘle Ă  sa pensĂ©e espoir, travail, amour ; La vie arrive avec ses passions troublĂ©es ; On jette sa parole aux sombres assemblĂ©es ; Devant le but qu'on veut et le sort qui vous prend, On se sent faible et fort, on est petit et grand ; On est flot dans la foule, Ăąme dans la tempĂȘte ; Tout vient et passe ; on est en deuil, on est en fĂȘte ; On arrive, on recule, on lutte avec effort... - Puis, le vaste et profond silence de la mort ! 5. Jeanne endormie Recueil L'art d'ĂȘtre grand-pĂšre. L'oiseau chante ; je suis au fond des rĂȘveries. Rose, elle est lĂ  qui dort sous les branches fleuries, Dans son berceau tremblant comme un nid d'alcyon, Douce, les yeux fermĂ©s, sans faire attention Au glissement de l'ombre et du soleil sur elle. Elle est toute petite, elle est surnaturelle. Ô suprĂȘme beautĂ© de l'enfant innocent ! Moi je pense, elle rĂȘve ; et sur son front descend Un entrelacement de visions sereines ; Des femmes de l'azur qu'on prendrait pour des reines, Des anges, des lions ayant des airs benins, De pauvres bons gĂ©ants protĂ©gĂ©s par des nains, Des triomphes de fleurs dans les bois, des trophĂ©es D'arbres cĂ©lestes, pleins de la lueur des fĂ©es, Un nuage oĂč l'Ă©den apparaĂźt Ă  demi, VoilĂ  ce qui s'abat sur l'enfant endormi. Le berceau des enfants est le palais des songes ; Dieu se met Ă  leur faire un tas de doux mensonges ; De lĂ  leur frais sourire et leur profonde paix. Plus d'un dira plus tard Bon Dieu, tu me trompais. Mais le bon Dieu rĂ©pond dans la profondeur sombre - Non. Ton rĂȘve est le ciel. Je t'en ai donnĂ© l'ombre. Mais ce ciel, tu l'auras. Attends l'autre berceau ; La tombe. Ainsi je songe. Ô printemps ! Chante, oiseau ! 6. Le sacre de la femme - Ève Recueil La lĂ©gende des siĂšcles. Ève offrait au ciel bleu la sainte nuditĂ© ; Ève blonde admirait l'aube, sa soeur vermeille. Chair de la femme ! argile idĂ©ale ! ĂŽ merveille ! PĂ©nĂ©tration sublime de l'esprit Dans le limon que l'Être ineffable pĂ©trit ! MatiĂšre oĂč l'Ăąme brille Ă  travers son suaire ! Boue oĂč l'on voit les doigts du divin statuaire ! Fange auguste appelant le baiser et le coeur, Si sainte, qu'on ne sait, tant l'amour est vainqueur, Tant l'Ăąme est vers ce lit mystĂ©rieux poussĂ©e, Si cette voluptĂ© n'est pas une pensĂ©e, Et qu'on ne peut, Ă  l'heure oĂč les sens sont en feu, Étreindre la beautĂ© sans croire embrasser Dieu ! Ève laissait errer ses yeux sur la nature. Et, sous les verts palmiers Ă  la haute stature, Autour d'Ève, au-dessus de sa tĂȘte, l'oeillet Semblait songer, le bleu lotus se recueillait, Le frais myosotis se souvenait ; les roses Cherchaient ses pieds avec leurs lĂšvres demi-closes ; Un souffle fraternel sortait du lys vermeil ; Comme si ce doux ĂȘtre eĂ»t Ă©tĂ© leur pareil, Comme si de ces fleurs, ayant toutes une Ăąme, La plus belle s'Ă©tait Ă©panouie en dĂ©couvrir aussi PoĂšmes et poĂ©sie sur la nature 7. Tu me vois bon charmant et doux Recueil OcĂ©an vers. Tu me vois bon, charmant et doux, ĂŽ ma beautĂ© ; Mes dĂ©fauts ne sont pas tournĂ©s de ton cĂŽtĂ© ; C'est tout simple. L'amour, Ă©tant de la lumiĂšre, Change en temple la grotte, en palais la chaumiĂšre, La ronce en laurier-rose et l'homme en demi-dieu. Tel que je suis, rĂȘvant beaucoup et valant peu, Je ne te dĂ©plais pas assez pour que ta bouche Me refuse un baiser, ĂŽ ma belle farouche, Et cela me suffit sous le ciel Ă©toilĂ©. Comme PĂ©trarque Laure et comme Horace ÉglĂ©, Je t'aime. Sans l'amour l'homme n'existe guĂšre. Ah ! j'oublie Ă  tes pieds la patrie et la guerre Et je ne suis plus rien qu'un songeur Ă©perdu. 8. Quand deux cƓurs en s'aimant ont doucement vieilli Recueil Toute la lyre. Quand deux coeurs en s'aimant ont doucement vieilli Oh ! quel bonheur profond, intime, recueilli ! Amour ! hymen d'en haut ! ĂŽ pur lien des Ăąmes ! Il garde ses rayons mĂȘme en perdant ses flammes. Ces deux coeurs qu'il a pris jadis n'en font plus qu'un. Il fait, des souvenirs de leur passĂ© commun, L'impossibilitĂ© de vivre l'un sans l'autre. - ChĂ©rie, n'est-ce pas ? cette vie est la nĂŽtre ! Il a la paix du soir avec l'Ă©clat du jour, Et devient l'amitiĂ© tout en restant l'amour ! EnprĂ©ambule ce mercredi de ce conseil des ministres de rentrĂ©e Ă  l'ElysĂ©e, lors d'une allocution devant les ministres exceptionnellement retransmise, Emmanuel Macron a appelĂ© le gouvernement
Victor Hugo est un poĂšte, dramaturge, prosateur et dessinateur romantique français, nĂ© le 26 fĂ©vrier 1802 Ă  Besançon et mort le 22 mai 1885 Ă  Paris. En savoir plus sur Courte biographie de Victor chefs-d'Ɠuvre de Victor Hugo Victor Hugo PoĂšte 1802–1885 Cromwell, Victor Hugo 1827 Drame en cinq actes et en vers de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© Ă  Paris chez Ambroise Dupont en 1827 avec la PrĂ©face». PremiĂšre piĂšce de Hugo, Cromwell, avec plus de 60 personnages, sans compter les foules, 74 scĂšnes, 6 000 vers, dĂ©fie, par son immensitĂ©, la reprĂ©sentation. Comme chez Walter Scott, les cinq actes les ConjurĂ©s», les Espions», les Fous», la Sentinelle», les Ouvriers» dĂ©ploient en divers lieux londoniens un tableau historique oĂč se cĂŽtoient les milieux, les caractĂšres, les intĂ©rĂȘts. Le drame. - Au faĂźte de sa puissance, Cromwell va se faire offrir la couronne par le Parlement et la CitĂ©. En fin politique, il prend ses prĂ©cautions, et, dĂ©guisĂ© en sentinelle, dĂ©couvre une nuit le double complot catholique et puritain montĂ© contre lui. Il attend alors l'heure du sacre pour refuser la dignitĂ© suprĂȘme en une tirade de 130 vers Ah! remportez ce signe exĂ©crable, odieux!», acceptant cependant la transmission hĂ©rĂ©ditaire de son pouvoir, retournant en sa faveur les conjurĂ©s et sĂ©duisant un peuple admiratif. Maudit comme tyran par un prĂ©dicateur, menacĂ© par un fanatique qui sera tuĂ© par la foule, il exprime en un dernier hĂ©mistiche son rĂȘve Quand donc serai-je roi?» Deux conspirations qui Ă©chouent lamentablement aristocrates partisans des Stuarts, puritains rĂ©publicains, un pouvoir neuf en quĂȘte de lĂ©gitimitĂ©, la tentation cromwellienne du sceptre, la prĂ©sence massive d'un peuple passif, muet, atomisĂ© faute d'unitĂ© organique, et surtout l'importance du grotesque incarnĂ© par les quatre fous du lord protecteur chantant la marche au nĂ©ant du dictateur tout sert ici Ă  mettre en valeur un gĂ©ant sublime, gĂ©nial et sombre. A la fois CaĂŻn et Satan proche aussi de NapolĂ©on, exhibant faiblesses ou petitesses, condamnĂ© Ă  l'Ă©chec, il s'impose nĂ©anmoins dans sa solitude grandiose. Par la bouche de prophĂštes comme Milton, l'invocation Ă  Dieu en appelle Ă  la Providence, dont la volontĂ© se dessine obscurĂ©ment dans une histoire toute de bruit, de fureur et d'interrogation passionnĂ©e. La poĂ©tique de l'antithĂšse met en scĂšne et anime les contradictions Ă  tous les niveaux au sein des personnages, des forces antagonistes, des causes au centre desquelles la figure de Cromwell, Satan [qui] veut ĂȘtre Dieu», tente l'impossible fusion. Ce n'est pas trop d'une soirĂ©e entiĂšre pour dĂ©rouler un peu largement tout un homme d'Ă©lite, toute une Ă©poque de crise» dit Hugo c'est avouer par prĂ©tĂ©rition que la piĂšce est injouable. Écrite en septembre 1827 juste aprĂšs l'ultime achĂšvement de la piĂšce, la PrĂ©face» en fait une postface se donne comme un manifeste et entend proposer une esthĂ©tique gĂ©nĂ©rale du drame. Redisposant des Ă©lĂ©ments empruntĂ©s Ă  De la littĂ©rature et Ă  De l'Allemagne de Mme de StaĂ«l, au GĂ©nie du christianisme de Chateaubriand, au Cours de littĂ©rature dramatique de Schlegel, au Racine et Shakespeare de Stendhal, et les rĂ©interprĂ©tant d'un point de vue libĂ©ral issu de Guizot et du Globe, la PrĂ©face» s'organise en une partie historique les trois Ăąges de l'humanitĂ© et une thĂ©orie du genre. La PrĂ©face». La thĂ©orie des trois Ăąges». L'Ă©volution de la littĂ©rature reflĂšte celle de l'humanitĂ© La poĂ©sie se superpose toujours Ă  la sociĂ©tĂ©.» Aux temps primitifs, la vie pastorale engendre le lyrisme, cette crĂ©ation spontanĂ©e. Avec les États apparaissent la guerre et ses consĂ©quences littĂ©raires, le poĂšme hĂ©roĂŻque et la tragĂ©die des temps antiques. C'est l'Ăąge de l'Ă©popĂ©e. Le christianisme oppose le corps Ă  l'Ăąme, la terre au ciel. L'homme Ă©prouve le combat qui se livre en lui entre les tendances rĂ©sultant de ses deux natures. De ce combat naĂźt la forme dramatique. C'est l'Ăąge du drame, oĂč tout vient aboutir dans la poĂ©sie moderne». La thĂ©orie du drame. Le drame doit donc illustrer l'idĂ©e chrĂ©tienne de l'homme, composĂ© de deux ĂȘtres, l'un pĂ©rissable, l'autre immortel; l'un charnel, l'autre Ă©thĂ©ré». - Le mĂ©lange des genres. Dans l'ocĂ©an du drame» se mĂȘlent les genres, car les sĂ©parer reviendrait Ă  isoler arbitrairement tel ou tel aspect. Harmonie des contraires», sa poĂ©sie traduit le rĂ©el, combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque». - L'abandon des unitĂ©s. Contre la sclĂ©rose du passĂ©, l'ancien rĂ©gime littĂ©raire», la critique se focalise essentiellement sur la tragĂ©die. Acceptant l'unitĂ© d'action, la seule vraie et fondĂ©e», mais la dĂ©finissant comme unitĂ© d'ensemble, loi de perspective du théùtre», Hugo rĂ©cuse l'unitĂ© de lieu, invraisemblable et mortelle pour l'action tragique et le spectacle historique. L'unitĂ© de temps, quant Ă  elle, mutile La cage des unitĂ©s ne renferme qu'un squelette.» Retournant contre les classiques leur argumentation, Hugo dĂ©nonce tout ce qui s'oppose Ă  la raison et au goĂ»t. - La couleur locale. Contre les conventions restrictives et stĂ©rilisantes, le drame dĂ©ploie en toute libertĂ© les dimensions de l'Histoire. Miroir de concentration», point d'optique» ne reconnaissant d'autres rĂšgles que les lois gĂ©nĂ©rales de la nature», car tout ce qui est dans la nature est dans l'art», il Ă©labore une rĂ©alitĂ© supĂ©rieure. La couleur locale, cette sĂšve», imprĂšgne et nourrit l'oeuvre entiĂšre. - La libertĂ© dans l'art. La difficultĂ© voilĂ  le critĂšre suprĂȘme, la clĂ© du domaine de l'art. D'oĂč l'exaltation du vers, libre, franc, loyal», prenant comme ProtĂ©e mille formes». Parcours de toute la gamme poĂ©tique», l'Ă©criture du drame rend chaque mot sacré», et l'idĂ©e, trempĂ©e dans le vers, prend soudain quelque chose de plus incisif et de plus Ă©clatant. C'est le fer qui devient acier». Le tout et l'infini poĂ©tique de la totalitĂ©, le drame exhibe les prestiges du grotesque, infinie diversitĂ© du mal, forme multiple des forces souterraines, et exprime le gĂ©nie, cette raison infinie, absolue du crĂ©ateur», dont William Shakespeare approfondira la thĂ©orie. D'un cĂŽtĂ© le difforme et l'horrible», de l'autre le comique et le bouffon» le grotesque exerce une double fonction. Le contraste permet de mieux percevoir la beautĂ©, et il ouvre sur les profondeurs du monde. Cosmique, dĂ©tail d'un grand ensemble qui s'harmonise, non pas avec l'homme, mais avec la crĂ©ation tout entiĂšre», le grotesque renvoie aussi au peuple. AlliĂ© au sublime, il est l'ombre mĂȘlĂ©e Ă  la lumiĂšre. Apologie du gĂ©nie poĂ©tique, manifeste du temps des prophĂštes et des mages romantiques, la PrĂ©face» cĂ©lĂšbre la libertĂ© du crĂ©ateur, inventeur de lois analogues Ă  celles de l'univers. Grand accordeur, il Ă©tablit les liens entre l'homme et le monde, chante l'harmonie fondatrice, embrasse l'Histoire. Totalisation et exploitation, la forme dramatique permet de dominer l'avenir. La PrĂ©face» s'achĂšve sur un examen de l'oeuvre. Revendiquant l'Ă©normitĂ©, elle l'attribue Ă  l'envie de jouer de tous ces hommes». Soulignant ironiquement que le drame ne sort pas de Londres» et commence le 25 juin 1657 Ă  trois heures du matin et finit le 26 Ă  midi», Hugo se place sous l'autoritĂ© de l'Histoire. Balayant l'objection de la dĂ©mesure, il revient sur la caractĂ©ristique du théùtre romantique celui-ci procure des jouissances par la synthĂšse des plaisirs sĂ©rieux» et folĂątres». Seule une critique des beautĂ©s, sensible aux contrastes, se mettra au diapason de l'art nouveau. Viennent les critiques, le poĂšte existe!A ne pas manquer Anthologie poĂ©tique de Victor Hugo Dieu, Victor Hugo 1891 PoĂšme inachevĂ© de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© Ă  Paris chez Hetzel-Quantin en 1891 dans l'Ă©dition dite ne varietur» des Oeuvres. Dieu n'existe pas entrepris semble-t-il en 1855 Ă  Jersey pour ĂȘtre l'une des apocalypses» destinĂ©es au dernier livre des Contemplations, Solitudines Coeli» forme le premier ensemble d'un poĂšme sur les religions» 1 946 vers. Repris et amplifiĂ© Ă  Guernesey 3 710 vers, complĂ©tĂ© par "l'Esprit humain" Ă©crit en 1856, il est dĂ©sormais pensĂ© comme la premiĂšre partie de Dieu. Un deuxiĂšme ensemble, les Voix du seuil», est Ă©galement composĂ© en 1856-1857. Dieu comporte alors deux parties, dont Hugo remanie sans cesse les titres. On adopte gĂ©nĂ©ralement aujourd'hui la disposition suivanteI. Solitudines Coeli» ou l'OcĂ©an d'en haut», 3 348 vers "la Chauve-souris", "le Hibou", "le Corbeau", "le Vautour", "l'Aigle", "le Griffon", "l'Ange", "la ClartĂ©". II. Les Voix du seuil» ou le Seuil du gouffre» "l'Esprit humain" 368 vers et deux variantes de 51 et 82 vers, "les Voix" 1 891 vers en 21 sections. Fragments» plus de 7 000 vers. On ne peut que rĂȘver Ă  ce poĂšme, destinĂ© Ă  rester Ă©ternellement ouvert, mĂȘme si l'Ă©diteur Hetzel a jouĂ© un rĂŽle primordial en dĂ©courageant Hugo de publier ces dĂ©veloppements invendables». Peut-ĂȘtre l'Ă©clatement des fragments rend-il le mieux compte du projet hugolien. ComposĂ©s de manuscrits, notes et copies de tous formats, ils s'organisent en sous-sections d'un traitĂ© de thĂ©ologie en quelque sorte nĂ©gative. Dans les deux ensembles structurĂ©s, le poĂšte dialogue avec une sĂ©rie d'animaux symboliques reprĂ©sentant successivement l'athĂ©isme, le scepticisme, le manichĂ©isme, le paganisme, le judaĂŻsme et le christianisme, puis avec l'esprit humain et des voix. Il s'agit de comprendre l'Ă©nigme de la crĂ©ation et de la destinĂ©e, interrogation qui motive une poĂ©tique vertigineuse. Combat dĂ©sespĂ©rĂ© contre l'impuissance du langage Ă  transcrire l'immensitĂ© des vĂ©ritĂ©s ou les abĂźmes du questionnement L'idĂ©e Ă  peine Ă©clĂŽt que les mots la dĂ©font», le poĂšme se fait inlassable profĂ©ration Ă  l'assaut de l'indicible. Le poĂšte, ayant pour mission de saisir l'inconnu», entretient avec l'ĂȘtre une mystĂ©rieuse intimitĂ© et entraĂźne le lecteur dans une ascension de la pensĂ©e humaine. Se met en scĂšne la tentation du savoir absolu et dĂ©finitif, confrontĂ© Ă  d'insurmontables contradictions. LumiĂšre et opacitĂ© se mĂȘlent, l'homme se rĂ©vĂšle monstre et gĂ©nie, esprit et matiĂšre dialoguent. Toute la thĂ©matique hugolienne se dĂ©ploie, embrassant l'itinĂ©raire de l'homme, le travail de l'humanitĂ© pour devenir elle-mĂȘme, en route vers l'incomprĂ©hensible incontestable». La mĂ©taphysique d'un vieillard tournĂ© vers Dieu» rĂ©cupĂšre un christianisme auquel est reprochĂ© finalement son Enfer Ă©ternel, et, malgrĂ© l'inachĂšvement du poĂšme, nous offre l'expression la plus complĂšte d'une pensĂ©e traversĂ©e d'Ă©blouissements. Parmi les autres grands textes hugoliens traitant de l'interrogation religieuse, l'Ane 1880, poĂšme de 2 762 vers prĂ©cĂ©dĂ©s de douze alexandrins liminaires, met en scĂšne cet animal en le douant de la parole rĂ©fĂ©rence Ă  l'Ăąnesse de Balaam, et lui fait parcourir l'ensemble de la science, de la philosophie des religions et de la thĂ©ologie en une traversĂ©e dĂ©risoire. L'Ăąne Patience, complĂ©tant le message du Pape 1878 et de Religions et Religion 1880, raille l'aveugle orgueil humain et dĂ©veloppe, contre l'athĂ©isme et le clĂ©ricalisme, une apologĂ©tique de la prĂ©sence invisible et sensible de Dieu». La fin de Satan, Victor Hugo 1886 PoĂšme de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© Ă  Paris chez Hetzel et Quantin en 1886. Comme Lamartine Jocelyn et la Chute d'un ange, Hugo voulut Ă©crire une Ă©popĂ©e de l'Ăąme Ă©difice inachevĂ©, et dont l'Ă©diteur Hetzel dĂ©conseilla la publication. L'idĂ©e d'une fin de Satan est devenue au XIXe siĂšcle un lieu commun qui inspire aussi bien Vigny Éloa, 1824 que Soumet la Divine ÉpopĂ©e, 1840, Esquiros comme George Sand. CommencĂ©e en 1854, l'oeuvre est prĂ©sentĂ©e dans la PrĂ©face de la LĂ©gende des siĂšcles comme formant avec Dieu et ce recueil une trilogie oĂč se rĂ©verbĂšre le problĂšme unique, l'Etre, sous sa triple face l'HumanitĂ©, le Mal, l'Infini». Le poĂšme aurait dĂ» comporter un troisiĂšme livre - la Prison» -, mettant en scĂšne le rĂ©veil de quatre squelettes dans la Bastille, Ă©voquant les figures de Camille et Lucile Desmoulins, dĂ©crivant enfin la prise de la Bastille Hugo ne l'Ă©crira jamais. Les 5 500 vers se centrent autour des deux livres, le Glaive» 818 vers en six strophes» et le Gibet» 2 642 vers en trois sections. Alternent avec ces deux grands ensembles, les trois parties de Hors de la terre» 1 126 vers. Enfin "la PremiĂšre Page" 256 vers s'intercale entre "Hors de la terre", I, et le livre premier; l'ange Liberté» 676 vers Ă©tant placĂ© en conclusion. L'argument dĂ©veloppe les Ă©pisodes de la vie de Satan aprĂšs sa chute. Hors de la terre», I. PrĂ©cipitĂ©, Satan tombe dans l'abĂźme. Autour de lui la nuit se fait, et l'archange banni s'abandonne au dĂ©sespoir. Une plume de ses ailes est restĂ©e au bord du gouffre» "Et nox facta est". La PremiĂšre Page», I, "l'EntrĂ©e dans l'ombre". Isis-Lilith favorise le mal, et Dieu dĂ©clenche le DĂ©luge, pour consentir que le monde revive ensuite; II, "la Sortie de l'ombre". Sur les lieux du Paris futur, Isis brandit les trois instruments du crime de CaĂŻn, l'airain, qui sera glaive; le bois, qui sera gibet; la pierre, qui sera prison. Livre premier. Le Glaive». Nemrod, qui a conquis toute la terre, part Ă  l'assaut du ciel dans une machine volante, en compagnie de l'eunuque ZaĂŻm. Il retombe mort sur la terre. Une flĂšche qu'il avait lancĂ©e est tachĂ©e de sang Avait-il blessĂ© Dieu?» Hors de la terre», II. La plume de Satan se mĂ©tamorphose en un ange-femme, que Dieu nomme Liberté». Livre deuxiĂšme. Le Gibet». Ce rĂ©cit de la Crucifixion, oĂč paraissent de nombreux personnages, se fait d'abord par Barabbas qui clame son horreur et son repentir, puis rĂ©trospectivement par l'Ă©vocation collective du supplice de JĂ©sus, et motive une mĂ©ditation sur le mal et le sacrifice. Hors de la terre», III. Satan monologue, Ă©voquant sa douleur et son dĂ©sir impuissant de vengeance, dĂ©nonçant le chĂątiment Ă©ternel. Une "Chanson des oiseaux" interrompt ce discours, qui aurait dĂ» l'ĂȘtre aussi par un "Chant des astres" et un "Hymne des anges". L'Ange Liberté». Alors que Satan, dĂ©sespĂ©rĂ©, crie L'amour me hait», l'ange LibertĂ© descend dans le gouffre et y affronte Isis-Lilith venue annoncer Ă  Satan la construction de la Bastille, monument de l'oppression. L'ange vainqueur demande Ă  Satan de le laisser remonter sur terre pour libĂ©rer les hommes. Va», dit Satan. Les alexandrins Ă  l'exception de la "Chanson des oiseaux" en vers impairs, 7 et 3 assurent une continuitĂ© narrative et dramatique comportant des plages de mĂ©ditation. Les Ă©pisodes dĂ©clinent un univers poĂ©tique d'une foisonnante richesse, nourrie d'une prodigieuse Ă©rudition, oĂč les antithĂšses se structurent en un vaste systĂšme d'Ă©chos et de symĂ©tries, comme l'ascension de Nemrod, Ă©quivalent humain de la chute de Satan, ou la descente de l'ange LibertĂ© qui inverse cette mĂȘme chute. PoĂ©tisation d'un mythe de fondation, Ă©bauche de prophĂ©tie, la Fin de Satan retourne la perspective maistrienne en identifiant christianisme et RĂ©volution, et approfondit le paradoxe rĂ©volutionnaire l'engendrement du bien par le mal. Construction mutilĂ©e en quĂȘte de sens, Ă  l'image peut-ĂȘtre de l'oeuvre entiĂšre de Hugo, le poĂšme, rĂȘverie Ă©pique, marquĂ© par son atmosphĂšre nocturne, est Ă©crit dans une pĂ©riode oĂč tout semble prouver le triomphe progressif des tĂ©nĂšbres. Utopie contre l'Histoire rĂ©elle, il projette hors de la terre le seul espoir qui reste au PoĂšte de l'humanitĂ©. Faisant entendre le gĂ©missement du genre humain, il se donne comme acte de foi. La lĂ©gende des siĂšcles, Victor Hugo 1859 Recueil poĂ©tique de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© Ă  Paris chez Michel LĂ©vy et Hetzel en 1859 premiĂšre sĂ©rie avec le sous-titre Histoire - les Petites ÉpopĂ©es, chez Calmann-LĂ©vy en 1877 nouvelle sĂ©rie et en 1883 sĂ©rie complĂ©mentaire. Une version refondue en 61 sections paraĂźt en 4 volumes chez Hetzel et Quantin la mĂȘme annĂ©e. Si les Contemplations se dĂ©finissaient comme les MĂ©moires d'une Ăąme», ce nouveau recueil, rĂ©pondant au souhait de l'Ă©diteur Hetzel d'une oeuvre narrative, retrace en une suite d'Ă©pisodes marquants, l'Histoire humaine travaillĂ©e par deux forces, l'amour et la justice, en lutte avec la volontĂ© de puissance. Par ces 26 000 vers 45 000 si l'on y ajoute la Fin de Satan et Dieu, le triple de la Divine ComĂ©die de Dante et le double du Paradis perdu de Milton, Hugo s'approprie Ă  son tour le projet d'une grande Ă©popĂ©e de l'humanitĂ© qui hante le XIXe siĂšcle romantique, et dont Vigny PoĂšmes antiques et modernes, Quinet AhasvĂ©rus ou Lamartine la Chute d'un ange et Jocelyn, prĂ©vus pour l'immense ensemble avortĂ© des Visions, parmi d'autres, ont donnĂ© des exemples de rĂ©alisation. La premiĂšre sĂ©rie comporte 38 poĂšmes, composĂ©s pour la plupart pendant l'exil, parfois amples "Eviradnus" dĂ©passe 1 000 vers ou fort courts "le Temple" et "Mahomet" en ont quatre, et mĂšne en 15 sections trĂšs inĂ©gales d'Eve Ă  JĂ©sus» jusqu'au VingtiĂšme SiĂšcle», puis Hors des temps», en passant par la DĂ©cadence de Rome», l'Italie» ou Maintenant». Elle abonde en piĂšces cĂ©lĂšbres "la Conscience", "Booz endormi" I, "Aymerillot" IV, "le Petit Roi de Galice" V, "la Rose de l'infante" IX, "AprĂšs la bataille" ou "les Pauvres Gens" XIII. "Le Satyre" VIII, miroir condensateur de la pensĂ©e de Hugo» P. Albouy, met en scĂšne, Ă  travers la difficile libĂ©ration humaine, le rayonnement de l'Ăąme universelle», trajet dĂ©crit par le poĂšte, porte-parole des exclus, jusque vers l'avenir de "Plein Ciel" XIV. Plus contemplative, la deuxiĂšme sĂ©rie comprend un poĂšme liminaire, "La vision d'oĂč est sorti ce livre", puis 84 poĂšmes composĂ©s avant et aprĂšs l'exil, rĂ©partis en 28 sections allant de la GenĂšse au Cosmos, parfois situĂ©s Ă  leur place chronologique dans l'Ă©dition dĂ©finitive, mais y formant souvent des blocs non assimilĂ©s. On y trouve plusieurs piĂšces cĂ©lĂšbres, comme "le Romancero du Cid" V, "l'Aigle du casque" IX, "l'ÉpopĂ©e du ver" XI ou "le CimetiĂšre d'Eylau" XXI. La troisiĂšme sĂ©rie rassemble 39 poĂšmes disposĂ©s en 23 sections explorant l'univers des Enfers Ă  l'OcĂ©an, Ă©galement replacĂ©s selon le mĂȘme principe dans l'Ă©dition dĂ©finitive. S'y trouvent notamment "les Quatre Jours d'Elcis" VIII, "la Vision de Dante" XX et "OcĂ©an" XXII, datĂ©s respectivement de 1857, 1853 et 1854. DĂšs Odes et Ballades, Hugo avait retracĂ© en vers trois Ă©tapes de la civilisation, pour dĂ©velopper ensuite la fresque du gĂ©nie humain dans la PrĂ©face» de Cromwell et pour travailler en historien l'intrigue de ses romans, de Notre-Dame de Paris Ă  Quatrevingt-Treize. En 1848, il conçoit un vaste projet dont il a dĂ©jĂ  Ă©crit plusieurs fragments. Cette entreprise ne lui laisse plus de rĂ©pit, et il la mĂšne de front avec ses autres ouvrages, au travers de multiples vicissitudes. L'Ă©criture de la LĂ©gende des siĂšcles gagne lentement son autonomie dans l'immense production textuelle des annĂ©es d'exil. "Le Satyre", ce microcosme achevĂ© le 17 mars 1859, donne enfin son unitĂ© au recueil, en rendant sensible la marche dialectique de l'Histoire des siĂšcles, et le titre dĂ©finitif est trouvĂ©. La PrĂ©face de 1859 explique le caractĂšre fragmentaire de la premiĂšre sĂ©rie, et la rattache Ă  la Fin de Satan et Ă  Dieu, dĂ©nouement» et couronnement» de la LĂ©gende des siĂšcles. La structure de ce premier recueil est supĂ©rieurement travaillĂ©e, mais, par le jeu des interpolations, l'adjonction des deux sĂ©ries suivantes la perturbe fortement, d'autant que celle de 1877 accentue la satire en multipliant les allusions Ă  NapolĂ©on III et Ă  la proscription. Quant Ă  celle de 1883, elle renforce ce phĂ©nomĂšne, et le titre devient une simple commoditĂ©, un principe de classement qui affecte le lien organique nĂ©cessaire Ă  la constitution d'un recueil proprement dit. L'Ă©dition ne varietur», tout en proposant un ordre chronologique, n'occulte pas le caractĂšre irrĂ©mĂ©diablement lacunaire de l'ouvrage. Cependant, des dĂ©roulements somptueux y composent des harmonies symphoniques, oĂč, sur un thĂšme donnĂ©, varient genres ou types de poĂšmes. S'entrelacent morceaux Ă©piques, dramatiques, narratifs ou lyriques, oĂč se modifient constamment les formes. On ne saurait mĂȘme Ă©numĂ©rer les mĂštres et les strophes utilisĂ©s. On a pu dire que Hugo dĂ©ployait avec la LĂ©gende des siĂšcles une musique wagnĂ©rienne. L'Histoire se dĂ©finit comme espace humain, lieu du concret et des mythes. Hugo exerce un perpĂ©tuel va-et-vient de la rĂ©alitĂ© aux constructions imaginaires, en une totalisation vertigineuse Ă©clatĂ©e en rĂ©cits exemplaires ou visions symboliques. Les personnages valent souvent comme types gĂ©nĂ©riques, ainsi ces Chevaliers errants» premiĂšre sĂ©rie, V qui reprĂ©sentent tous les dĂ©fenseurs des opprimĂ©s. "La vision d'oĂč est sorti ce livre" aurait dĂ» inaugurer le recueil, et l'Épilogue, "la Trompette du Jugement" premiĂšre sĂ©rie, XV, lui faire contrepoids, comme "Nox" et "Lux" se rĂ©pondent dans les ChĂątiments. Dans cette architecture, on peut rapprocher "le Sacre de la femme" premiĂšre sĂ©rie, I du "Satyre", naissance et renaissance du genre humain entre ces deux points se dĂ©roule la maturation de la religion, l'apparition de l' islam premiĂšre sĂ©rie, III, le cycle hĂ©roĂŻque chrĂ©tien IV, le combat de la cruautĂ© et de la justice parfois immanente et vengeresse " Ratbert", premiĂšre sĂ©rie, VII, "l'Aigle du casque", la mort des tyrans, le drame des civilisations, le tout prĂ©sentĂ© en une superbe imagerie romantique, travaillĂ©e par enluminure de la couleur locale. Au-delĂ  de l'intervention des hĂ©ros Eviradnus, Roland, la justice se dĂ©ploie dans les accents vengeurs de poĂšmes comme "Welf, Castellan d'Osbor" deuxiĂšme sĂ©rie, VIII, faisant du recueil un livre de colĂšre. Cette Ă©volution crĂ©atrice n'aboutit pas, dans le premier recueil, Ă  la RĂ©volution on passe sans transition du XVIIe siĂšcle du "RĂ©giment du baron Madruce" XII au XIXe. Cependant, "Maintenant" XIII se compose de chants de bontĂ© rendus possibles par les rĂ©volutions en cours, bontĂ© du pĂšre, de l'enfant, de la femme, de la bĂȘte qui n'exclut pas l'hĂ©roĂŻsme. C'est que les siĂšcles se confondent, pour engendrer la douloureuse libĂ©ration humaine. A cette vision historique vient s'ajouter une philosophie de l'univers, oĂč la pensĂ©e de Dieu s'Ă©nonce dans un culte naturiste de la vie et selon une loi de pitiĂ©. La LĂ©gende des siĂšcles illustre superbement la conception hugolienne du poĂšte Ă©pique, celui qui rĂ©sout le problĂšme de la gĂ©nĂ©ration du rĂ©el dans l'art» William Shakespeare. Parlant par paraboles et par hyperboles, il transfigure toute scĂšne en vision lĂ©gendaire, pĂ©nĂ©trĂ©e de mystĂšre et d'infini. De l'humain, il s'agit toujours de s'Ă©lever au symbole par le surhumain. Confluent d'HomĂšre et d'Eschyle [...] oĂč Dante se heurte Ă  Shakespeare», comme le disait le projet de PrĂ©face, le recueil privilĂ©gie le contraste entre les hommes et les tons, les lieux et les Ă©poques, mais accumule en mĂȘme temps les correspondances. La chaĂźne des ĂȘtres, plongeant jusque dans l'invisible, unit l'ordre spirituel Ă  l'ordre physique. Le langage poĂ©tique transcrit cette unitĂ© par les alliances de mots, oĂč l'abstrait se lie au concret La terre avait, parmi des hymnes d'innocence, / Un Ă©tourdissement de sĂšve et de croissance» "le Sacre de la femme", D'Eve Ă  JĂ©sus». L'Ă©popĂ©e se fait alors lyrique et conforte les correspondances de sens par les effets musicaux. La LĂ©gende des siĂšcles dit aussi la gloire de la poĂ©sie. Les annĂ©es funestes, Victor Hugo 1898 Recueil de poĂšmes de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© en 1898; c'est une apologie des principes de la libertĂ©; la RĂ©publique, la DĂ©mocratie, le LaĂŻcisme. Le poĂšte passe en revue les faits importants qui, du 2 dĂ©cembre Ă  la chute de l'Empire, jalonnent pour la France une pĂ©riode funeste alliance avec le Pape contre la libertĂ© de l' Italie, nĂ©gation des idĂ©aux nationaux et humanitaires du siĂšcle. Les premiers poĂšmes chantent la colĂšre du poĂšte-patriote qui, dans son Ăźle de Jersey, face Ă  l'ocĂ©an, veut lutter coĂ»te que coĂ»te contre la tyrannie de NapolĂ©on III c'est, par exemple, "J'ai dit Ă  l'ocĂ©an...". Dans "CĂ©sar", il exprime sa haine du tyran sur un ton vengeur et exaltĂ©; dans "sa conscience", il s'attaque Ă  ceux qui mendient les faveurs du despote et se font ses complices gros bourgeois, mauvais prĂȘtres, paysans qui ignorent tout de la politique. "Les prĂȘtres des faux dieux" a une certaine valeur historique c'est le drame de la France privĂ©e de libertĂ© qui va combattre les peuples jeunes au nom de la tyrannie. Dans "L'Empire atroce", il maudit une sociĂ©tĂ© qui persĂ©cute les innocents et les hommes purs; sur un ton sarcastique, il raille ce gouvernement qui, Ă  la veille de sa ruine, cherche Ă  remĂ©dier Ă  ce qui est condamnĂ© par les faits. Le recueil se termine par "Coups de clairon", datĂ©s de 1870, ces appels qui, devant la tragique rĂ©alitĂ© de l'heure, soutiennent la rĂ©sistance de Paris et chantent la sainte LibertĂ©. Ces poĂšmes tĂ©moignent du sens politique de l'auteur c'est du bon Victor Hugo. SituĂ©s entre "L'histoire d'un crime" et "L'annĂ©e terrible", ils rĂ©vĂšlent une fois de plus l'intrĂ©piditĂ© du chantre de la patrie durant les annĂ©es de combat et de disgrĂące. ChĂątiments, Victor Hugo 1853 Recueil poĂ©tique de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© en deux Ă©ditions simultanĂ©es Ă  Bruxelles par Hetzel avec le concours de l'Ă©diteur belge Henri Samuel en 1853 l'une, expurgĂ©e, avec l'indication Bruxelles, Henri Samuel», l'autre complĂšte, sans nom d'Ă©diteur et avec la mention GenĂšve et New York». A partir de l'Ă©dition de 1870, premiĂšre Ă©dition Ă  circuler librement, le titre avec article les ChĂątiments prĂ©vaudra. Depuis l'Ă©chec théùtral des Burgraves en 1843, Victor Hugo, sans cesser d'Ă©crire, n'a rien publiĂ© ni en poĂ©sie les Rayons et les Ombres sont de 1840, ni en prose le Rhin date de 1842; une seule exception le pamphlet NapolĂ©on-le-Petit 5 aoĂ»t 1852, coup d'État littĂ©raire, rĂ©ponse au coup d'État politique de Louis NapolĂ©on Bonaparte 2 dĂ©cembre 1851 qui a valu au dĂ©putĂ© Hugo, de plus en plus marquĂ© Ă  gauche, l'exil en Belgique, puis Ă  Jersey. Tournant capital dans sa vie, l'exil mĂ©tamorphose Hugo en figure antithĂ©tique du tyran. LĂ -bas dans l'Ăźle», le mage plonge dans l'Histoire alors que la coupure de 1848 a signifiĂ© le divorce de la sociĂ©tĂ© et de la plupart des Ă©crivains, dĂ©sormais repliĂ©s sur leur crĂ©ation. Hugo y gagnera une stature inĂ©galĂ©e dans l'Histoire française celle de l'Ă©crivain hĂ©ros, populaire et mythique. Le 2 DĂ©cembre lui apparaĂźt comme une Ă©nigme. Un tel forfait ne peut s'expliquer que par l'absence momentanĂ©e de Dieu dans une Histoire qu'il orientait vers le progrĂšs. Au proscrit donc de s'inscrire Ă  contre-courant pour dire la vĂ©ritĂ©, au prophĂšte de parler pour un Dieu cachĂ©. Le langage se fait alors Verbe pour ressusciter le monde et, lumiĂšre rayonnante, lui donner ses lois morales, politiques et poĂ©tiques. La PrĂ©face place le recueil sous le signe de la fulgurance Si l'on met un bĂąillon Ă  la bouche qui parle, la parole se change en lumiĂšre, et l'on ne bĂąillonne pas la lumiĂšre.» Le devoir poĂ©tique, l'acte de parole comporte 6 200 vers surtout composĂ©s Ă  partir d'octobre 1852, structurĂ©s selon un principe que Hugo adoptera pour ses recueils futurs. Entre "Nox", nuit du coup d'État, et "Lux", avenir radieux de la RĂ©publique aprĂšs la chute de l'Empire, sept livres, dont les six premiers reprennent les formules officielles par lesquelles l'usurpateur prĂ©tend lĂ©gitimer son forfait, dĂ©clinant par antiphrase les crimes du rĂ©gime et, mimant le parcours de JosuĂ© autour de JĂ©richo "Sonnez, sonnez toujours clairons de la pensĂ©e", livre VII, 1, font surgir la parole vengeresse et justiciĂšre La sociĂ©tĂ© est sauvĂ©e» l, L'ordre est rĂ©tabli» II, La famille est restaurĂ©e» III, La religion est glorifiĂ©e» IV, L'autoritĂ© est sacrĂ©e» V, La stabilitĂ© est assurĂ©e» VI. Quant au septiĂšme, il rĂ©sume en son titre toute l'espĂ©rance du poĂšte Les sauveurs se sauveront» VII. L'unitĂ© d'inspiration va de pair avec la diversitĂ© des tons violence indignĂ©e, accents pathĂ©tiques, ironie assassine, gouaille, passion, sarcasmes, sublimes envolĂ©es... La parole poĂ©tique, jugement, sentence et exĂ©cution, doit en effet se dĂ©multiplier en autant d'actes, en un florilĂšge des genres. Si les recueils prĂ©cĂ©dents privilĂ©giaient la couleur, obtenant ainsi leur unitĂ© tonale, les ChĂątiments dĂ©ploient Ă©lĂ©gie, Ă©popĂ©e, invective, chanson le mot sert cinq fois de titre, satire, diatribe, discours, fable "Fable ou Histoire", III, 3, vision prophĂ©tique. "Nox", dont les neuf parties varient les mĂštres et les strophes, se prĂ©sente comme une ouverture. Microcosme concentrant les thĂšmes de l'oeuvre, le poĂšme tire sa dynamique des tons modulĂ©s indignation, raillerie bouffonne, satire Ă©pique, Ă©popĂ©e lyrique, caricature. Histoire symbolique de l'Ă©vĂ©nement, rappel dĂ©valorisant de l'oncle glorieux, tableau de l'orgie des gens d'ordre, Ă©vocation grandiose des victimes, puis de la sinistre dĂ©rision impie du "Te Deum", dialogue de l'exilĂ© debout sur son rocher avec la mer, appel Ă  la vengeance au nom de l'IdĂ©e Ă  qui tout cĂšde et qui toujours Ă©claire», enfin invocation Ă  la muse Indignation pour dresser Assez de piloris pour faire une Ă©popĂ©e» le poĂšme contient en germe tout le recueil. + cette piĂšce initiale rĂ©pond le dernier poĂšme, "Ultima Verba" VII, 14. Ses seize quatrains, symboliquement datĂ©s du 2 dĂ©cembre 1852, qu'inaugure une longue pĂ©riode, suivie d'une Ă©lĂ©gie de l'exil, installent dĂ©finitivement la figure du poĂšte, refusant orgueilleusement de flĂ©chir devant l'adversitĂ© et les puissances coalisĂ©es autour du CĂ©sar criminel. La voix qui dit malheur! la bouche qui dit non!» peut alors lancer le dĂ©fi d'Ego Hugo», faisant de la solitude la vertu suprĂȘme Et s'il n'en reste qu'un je serai celui-lĂ !» L'Épilogue, "Lux", reprend l'alternance strophique et mĂ©trique de "Nox" pour prophĂ©tiser la dĂ©livrance, garantie par Dieu, et, au-delĂ , l'Ă©panouissement de l'homme sous le ciel». Fin de l'Histoire, accomplissement des fins derniĂšres, apothĂ©ose de la libertĂ©, l'avenir se couvre de l'arbre saint du ProgrĂšs». Un trajet mythique organise donc le recueil. D'abord voix, le banni debout sur la grĂšve / Contemplant l'Ă©toile et le flot», le poĂšte, se dressant en pleine clartĂ©, devient moi. Force cosmique, la parole poĂ©tique signale le passage du je» hugolien Ă  un autre, un auteur au sens le plus fort. Expression de la conscience dilatĂ©e d'un sujet de l'Histoire, dont il dĂ©signe pour la combler la bĂ©ance, initiation Ă  la puissance divine, dĂ©chiffrement, les ChĂątiments valent, selon l'expression de Pierre Albouy, comme un livre-monde». Cet univers livresque nĂ© d'un coup d'État contient une Ă©popĂ©e de l'humanitĂ©, annonçant l'ambition de la LĂ©gende des siĂšcles. Tyrans et criminels depuis CaĂŻn aboutissent Ă  NapolĂ©on III I, 5; I, 7; V, 6; VI, 5...; depuis Judas, la lignĂ©e des traĂźtres se continue chez ses acolytes; grands ancĂȘtres VII, 7, libĂ©rateurs et martyrs ressuscitent en Hugo VII, 9 . Si la conception romantique dĂ©gageait l'union des contraires, si le drame s'Ă©tait constituĂ© comme son genre totalisant, le recueil accentue le travail sur l'antithĂšse. Farce et Ă©popĂ©e, grotesque et terreur, le spectacle de la nouvelle sociĂ©tĂ© issue du crime se trouve exposĂ© sous autant d'Ă©clairages violents III, 1 et III, 4; il n'est plus d'asile pour le poĂšte confrontĂ© Ă  ce terrible cortĂšge d'avortons hideux VI, 14. Le motif nocturne, associĂ© au crime, scande le livre "Cette nuit-lĂ ", I, 5; "C'est la nuit la plus noire", I, 14; "On loge Ă  la nuit", IV, 13; "Cette nuit, il pleuvait", VII, 8. Afin de clouer au pilori ces bandits et ces pantins sont convoquĂ©es les grandes ombres du panthĂ©on littĂ©raire JuvĂ©nal VI, 13, Dante, Rabelais, Shakespeare, Beaumarchais "Splendeurs", III, 8. La satire dĂ©chire fĂ©rocement dĂ©vots I, 3 et 8, boutiquiers III, 7, journalistes IV, 4, juges IV, 3, "les Grands Corps de l'État" V, 7, conservateurs VII, 11, courtisans du sĂ©rail III, 5... le tout formant "le Parti du Crime" VI, 11 cĂ©lĂ©brant d'ignobles et bouffonnes "Idylles" II, 1. Si l'oppression Ă©touffe l'Europe entiĂšre I, 12, la fĂȘte impĂ©riale bat son plein en de monstrueuses Ă©pousailles avec la nation III, 10, faisant du rĂ©gime une suite d'orgies I, 10; III, 9; III, 13, transformant la France en lupanar, maison de jeu et cloaque VII, 4, souillĂ© de vin et de sang. Tout un registre de motifs sadiques et physiologiques se dĂ©roule dans les poĂšmes, Ă©popĂ©e rouge et noire. La fureur homicide gĂźt au coeur des ChĂątiments, dĂ©veloppĂ©e Ă  partir du dĂ©sir de vengeance et de fustigation VII, 3. Face Ă  cette tourbe, la troupe martyre des victimes, Ă  laquelle se joignent les dĂ©portĂ©s IV, 12; VI, 3 et les femmes VI, 2, impose respect et pitiĂ© I, 4; II, 3. TancĂ©, admonestĂ© II, 2 ou VI, 6, rĂ©duit, Ă  l'exception des femmes, Ă  un troupeau "Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent...", IV, 9, le peuple, ainsi que la nation avilie "Applaudissements", VI, 16 doivent ĂȘtre sauvĂ©s par unesprit vengeur» I, 11. Mais c'est bien en ce peuple dĂ©gradĂ© que rĂ©side l'espoir VI, 9. Fil rouge du recueil, l'Ă©popĂ©e impĂ©riale, la seule, la vraie, est constamment rappelĂ©e, puisque le mal, ce nĂ©ant, prend les apparences de l'ĂȘtre. NapolĂ©on le Grand Ă©crase le Petit VII, 6 de "Toulon" I, 2 Ă  la morne plaine de Waterloo "l'Expiation", V, 13 en passant par Wagram "O drapeau de Wagram! ĂŽ pays de Voltaire!", V, 5, tout insulte les abeilles du "Manteau impĂ©rial" V, 3, sans effacer pourtant le prĂ©cĂ©dent du 18 Brumaire. A la soldatesque, avide de rĂ©pression, privĂ©e de perspective glorieuse "la Reculade", VII, 2, s'opposent les hĂ©ros de jadis, soldats de l'an II II, 7 et les immortelles phalanges des guerres impĂ©riales. Mais, au nom de la "Force des choses" VII, 12, il ne faut point, pour punir l'homme qui rit III, 2, cet empereur qui s'amuse III, 10, de tyrannicide "Non", III, 16; "Sacer esto", IV, 1. " L'Aube " illuminĂ©e viendra IV, 10, comme l'affirment "Stella" VI, 15, "Luna" VI, 7, puis "Patria" VII, 7. Aux ombres terrifantes succĂ©deront les rayons cĂ©lestes. Souvent animalisĂ© en loup ou en singe, citĂ© Ă  comparaĂźtre devant la face divine du soleil I, 4, dans un cosmos oĂč rĂ©sonnent les voix allĂ©goriques "le Bord de la mer", III, 15,"NapolĂ©on III" VI, 1, dont le "Sacre" se chante sur l'air de Malbrouck» V, 1 devra rĂ©pondre devant "le ProgrĂšs calme et fort, et toujours innocent" V, 8. Le mal et Satan seront vaincus. Les contemplations, Victor Hugo 1856 Recueil poĂ©tique de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© simultanĂ©ment Ă  Bruxelles chez Alphonse LebĂšgue et Cie et Ă  Paris chez Pagnerre et Michel LĂ©vy en 1856. Les 11 000 vers des Contemplations furent Ă©crits dĂšs 1834, mais surtout pendant l'exil Ă  Jersey, puis Ă  Guernesey, en particulier Ă  partir de 1853 alors que Hugo composait les ChĂątiments. Mettant fin au silence lyrique qu'il observait depuis les Rayons et les Ombres 1840, le recueil, sommet de sa production poĂ©tique, somme de sa vie, de sa sensibilitĂ© et de sa pensĂ©e, se prĂ©sente comme les MĂ©moires d'une Ăąme» PrĂ©face. Si une destinĂ©e est Ă©crite lĂ  jour Ă  jour», le recueil s'Ă©rige aussi en expression d'une expĂ©rience, celle d'un homme qui se veut comme les autres Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous.» Si l'exil politique se fait de plus en plus figure du hors-lieu ou du hors-jeu, s'il se mĂ©tamorphose en poĂšme, et informe les Contemplations, un autre exil, affectif et moral celui-lĂ , la mort de sa fille LĂ©opoldine, tragiquement noyĂ©e Ă  Villequier avec son mari Auguste Vacquerie le 4 septembre 1843, rend nĂ©cessaire la reconstruction par l'Ă©criture poĂ©tique d'un sens de la vie. Mais ce deuil n'est que la terrible image d'une mort encore plus essentielle, celle d'un moi sublimĂ© en poĂšte. Le recueil transcrit l'itinĂ©raire spirituel d'un je» poĂ©tique tout en accumulant les expĂ©riences du moi personnel. La contemplation devient le point de vue d'une Ăąme aprĂšs la mort, une posture poĂ©tique qui Ă©quivaut Ă  l'activitĂ© poĂ©tique mĂȘme Ce livre doit ĂȘtre lu comme celui d'un mort» PrĂ©face. La structure du livre, cette grande pyramide» A Hetzel, 31 mai 1855, reflĂšte cette dĂ©marche. Si en 1854 Hugo pensait Ă  quatre sections Ma jeunesse morte», Mon coeur mort», Ma fille morte», Ma patrie morte», il s'arrĂȘte finalement Ă  un dyptique articulĂ© autour de deux parties d'Ă©gale ampleur, Autrefois» 77 piĂšces et Aujourd'hui» 59 textes, diptyque centrĂ© sur la mort de LĂ©opoldine Un abĂźme les sĂ©pare, le tombeau», PrĂ©face. Chacune de ces parties comporte trois livres qui sont autant d'Ă©tapes de ce cheminement sortant de l'Ă©nigme du berceau et aboutissant Ă  l'Ă©nigme du cercueil» PrĂ©face, et dont les poĂšmes se voient attribuer une date fictive de rĂ©daction, ceux de la premiĂšre partie Ă©tant censĂ©s avoir Ă©tĂ© rĂ©digĂ©s avant 1843. Le recueil, livre d'un mort, se donne aussi comme le livre d'une morte, encadrĂ© par les poĂšmes-dĂ©dicaces, "A ma fille", "A celle qui est restĂ©e en France". Livre de la jeunesse, Aurore» 29 piĂšces Ă©voque les souvenirs de collĂšge "A propos d'Horace", les premiers Ă©mois amoureux "Lise"; "Vieilles Chansons du jeune temps", avec l'un des plus beaux poĂšmes Ă©rotiques de Hugo "Elle Ă©tait dĂ©chaussĂ©e, elle Ă©tait dĂ©coiffĂ©e", rappelle les combats littĂ©raires, mais chante aussi le printemps "Vere novo", la rĂȘverie devant la nature "Le poĂšte s'en va dans les champs. Il admire" ou un spectacle en plein air "la FĂȘte chez ThĂ©rĂšse". Livres des amours, l'Ame en fleur» 28 piĂšces embrasse la passion pour Juliette Drouet, la dĂ©clinant depuis les premiers temps de leur union, leurs promenades en forĂȘt de Fontainebleau ou dans la vallĂ©e de la BiĂšvre "Viens! - une flĂ»te invisible", joies, extases et Ă©preuves, querelles et rĂ©conciliations. Pour elle, il note des impressions de voyage "Lettre", ou Ă©crit un "Billet du matin". TantĂŽt il lui laisse la parole "Paroles dans l'ombre", tantĂŽt il rappelle "le Rouet d'Omphale", pĂ©rennisant les moments heureux "Hier au soir"; "Mon bras pressait ta taille frĂȘle". Les Luttes et les RĂȘves» 30 piĂšces constituent le livre de la pitiĂ© pour la misĂšre moderne "Melancholia"; "le MaĂźtre d'Ă©tudes", "A la mĂšre de l'enfant mort", flĂ©trissant les persĂ©cutions infligĂ©es aux hommes de bien, dĂ©nonçant ces flĂ©aux, la guerre et la tyrannie "la Source"; "la Statue", ou ce scandale, la peine de mort "la Nature". DĂ©crivant le chĂątiment des maudits "Saturne", Hugo interprĂšte philosophiquement le mal comme une Ă©preuve "Explication". AprĂšs la bĂ©ance de la sĂ©paration, c'est Pauca meae» - quelques vers pour ma fille» - 17 piĂšces, le livre du deuil. TantĂŽt se rĂ©voltant contre la cruautĂ© du destin "Trois Ans aprĂšs" ou Ă©voquant la terrible Ă©preuve "Oh! je fus comme un fou dans le premier moment", n'oubliant pas son gendre "Charles Vacquerie", tantĂŽt s'attendrissant au souvenir du passĂ© "Elle avait pris ce pli"; "Quand nous habitions tous ensemble"; "Elle Ă©tait pĂąle, et pourtant rose"; "O souvenirs! printemps! aurore!", tantĂŽt se soumettant Ă  la volontĂ© divine "A Villequier", il associe enfin Ă  l'idĂ©e de la mort l'espoir dans l'au-delĂ  "Mors". En marche» 26 piĂšces met en scĂšne l'Ă©nergie retrouvĂ©e, qui apparaĂźt dans le passage de "Charles Vacquerie", le gendre, Ă  "+ Aug. V.", le compagnon d'exil. Le poĂšte l'investit dans la mĂ©ditation, depuis les impressions de promenade "Pasteurs et Troupeaux" jusqu'aux pensĂ©es sur la condition humaine "Paroles sur la dune", depuis le spectacle quotidien "le Mendiant" jusqu'Ă  l'"Apparition", sans oublier le souvenir d'enfance "Aux Feuillantines" ni le chien familier "Ponto". Le livre VI nous mĂšne Au bord de l'infini» 26 piĂšces. Livre des certitudes, itinĂ©raire "Ibo", il se peuple de spectres, d'ombres, d'anges et, franchissant "le Pont", ouvrant sur le gouffre, parcourt l'espace mĂ©taphysique entre angoisse "HĂ©las! tout est sĂ©pulcre" et espĂ©rance "Spes"; "Cadaver" pour prophĂ©tiser "Ce que dit la bouche d'ombre", comme "les Mages", l'universel pardon. Le livre VI, plus qu'il n'Ă©quilibre les autres, en constitue l'aboutissement. Tout le mouvement du recueil mĂšne Ă  ces rĂ©vĂ©lations ultimes. Approfondissement mĂ©nagĂ© par une progression et de subtiles symĂ©tries ou Ă©chos, trop nombreux pour ĂȘtre Ă©numĂ©rĂ©s "Melancholia", III, 2, et "les Malheureux", V, 26; "Halte en marchant", I, 29, et "Ibo", VI, 2; "Magnitudo parvi", III, 30, et "les Mages", VI, 23, mais qui Ă©rigent le recueil en combinatoire selon une stratĂ©gie de significations entrecroisĂ©es. La circularitĂ© se trouve supĂ©rieurement illustrĂ©e par l'ultime piĂšce, "Ce que dit la bouche d'ombre", composĂ©e la derniĂšre, et datĂ©e du jour des Morts 2 novembre 1855. Retournement qui superpose conquĂȘte des vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es et rĂ©itĂ©ration du point de dĂ©part. Comme les ChĂątiments, qui annonçaient la RĂ©publique universelle, assomption de l'Histoire, les Contemplations anticipent sur la mort en mimant la production et le progrĂšs d'une parole. Au lieu de renvoyer Aujourd'hui» vers le passĂ© aboli de la poĂ©sie pure», celle d'un moi personnel, cet achĂšvement, ou cet accomplissement poĂ©tique, rĂ©cupĂšre tout le livre comme lyrisme dĂ©sormais pertinent, assumĂ© parce que sublimĂ©, pour le nouveau je», celui que la double fracture, politique et affective, a fait naĂźtre. L'ouvrage cependant ne saurait se rĂ©duire Ă  cette architecture certes complexe mais Ă©purĂ©e, trop lisible. La multiplicitĂ© des thĂšmes, des entrĂ©es possibles, des recoupements, la dispersion autant que les rassemblements le rendent foisonnant, vertigineux. De "l'Enfance" I, 23 Ă  l'au-delĂ  "Voyage de nuit", VI, 19, de "Horror" Ă  "Dolor" VI, 16 et 17, des bruissements de la nature "En Ă©coutant les oiseaux", II, 9, de ses voix "Mugitusque boum", V, 17 aux "Pleurs dans la nuit" VI, 6, de "la Vie aux champs" I, 6 aux "Baraques de la foire" III, 19, "CrĂ©puscule" II, 26, "Lueur au couchant" V, 16, "Éclaircie" VI, 10, "Insomnie" III, 20... tout accĂšde Ă  la dignitĂ© poĂ©tique, en une immense "Religio" VI, 20, car tout est un temple. Le sacrĂ© ou la rĂ©fĂ©rence Ă  l'antique, comme pour mieux s'approprier l'Ă©ternitĂ©, se manifeste dans les titres latins "Quia pulvis est", III, 5; "Dolorosae", V, 12; "Nomen, Numen, Lumen", VI, 25 et douze autres; mais depuis la dĂ©signation du modĂšle "Épitaphe", III, 15 jusqu'au "?" III, 11, entre les odes dĂ©diĂ©es depuis "A AndrĂ© ChĂ©nier", I, 5 jusqu'"Aux arbres", VI, 24 et l'indication programmatrice "la Chouette", III, 13, une gamme titulaire jalonne les sentiers du recueil, pistes de la rĂȘverie, de la rĂ©flexion, du souvenir, de la mĂ©lancolie, de la souffrance ou de l'Ă©lĂ©vation. Tout un Ă©ventail d'inspirations et de rĂ©sonances s'ouvre entre les vers simples et poignants du cĂ©lĂ©brissime "Demain dĂšs l'aube" IV, 14 et les dĂ©veloppements cosmiques et mĂ©taphysiques de "Ce que dit la bouche d'ombre" VI, 26, entre le badinage libertin "la Coccinelle", I, 15 et la vĂ©hĂ©mence "Écrit en 1846", V, 3, entre "Aimons toujours! aimons encore!" I, 22 et l'interrogation de "Saturne" III, 3, entre la dĂ©rĂ©liction de "Veni, vidi, vixi" IV, 13 et les enchantements des "Joies du soir" III, 26. A ce dĂ©ploiement prodigieux correspond un festival prosodique. Tous les mĂštres et les genres lyriques parfois exhibĂ©s comme dans "Églogue", II, 12 ou "Chanson", II, 4, idylles, Ă©lĂ©gies et odes Ă©tant les plus nombreuses, toutes les combinaisons strophiques, toutes les ampleurs se rĂ©partissent dans ce livre-monde. La langue hugolienne embrasse le rĂ©el et le surnaturel, le haut et le bas, opĂšre la rĂ©volution dans les lettres, comme le revendique vigoureusement "RĂ©ponse Ă  un acte d'accusation" I, 7. L'alexandrin sait se grandir jusqu'Ă  la pĂ©riode rhĂ©torique ou suggĂ©rer le vertige de l'infini, montrer sa charpente ou mĂ©nager des brisures. Art superbement maĂźtrisĂ© du contraste entre les grĂąces plastiques et les visions olympiennes, l'Ă©criture hugolienne offre toutes les capacitĂ©s du "PoĂšte" III, 28, gĂ©ant monstrueux de la taille d'un Shakespeare. Peinture de l'humanitĂ© et prise en charge de ses destinĂ©es, forme du temps, les Contemplations sont en dĂ©finitive l'oeuvre dusecrĂ©taire de Dieu» P. Albouy. Hugo, homme crucifiĂ©, peut dire Homo sum» il rĂ©unit les deux mondes, le gouffre obscur et l'espace lumineux. Hernani ou l'Honneur castillan, Victor Hugo 1830 Drame en cinq actes et en vers de Victor Hugo 1802-1885, créé Ă  Paris Ă  la ComĂ©die-Française le 21 fĂ©vrier 1830, et publiĂ© en prĂ©-originale dans le Cabinet de lecture du 4 mars au 4 avril 1830 sous le titre Hernani ou la Jeunesse de Charles Quint», et en volume Ă  Paris chez Mame et Delaunay en 1830. AprĂšs la PrĂ©face-manifeste de Cromwell 1827, aprĂšs l'entrĂ©e du drame romantique Ă  la ComĂ©die-Française le 11 fĂ©vrier 1829 avec le Henri III et sa cour d'Alexandre Dumas, suivi le 24 octobre du More de Venise de Vigny, avant l'immense succĂšs de l'Antony de Dumas 1831, Hernani, type mĂȘme de l'Ă©vĂ©nement littĂ©raire, consacre la rĂ©volution dramaturgique opĂ©rĂ©e par l'esthĂ©tique romantique. En 1519, Ă  Saragosse, dans une chambre Ă  coucher, la nuit. Don Carlos, roi d'Espagne, s'introduit par surprise chez doña Sol dont il est amoureux et se laisse enfermer dans une armoire par la duĂšgne. Arrive le proscrit Hernani. Doña Sol l'aime, mais doit Ă©pouser son oncle, le vieux Ruy Gomez de Silva; le bandit, de son cĂŽtĂ©, doit venger son pĂšre, que le pĂšre du roi a fait exĂ©cuter. Le vieillard s'indigne en voyant deux hommes chez sa niĂšce le roi rĂ©vĂšle son identitĂ© et, prĂ©tendant ĂȘtre venu consulter don Ruy Gomez sur l'Ă©lection de l'empereur, fait passer Hernani, dont il ignore encore le nom, pour un homme de sa suite. RestĂ© seul, Hernani, Ă  qui doña Sol a donnĂ© rendez-vous, clame sa haine pour le roi Acte I. Le Roi». Saragosse, dans le palais de Ruy Gomez de Silva. En compagnie de courtisans, don Carlos rĂŽde autour du palais pour remplacer Hernani au rendez-vous. Il tente d'enlever doña Sol, qui rĂ©siste. Surgit Hernani. Le roi refuse le duel avec un chef de bohĂ©miens». Hernani protĂšge sa retraite. Les deux amants renouvellent leurs voeux, le tocsin les sĂ©pare Acte II. Le Bandit». Le chĂąteau de Silva dans les montagnes d'Aragon. Le jour des noces de doña Sol et de Ruy Gomez, un pĂšlerin mendiant se prĂ©sente et Ruy Gomez lui offre l'hospitalitĂ©. A la vue de la jeune fille en robe de mariĂ©e, le pĂšlerin se dĂ©couvre c'est Hernani, dont la tĂȘte est mise Ă  prix. Son hĂŽte refuse de le livrer. Alors que les amants s'abandonnent Ă  leur passion, que doña Sol jure fidĂ©litĂ© Ă  cette force qui va», Ă  son lion superbe et gĂ©nĂ©reux», Ruy Gomez les surprend; mais il cache Hernani quand on annonce l'arrivĂ©e du roi. Au nom de l'honneur castillan, il prĂ©fĂšre laisser emmener doña Sol plutĂŽt que de trahir son hĂŽte. AprĂšs le dĂ©part de don Carlos et de son otage, Ruy Gomez et Hernani, qui lui apprend le dĂ©sir du roi pour sa niĂšce, jurent de se venger en concluant un pacte. Hernani remet son cor Ă  son sauveur, et accepte de mettre fin Ă  ses jours au premier son Acte III. Le Vieillard». Aix-la-Chapelle, dans la crypte contenant le tombeau de Charlemagne. InformĂ© d'une conspiration, don Carlos, qui attend fiĂ©vreusement le rĂ©sultat de l'Ă©lection Ă  l'Empire, mĂ©dite sur le pouvoir. Les conjurĂ©s tirent au sort. Hernani, dĂ©signĂ©, refuse Ă  Ruy Gomez le privilĂšge de tuer le roi, fĂ»t-ce en Ă©change du cor. Élu empereur, don Carlos devenu Charles Quint surprend les conspirateurs, pardonne et, transfigurĂ© par sa dignitĂ© nouvelle, accorde Ă  Hernani, qui s'est rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre Jean d'Aragon, Grand d'Espagne, la main de doña Sol Acte IV. Le Tombeau». Saragosse, sur une terrasse du palais d'Aragon. La brillante fĂȘte nuptiale s'achĂšve, un mystĂ©rieux domino noir intrigue les invitĂ©s. Hernani et doña Sol chantent leur amour, quand retentit le son d'un cor. Ruy Gomez se dĂ©masque sous le domino noir et lui rappelle son serment Hernani doit boire le poison. Les Ă©poux meurent ensemble, et Ruy Gomez se poignarde sur leurs cadavres en s'Ă©criant Je suis damnĂ©!» Acte V. La Noce». DĂ©claration de principes moraux et sociaux, analyse des rapports entre la crĂ©ation dramatique et l'horizon d'attente du public, la PrĂ©face du 9 mars 1830 l'affirme le romantisme n'est que le libĂ©ralisme en littĂ©rature»; expression de la jeunesse, littĂ©rature du peuple», irrĂ©sistible mouvement du progrĂšs, il impose, contre l'anarchie», ses lois. Hugo rĂ©cuse ce bonnet rouge qu'il revendiquera poĂ©tiquement plus tard. D'oĂč la structure du drame. En effet, si l'inspiration espagnole vient principalement du Romancero et de la mythologie construite autour de l'honneur castillan, si le thĂšme du brigand vient de Schiller, si le Cid ou Cinna fournissent quelques situations, si compte le souvenir d'enfance du village espagnol d'Ernani traversĂ© en 1811 alors que Hugo se rend Ă  Madrid pour rejoindre son pĂšre en poste auprĂšs du roi Joseph, la piĂšce doit l'essentiel de sa dramaturgie au mĂ©lodrame, excluant cependant le manichĂ©isme. Colombe et lionne, chaste amoureuse et fiĂšre castillane, doña Sol suscite trois dĂ©sirs, tournant autour de ce soleil un astre noir promis Ă  l'illumination, le roi; un astre Ă©clatant et sombre Ă  la fois, destinĂ© Ă  la transfiguration, Hernani; un astre Ă©teint, brĂ»lant encore de son passĂ©, agent de la fatalitĂ©, Ruy Gomez. Trois modalitĂ©s du mal imbriquĂ© dans la grandeur, trois figures de l'hĂ©roĂŻsme passĂ©, prĂ©sent ou Ă  venir. Le conflit entre le monarque et l'honneur nobiliaire et celui opposant jeunesse et vieillesse redoublent l'antithĂšse du roi et du bandit. Le drame met en scĂšne la conversion de don Carlos aux valeurs d'Hernani, dĂ©sarmant le complot et unissant les jeunes. Cet ordre retrouvĂ© renvoie le vieillard Ă  sa jalousie destructrice, dĂ©gradation parallĂšle Ă  l'ascension du roi et Ă  la reconquĂȘte provisoire, illusoire, de son identitĂ© par le hĂ©ros. Mort sublime des Ă©poux restĂ©s purs, mort du coeur glacĂ© Ă©lĂ©vation et descente aux enfers qui laissent le champ libre au soleil de la maison d'Autriche, triomphe de l'Histoire sur l'individu hĂ©roĂŻque et sur le couple impossible. Psychologie parfois Ă©lĂ©mentaire, artifices techniques, circulation des objets, importance du dĂ©cor, minutieusement dĂ©crit en de longues didascalies, comme les jeux de scĂšne et les expressions des personnages, tout relĂšve d'une visualisation spectaculaire. La poĂ©sie capiteuse» Gautier du vers hugolien - cette forme optique de la pensĂ©e», dit la PrĂ©face de Cromwell - impose ses rythmes tantĂŽt mĂ©lodieux, tantĂŽt haletants, lyriques ou Ă©piques et ses images flamboyantes. Romantisme des mots» selon Giraudoux, le vers se rĂ©vĂšle audacieux, moins dans ses dĂ©sarticulations, simple procĂ©dĂ©, que par l'art des variations de rythme bien sĂ»r, mais surtout de tonalitĂ©. Écrit en 27 jours aprĂšs l'interdiction de Marion Delorme, jouĂ© aprĂšs le More de Venise de Vigny, le drame connut des rĂ©pĂ©titions difficiles. Assailli par les censeurs, en proie aux rumeurs malveillantes, en butte Ă  la mauvaise volontĂ© de Mlle Mars, monstre sacrĂ© hostile aux audaces romantiques, Hugo se bat. Sorte de 14 Juillet littĂ©raire, la premiĂšre donne lieu Ă  une cĂ©lĂ©brissime bataille, affrontement des anciens et des modernes, soigneusement prĂ©parĂ©e par la jeunesse romantique et racontĂ©e par Dumas et Gautier Tout ce qui Ă©tait jeune, vaillant, amoureux, poĂ©tique en reçut le souffle», Ă©crira encore ce dernier en 1867. Les amis de Hugo l'emportent, mais les classiques contre-attaquent Ă  la deuxiĂšme reprĂ©sentation; la troisiĂšme est longuement interrompue; Ă  la quatriĂšme les gilets rouges» roses en fait romantiques reprennent le dessus. Mlle Mars demande un congĂ© Ă  la quarante-cinquiĂšme. Abondamment parodiĂ©e dĂšs 1830 N, i, ni ou le Danger des Castilles par Carmouche, de Courcy et Dupeuty, Harnali ou la Contrainte par Cor par Auguste de Lauzanne, adaptĂ©e Ă  l'opĂ©ra par Verdi d'aprĂšs une traduction italienne Ernani, 1844, la piĂšce verra son succĂšs progressivement dĂ©cliner une seule reprĂ©sentation en 1842, et, aprĂšs l'interdiction sous le second Empire exceptĂ© en 1867 pour l'Exposition fera un triomphe en 1877 avec Mounet-Sully et Sarah Bernhardt. Elle est rĂ©guliĂšrement jouĂ©e depuis. Si elle recoupe partiellement un affrontement idĂ©ologique cĂ©lĂ©bration de la figure impĂ©riale, formules antimonarchiques - Crois-tu donc que les rois Ă  moi me sont sacrĂ©s?», la bataille littĂ©raire prend pour enjeux la contestation des genres Ă©tablis et, en premier lieu, de la tragĂ©die; en mĂȘme temps s'affirme, par l'exemple, la volontĂ© de libĂ©rer le vers qu'on songe Ă  la dislocation du premier alexandrin!, et plus gĂ©nĂ©ralement le langage dramatique. Provocation contre l'ordre, Hernani symbolise la rĂ©volte poĂ©tique. RĂ©volution dramaturgique en action, théùtre libre, le drame applique les formules de Racine et Shakespeare, de la PrĂ©face de Cromwell et de la Lettre Ă  lord *** de Vigny. Ses conventions criantes ne sauraient faire oublier son Ă©clat novateur Maintenant vienne le poĂšte! il y a un public.» Les misĂ©rables, Victor Hugo 1862 Roman de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© Ă  Bruxelles chez Lacroix, Verboeckhoven et Cie et Ă  Paris chez Michel LĂ©vy et Pagnerre en 1862. CorrigĂ©e par Hugo, l'Ă©dition belge sert de modĂšle pour l'Ă©dition dite ne varietur», chez Hetzel et Quantin en 1881. L'Ă©dition Ollendorff, dite de l'Imprimerie nationale» 1908-1909, contient des parties jusque-lĂ  inĂ©dites. Oeuvre immense, joyau du patrimoine littĂ©raire national, riche en figures assimilĂ©es par notre imaginaire ou notre langue, ce roman touffu mais d'une lecture aisĂ©e, populaire mais dĂ©routant, est une somme hugolienne commencĂ© en 1845 sous le titre les MisĂšres - mais sans doute rĂȘvĂ© dĂšs 1828 -, interrompu par les Ă©vĂ©nements de 1848, il est repris en 1860 pendant l'exil. Objet de scandale, il connut dĂšs sa parution un Ă©norme succĂšs, qui ne s'est jamais dĂ©menti depuis, entretenu par le cinĂ©ma et mĂȘme, rĂ©cemment, la comĂ©die musicale. PremiĂšre partie. Fantine». Jean Valjean, un ancien forçat condamnĂ© en 1796, trouve asile, aprĂšs avoir Ă©tĂ© libĂ©rĂ© du bagne et avoir longtemps errĂ©, chez Mgr Myriel, Ă©vĂȘque de Digne. Il se laisse tenter par les couverts d'argent du prĂ©lat et dĂ©guerpit Ă  l'aube. Des gendarmes le capturent, mais l'Ă©vĂȘque tĂ©moigne en sa faveur et le sauve. BouleversĂ©, Jean Valjean cĂšde Ă  une derniĂšre tentation en dĂ©troussant un petit Savoyard puis devient honnĂȘte homme livres I-III. En 1817 Ă  Paris, Fantine a Ă©tĂ© sĂ©duite par un Ă©tudiant puis abandonnĂ©e avec sa petite Cosette, qu'elle a confiĂ©e Ă  un couple de sordides aubergistes de Montfermeil, les ThĂ©nardier. Elle est contrainte de se prostituer. ArrĂȘtĂ©e Ă  Montreuil-sur-Mer et interrogĂ©e par le policier Javert, elle est relĂąchĂ©e sur l'intervention du maire de la ville, le populaire M. Madeleine, directeur d'une fabrique. Il la recueille. Pendant ce temps, un certain Champmathieu, que l'on croit ĂȘtre Jean Valjean, est jugĂ© Ă  Arras. AprĂšs un douloureux dĂ©bat, M. Madeleine, qui, comme le soupçonnait Javert, n'est autre que l'ancien forçat, se fait reconnaĂźtre en plein tribunal. AprĂšs avoir promis Ă  Fantine agonisante de veiller sur Cosette, il s'Ă©chappe IV-VIII. DeuxiĂšme partie. Cosette». A la bataille de Waterloo, longuement dĂ©crite, ThĂ©nardier avait dĂ©troussĂ© le colonel baron Pontmercy, tout en lui portant secours. Nous sommes en 1823. Jean Valjean a Ă©tĂ© repris et renvoyĂ© au bagne; il s'Ă©vade de nouveau; on le croit noyĂ©. Ayant cachĂ© sa fortune prĂšs de l'auberge des ThĂ©nardier, il dĂ©livre Cosette de cet enfer livres I-III. AprĂšs avoir vĂ©cu dans une masure Ă  Paris, ils sont pourchassĂ©s par la police et ne trouvent le salut qu'en franchissant le mur du couvent du Petit Picpus. Jean Valjean se fait passer pour le frĂšre du jardinier, M. Fauchelevent, qu'il avait secouru Ă  Montreuil IV-VIII. TroisiĂšme partie. Marius». Apparaissent trois nouveaux personnages. Gavroche, fils de ThĂ©nardier, incarne le gamin de Paris; M. Gillenormand est le grand bourgeois voltairien, grand-pĂšre antibonapartiste de Marius Pontmercy, fils du colonel de Waterloo. Marius rejoint un groupe d'Ă©tudiants rĂ©publicains, dont le bel et inflexible Enjolras. Marius a retrouvĂ© son pĂšre qui, sur son lit de mort, lui fait jurer de rĂ©compenser ThĂ©nardier. Marius veut poursuivre son idĂ©al et rompt avec son grand-pĂšre livres I-V. ThĂ©nardier vit maintenant dans les bas-fonds parisiens, oĂč un certain M. Leblanc et sa fille exercent la charitĂ©. ThĂ©nardier l'attire dans un guet-apens, mais Marius, leur voisin de chambre, appelle la police. Javert arrĂȘte les bandits, mais M. Leblanc, nouvelle incarnation de Jean Valjean, disparaĂźt VI-VIII. QuatriĂšme partie. L'Idylle rue Plumet et l'ÉpopĂ©e rue Saint-Denis». En 1832, Jean Valjean habite, avec Cosette, rue Plumet; ThĂ©nardier est en prison; sa fille Éponine, amoureuse de Marius, aide pourtant le jeune homme Ă  retrouver la trace d'une jeune fille rencontrĂ©e au Luxembourg. Il s'agit de Cosette, dont Marius croit qu'un certain M. Fauchelevent est le pĂšre. Marius demande Ă  son grand-pĂšre l'autorisation d'Ă©pouser la jeune fille, et ne reçoit que sarcasmes. ThĂ©nardier s'Ă©vade grĂące Ă  l'involontaire complicitĂ© de Gavroche. Jean Valjean, inquiet, change de domicile livres I-VI. A l'occasion des funĂ©railles du gĂ©nĂ©ral Lamarque, en juin, Enjolras, Gavroche, Marius dĂ©sespĂ©rĂ© depuis la disparition de Cosette, et Jean Valjean, dĂ©sespĂ©rĂ© par l'amour que Cosette porte au jeune homme, se retrouvent sur une barricade prĂšs de la rue Saint-Denis VII-XV. CinquiĂšme partie. Jean Valjean». SoulevĂ©, le peuple de Paris est symbolisĂ© par les combattants de la barricade. Jean Valjean s'est vu confier la garde de l'inspecteur Javert, arrĂȘtĂ© par les insurgĂ©s. Il feint de l'exĂ©cuter mais le libĂšre, puis sauve Marius blessĂ© en passant par les Ă©gouts, intestin du LĂ©viathan». Gavroche et Enjolras ainsi que tous les hĂ©ros de la barricade sont tuĂ©s. Sous terre, Jean Valjean rencontre ThĂ©nardier, qui se cache aussi. Il peut ramener Marius Ă  son grand-pĂšre. Les vieillards s'inclinent devant l'amour des jeunes gens, alors que Javert, qui ne peut supporter la gĂ©nĂ©rositĂ© de Jean Valjean, se jette dans la Seine livres I-V. Le bonheur est entachĂ© des soupçons que nourrit Marius Ă  l'Ă©gard de son beau-pĂšre, qui s'enferme dans la solitude. Jean Valjean finit par avouer Ă  Marius qu'il n'est pas le pĂšre de Cosette. Ils tombent d'accord pour que Jean Valjean espace ses visites. Mais Marius apprend toute la vĂ©ritĂ© sur l'ancien bagnard. Il se rend avec Cosette chez Jean Valjean. Ils le trouvent agonisant, et il meurt dans leurs bras, rĂ©conciliĂ© et sanctifiĂ© VI-IX. AchevĂ© aux quatre cinquiĂšmes en fĂ©vrier 1848, le roman est celui d'un acadĂ©micien pair de France. Hugo entreprend de dĂ©noncer les injustices, amplifiant ainsi les accents du Dernier Jour d'un condamnĂ© et de Claude Gueux. Dans l'exil, le texte devient le grand oeuvre d'un prophĂšte rĂ©publicain, superbe sur son rocher, face Ă  Dieu et Ă  l'OcĂ©an. Évident en apparence, le sujet du livre se rĂ©vĂšle fort complexe. Si Hugo dĂ©finit le mot misĂ©rables» - Il y a un point oĂč les infortunĂ©s et les infĂąmes se mĂȘlent et se confondent dans un seul mot, les misĂ©rables; de qui est-ce la faute?» III, VIII, 5 -, il entend surtout nommer l'innommable - d'oĂč un long dĂ©veloppement sur l'argot, langue des tĂ©nĂ©breux» IV, VII -, dire l'indicible et l'inacceptable. Chose sans nom», la misĂšre est interdite de parole par les classes dominantes et les bien-pensants. S'explique peut-ĂȘtre ainsi le changement de titre des MisĂšres aux MisĂ©rables, le roman passe de l'abstraction Ă  l'incarnation dans des personnages et des lieux; de l'usine aux quartiers lĂ©preux, des bas-fonds Ă  la sinistre auberge des ThĂ©nardier. Se renforce aussi la nĂ©cessitĂ© de donner la parole aux faibles, aux exploitĂ©s, aux exclus. L'argot intervient alors comme rĂ©vĂ©lateur. La langue populaire, telle qu'un Gavroche la parle, dĂ©place la charge poĂ©tique de l'Ă©criture vers les marginaux, les humiliĂ©s et les offensĂ©s. On ne saurait pourtant rĂ©duire les MisĂ©rables Ă  cet aspect, si essentiel soit-il. Car le roman se situe dans une bĂ©ance vĂ©ritable de l'Histoire, creusĂ©e depuis 1815. Les individus y sont condamnĂ©s Ă  vivre l'avortement d'un progrĂšs annoncĂ©, promis; mais la sociĂ©tĂ©, dĂ©shumanisĂ©e, s'acharne Ă  fabriquer des malheureux, vite poussĂ©s au crime et rĂ©primĂ©s par les chiens de garde d'une police Ă  l'image de l'implacable Javert. Or si la rĂ©volution Ă©choue sur les barricades, des signes disent cependant l'inĂ©luctable changement. L'AnnĂ©e 1817» I, III vaut comme repĂšre pour mesurer l'Ă©volution, et chaque personnage est pris dans l'Histoire, qui le dĂ©termine, depuis l'Ancien RĂ©gime voltairien pour Gillenormand jusqu'Ă  Waterloo, Ă©pisode qui fixera le destin de ThĂ©nardier et de Marius. 1832 marque donc une nouvelle Ă©tape, et prouve la nĂ©cessitĂ© d'une rĂ©volution qui mobiliserait le peuple, ici absent, laissant petits bourgeois idĂ©alistes et Ă©tudiants gĂ©nĂ©reux seuls face Ă  la rĂ©pression. L'avenir arrivera-t-il?» IV, VII, 4 angoissante question qui installe le je» hugolien au centre de la fiction. DĂ©passant la fonction de narrateur, abandonnant la posture lyrique, il se fait tĂ©moin, intĂ©grant bien des choses vues» au tissu fictionnel, tout en maintenant la distance entre les personnages et le lecteur. Le cĂ©lĂšbre chapitre Une tempĂȘte sous un crĂąne» I, VII, 3 , l'illustre exemplairement le dialogue intĂ©rieur pose tragiquement et dramatise les questions de l'identitĂ©, du destin, du moi, du devoir. Le roman articule donc dans une vaste mĂ©taphore l'individu et la sociĂ©tĂ©, excĂ©dant ainsi les limites du discours social - et non socialiste», le livre ne mettant guĂšre en scĂšne des gens du peuple tels que le travailleur, le paysan ou l'ouvrier -, que celui-ci se fonde sur l'Ă©conomie, le rĂ©formisme ou le paternalisme; de mĂȘme se trouve dĂ©passĂ© le discours moral traditionnel, engluĂ© dans la problĂ©matique du mal. Le moi se trouve placĂ© devant ses dĂ©sirs, avouĂ©s ou inconscients, ses pulsions de mort ou son instinct de conservation. Son parcours est une succession de morts symboliques et de renaissances, dont le faux enterrement permettant Ă  Jean Valjean de sortir du couvent et d'y rentrer ou la traversĂ©e des Ă©gouts constituent les Ă©tapes les plus remarquables. Roman social qui transcenderait les procĂ©dĂ©s et les faiblesses des MystĂšres de Paris d'EugĂšne Sue? Roman historique de type nouveau? Histoire mĂȘlĂ©e au drame? Miroir du genre humain? Toutes ces qualifications conviendraient sans difficultĂ© aux MisĂ©rables, rĂ©ceptacle de toutes les formes romanesques et de tous les langages. La structure mĂ©lodramatique donne son ossature Ă  ce texte polymorphe. RĂ©duit Ă  un canevas simple, il s'agit de l'odyssĂ©e et du calvaire d'un homme rejetĂ© par la sociĂ©tĂ©, montant de sacrifice en sacrifice vers une mort salvatrice et une suprĂȘme Ă©preuve, la perte d'une fille adoptive qui a Ă©tĂ© son seul amour. Sur cette trame, Hugo multiplie les digressions, technique abondamment utilisĂ©e dans Notre-Dame de Paris, ici systĂ©matisĂ©e, s'Ă©tendant du chapitre Histoire d'un progrĂšs dans les verroteries noires», I, V, 1, au livre entier deux sont consacrĂ©s au couvent, lieu et institution, II, VI et VII. Outre sa fonction didactique, cette technique permet au romancier d'accumuler prises de positions ParenthĂšse» sur les couvents, II, VIII, tableaux historiques Waterloo», II, I, sociologiques Patron-Minette», III, VII ou gĂ©ographico- philosophiques l'Intestin du LĂ©viathan», V, II, visions prophĂ©tiques Ă  partir d'Ă©vĂ©nements ou de personnages les Amis de l'A B C», III, IV. Elle ralentit aussi le dĂ©roulement du temps romanesque et produit un effet d'Ă©largissement du champ fictionnel au siĂšcle tout entier. Formellement, les MisĂ©rables ne peuvent se ramener Ă  la formule du feuilleton la construction se dĂ©veloppe par Ă©lĂ©vation et Ă©largissement. Elle repose aussi sur les contrastes et les Ă©chos Ă©vĂȘque et policier; bagne et couvent; Waterloo et barricade; sauvetage de Cosette et de Marius. On ne saurait Ă©numĂ©rer tous ces rapports et ces rĂ©seaux, formant un systĂšme dynamisĂ© par le travail de la mĂ©taphore. Ainsi une architecture s'Ă©labore, relĂ©guant le rĂ©cit proprement dit, sinon au second plan, du moins derriĂšre la dimension poĂ©tique, mĂ©taphysique et religieuse. Le roman accomplit la rĂ©demption individuelle de Jean Valjean, voeu initial de Mgr Myriel. Une conscience s'Ă©veille et accĂšde Ă  l'humanitĂ©, de mĂȘme que se profile la naissance du Peuple Ă  venir. Une double Ă©popĂ©e se dĂ©roule donc celle d'une Ăąme en voie de purification; celle d'une collectivitĂ© future, qu'annonce la barricade de 1832, Ă©chec plein de promesses. D'autres accomplissements se rĂ©alisent l'expĂ©rience de l'hĂ©roĂŻsme, fĂ»t-il suicidaire, transforme le jeune homme en adulte gĂ©nĂ©reux; Cosette devient une bonne bourgeoise, rachetant» sa mĂšre contrainte Ă  la prostitution, alors qu'Éponine se sacrifie pour Marius; Jean Valjean se sublime dans son rĂŽle de pĂšre et meurt en vieillard vierge». Sans doute la dimension la plus forte du roman rĂ©side-t-elle dans la place faite Ă  l'amour, tout entier pris sous la trouble lumiĂšre du dĂ©sir incestueux, de la passion exclusive, sublimĂ©e ou non Grantaire pour Enjolras, Éponine pour Marius, Marius pour Cosette fussent-ils temporairement menacĂ©s par le mariage bourgeois, ou l'horrible mĂ©nage ThĂ©nardier. MisĂšre suprĂȘme dans cet assemblage de malheurs, l'amour absolu est le plus souvent non partagĂ©, l'Autre se dĂ©robant pour un autre objet. Mais revanche de l'Ăąme, l'amour compense cependant la dĂ©gradation des ĂȘtres, qui ne possĂšdent rien d'autre que leur passion ainsi d'Éponine. A moins qu'ils ne chantent, ultime plaisir, dernier dĂ©fi jetĂ© Ă  la face de la sociĂ©tĂ© voyez Gavroche. La fin du texte signifie plus que la mort du hĂ©ros. Sur sa tombe restĂ©e anonyme achĂšve de s'effacer le quatrain d'amour dĂ©diĂ© Ă  son ange». Seule l'inhumaine grandeur de sa saintetĂ© a Ă©quilibrĂ©, l'espace de la fiction, la misĂšre des hommes. Valjean disparu, la misĂšre demeure, bĂ©ante. Le roman ne peut s'achever qu'ailleurs, dans une histoire autre, reportĂ©e dans un avenir prophĂ©tique, temps d'une autre littĂ©rature, celle de l'humanitĂ© enfin advenue. Les MisĂ©rables sont bien un roman des limites de l'Ă©criture romanesque, de l'Histoire et de l'homme. Les quatre vents de l' esprit, Victor Hugo 1881 Recueil de poĂ©sies que Victor Hugo 1802-1885 publia en 1881. DivisĂ© en quatre livres satirique, dramatique, lyrique, Ă©pique, il tĂ©moigne de l'Ă©norme puissance crĂ©atrice de l'auteur, non seulement parce qu'il est composĂ© de poĂšmes lyriques et d'ouvrages dramatiques Ă©crits pour la plupart sans que le poĂšte ait eu le desssein de les publier, mais surtout parce qu'il mĂȘle des genres trĂšs diffĂ©rents. Dans le "Livre satirique", le poĂšte s'Ă©lĂšve contre toute iniquitĂ©, que ce soit sur le plan littĂ©raire ou sur le plan politique; il attaque les odieuux censeurs des poĂštes et l'attitude rĂ©actionnaire d'un Joseph de Maistre; il exhorte les jeunes gens Ă  se montrer sincĂšres et Ă  rĂ©pudier les images conventionnelles que leur dicte l' habitude. Les deux poĂšmes "Margarita" et "Esca", du "Livre dramatique", content avec une chaleur toute romantique l'histoire d'un duc, qui courtise une jeune bergĂšre, Nella, fille d'un gentilhomme en exil; aprĂšs une scĂšne des plus vives avec Nella, pris de remords et dĂ©sireux de faire son bonheur, Gallus se sacrifie et va mĂȘme jusqu'Ă  lui demander sa main, au nom de son ami le duc Georges II. Sans un second tableau, nous dĂ©couvrons Gallus sous un autre jour ayant sĂ©duit et enlevĂ© la jeune Lison, la veille de ses noces, il la comblera inutilement d' honneurs et de richesses. Lison, dĂ©sespĂ©rĂ©e, ne s'en donnera pas moins la mort "Boire la mort n'est rien quand on a bu la honte!". Le "Livre lyrique" a un tour beaucoup plus vif; Victor Hugo se dĂ©fend contre les calomnies et fait un panĂ©gyrique de la vie Ă  la campagne, acceptant volontiers l'exil pour ĂȘtre fidĂšle Ă  sa patrie. "Le Livre Ă©pique" prend pour point de dĂ©part une fiction les statues de Louis XIII et de Louis XIV, accompagnĂ©es de Richelieu, se rendent en promenade au Louvre, puis aux Champs-ElysĂ©es; mais lĂ , les deux grands personnages rencontrent Louis XVI et apprennent de sa bouche que ce sont eux-mĂȘmes qui ont construit la guillotine sur laquelle il devait mourir; le poĂšte insiste sur le contraste formĂ© par l'ancienne Monarchie absolue et la RĂ©volution. -"Deux voix dans le ciel" montre le ZĂ©nith, resplendissant au plus haut et proclamant sa proche victoire sur Nadir, esprit qui lui est contraire; ce morceau est suivi de "En plantant le chĂȘne des Etats-Unis d' Europe" le 14 juillet 1870, la chute du Second Empire fut le signal de la libertĂ© des peuples et touchait par lĂ  les exilĂ©s de tous les pays. Cette oeuvre, sans avoir d'unitĂ© profonde, montre une fois de plus comment Victor Hugo avait conscience d'ĂȘtre le prophĂšte de la dĂ©mocratie en exaltant la libertĂ© de l'esprit, qui, selon la Bible, "souffle oĂč il veut", il se reconnaĂźt une mission et se dĂ©clare liĂ© aux destinĂ©es de sa patrie. Les voix intĂ©rieures, Victor Hugo 1837 Recueil poĂ©tique de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© Ă  Paris chez Renduel en 1837. Plus resserrĂ©e dans le temps que celle des Chants du crĂ©puscule, la composition des poĂšmes va d'avril 1835 Ă  juin 1837, se concentrant surtout sur le premier semestre de 1837. Si, comme on l'a soulignĂ©, chaque oeuvre successive est chez Hugo un approfondissement, ce recueil en tĂ©moigne en introduisant la figure d'Olympio "A Ol.","A Olympio", Ă  la fois double du poĂšte, alter ego dominateur et destinataire subjectif. La PrĂ©face dĂ©finit ces voix» dont les vers traduisent l'Ă©cho aprĂšs que le poĂšte les a intĂ©riorisĂ©es celles de l'homme, de la nature et des Ă©vĂ©nements. Comportant 32 piĂšces, le recueil est dĂ©diĂ© au pĂšre de Victor Hugo. A l'interrogation des Chants du crĂ©puscule succĂšde, malgrĂ© "Pensar, dudar" oĂč s'Ă©quivalent penser et douter, l'affirmation initiale Ce siĂšcle est grand et fort...» L'inspiration politique distingue le peuple - rĂ©duit, alors que le premier poĂšme cĂ©lĂšbre le progrĂšs industriel, Ă  la sainte pauvretĂ© dans sa chaumiĂšre "Dieu est toujours lĂ ", octosyllabes - et la foule, la rĂ©volution et l'Ă©meute. A ces piĂšces s'ajoute une sĂ©rie de poĂšmes consacrĂ©s Ă  la gloire napolĂ©onienne "A l'Arc de triomphe", aux strophes alternĂ©es combinant plusieurs mĂštres. Le respect pour le malheur de l'exil et la mort de Charles X "Sunt lacrymae rerum", qui adopte le mĂȘme principe structurel s'accompagne d'un dĂ©dain pour la monarchie de Juillet et son Ă©goĂŻsme bourgeois "Oh, vivons! disent-ils...", et semble mĂȘme in fine refuser le nĂ©cessaire engagement O Muse, contiens-toi!...». Un autre groupe de poĂšmes cĂ©lĂšbre la nature, belle et gĂ©nĂ©reuse. PiĂšce essentielle succĂ©dant au poĂšme Ă©voquant le double absent "A EugĂšne, vicomte H.", "A Olympio", au long de ses 75 quatrains en alexandrins et hexasyllabes, dĂ©veloppe sur quatre parties la foi du poĂšte en son gĂ©nie, l'affirmation de sa suprĂ©matie, pour Ă©voquer ces abĂźmes qu'il porte en lui ibid., II. Écho sonore rĂ©percutant les voix de la nature, verbe mĂȘme du monde ibid., III, il contemple, triomphant, la totalitĂ© du rĂ©el et sa loi, Expiation» ou DestinĂ©e». Plus que l'Histoire, pourtant prĂ©sente et notamment par la figure du pĂšre, ce gĂ©nĂ©ral dont le nom fut omis sur l'arc de triomphe de l'Étoile, plus que l'interrogation sur la fatalitĂ© Quelle est la fin de tout?...», la nature contemplĂ©e ou joyeusement cĂ©lĂ©brĂ©e "Avril - A Louis B." donne sa tonalitĂ© et son orientation au recueil. Sous les auspices de Virgile et de Dante - ces autres voix» "A Virgile" dans Virgile parfois, dieu tout prĂšs d'ĂȘtre d'un ange...»; "AprĂšs une lecture de Dante" l'oeil, comme celui de Dieu, voit tantĂŽt un spectacle d'apocalypse, tantĂŽt les beautĂ©s mystiques de la nature, et au premier chef celles de la forĂȘt, lieu d'une vision hallucinĂ©e et cause de terreur panique "A Albert DĂŒrer" - encore une voix» prĂ©sente dans la culture du poĂšte, mĂȘme si "SoirĂ©e en mer" ouvre sur la nuit noire, dont "Une nuit qu'on entendait la mer sans la voir" Ă©voque la voix profonde». Temple de Dieu, la nature dĂ©ploie ses valeurs sacrĂ©es "la Vache" et offre au poĂšte tantĂŽt ce murmure, cette ombre, ineffable trĂ©sor» "A un riche", tantĂŽt la rĂȘverie dans ce jardin antique oĂč les grandes allĂ©es» accueillent des fleurs encensoirs» dĂ©jĂ  baudelairiennes. Ce thĂšme inclut aussi la veine amoureuse. Juliette, associĂ©e aux amours passĂ©es "PassĂ©", aux grands ancĂȘtres poĂ©tiques et Ă  son environnement naturel, suscite le dĂ©sir Venez que je vous parle, ĂŽ jeune enchanteresse...», Pendant que la fenĂȘtre Ă©tait ouverte...», Puisqu'ici bas toute Ăąme...», en 12 quatrains 6/4/6/4. Mais, comme dans les Chants du crĂ©puscule, la famille meurtrie par la folie du frĂšre EugĂšne "A EugĂšne, vicomte H.", les enfants "Regardez les enfants se sont assis en rond", "A des oiseaux envolĂ©s"; "A quoi je songe? - HĂ©las", "Tenanda via est" attendrissent le poĂšte. Avant sa "Tristesse" voir les Rayons et les Ombres, Olympio laisse libre cours Ă  ses rĂȘves et se met Ă  leur Ă©coute. AprĂšs avoir dĂ©chiffrĂ© le sens de l'Histoire, le poĂšte donne la parole Ă  sa voix intĂ©rieure. Si le rĂȘve peut se rĂ©vĂ©ler horrible», si le doute mĂ©taphysique demeure sans rĂ©ponse, puisque les fins derniĂšres restent Ă©nigmatiques, l'acte mĂȘme de la contemplation dĂ©finit celui qui ne regarde pas le monde d'ici-bas, / Mais le monde invisible». De lĂ  l'interrogation posĂ©e Ă  la nature et son bĂ©gaiement immense». Du siĂšcle, le poĂšte s'est tournĂ© vers le Tout. L'annĂ©e terrible, Victor Hugo 1872 Recueil de poĂšmes de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© en 1872. Dans le cycle de ses grandes commĂ©morations patriotiques, l'auteur Ă©voque la chute du Second Empire et l'avĂšnement de la TroisiĂšme RĂ©publique, instant dĂ©cisif oĂč la France s'Ă©lance Ă  nouveau vers la libertĂ©. Du mois d'aoĂ»t 1870 au mois de juillet 1871, la nation connaĂźt la honte de l'esclavage et voit la dĂ©faite de son armĂ©e, la lutte des partis politiques. Mais ses martyrs et ses exilĂ©s lui montrent le chemin de la gloire celui qui mĂšne Ă  la fraternitĂ© et Ă  l'union latine. Toute l'histoire de ce temps est passĂ©e en revue dans un style fougueux et puissant qui porte la marque de l'auteur. Dans "Sedan", il dĂ©plore l'amertume de la dĂ©faite l'Ă©pĂ©e des hĂ©ros et de tous les chefs illustres qui ont fait honneur Ă  la France est rendue Ă  l'ennemi par un "bandit", par le faible et vaniteux NapolĂ©on III. "Choix entre les deux nations" la France humiliĂ©e, l' Allemagne victorieuse nous dit l'amour filial que le poĂšte voue Ă  sa patrie. Les poĂšmes dĂ©diĂ©s aux mois de septembre et octobre 1870 sont prenants c'est le siĂšge de Paris et les combats acharnĂ©s dans la ville. Viennent ensuite les poĂšmes du mois de mai luttes contre les partisans de la libertĂ©, l'incendie de Paris, l'expulsion du poĂšte qui est chassĂ© de Bruxelles; les vers ont ici un ton biblique; faits personnels et Ă©vĂ©nements historiques y sont symboliquement entremĂȘlĂ©s. Dans l'ensemble, ce recueil rappelle des mots de douleur, de sang et d'horreurs, fruits d'une confiance aveugle et de la tyrannie. Sur NapolĂ©on III et sur ceux qui, aprĂšs lui, ont tentĂ© de rĂ©tablir le pouvoir absolu retombe la responsabilitĂ© de tant de souffrances et de morts. AprĂšs avoir vouĂ© Ă  l'exĂ©cration le vieux monde croulant, l' "Epilogue" souligne le sens hautement civique et politique du livre consacrĂ© Ă  la renaissance de la civilisation. L'homme qui rit, Victor Hugo 1869 Roman de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© Ă  Bruxelles Ă  la Librairie internationale, Lacroix, Verboeckhoven et Cie en 1869. Écrit Ă  Bruxelles et Ă  Guernesey entre 1866 et 1868, ce roman foisonnant rencontra l'incomprĂ©hension. L'homme qui rit, oeuvre mĂ©taphysique et politique, fondĂ©e sur l'antithĂšse, dĂ©veloppe Ă  travers une Ă©criture superbement baroque un mythe de l'humanitĂ©, oĂč se retrouvent Job et PromĂ©thĂ©e. PremiĂšre partie. La Mer et la Nuit». En Angleterre, sous le rĂšgne de la reine Anne, un vagabond, le saltimbanque Ursus, accompagnĂ© du loup Homo, recueille deux enfants abandonnĂ©s l'un, qui arbore un rire» perpĂ©tuel _ infirmitĂ© que lui ont infligĂ©e ses ravisseurs, les Comprachicos _ a pu Ă©chapper au naufrage de l'ourque Matutina, leur bateau; l'autre est une petite aveugle trouvĂ©e prĂšs de sa mĂšre morte. DeuxiĂšme partie. Par ordre du roi». Ces misĂ©rables forment un trio de mimes itinĂ©rants dans leur Green-Box», trio auquel la laideur de Gwynplaine, le garçon, a apportĂ© une certaine renommĂ©e. Gwynplaine et Dea, les deux jeunes gens, s'aiment tendrement. Durant l'hiver 1704-1705, ils arrivent Ă  Londres, oĂč ils jouent leur pantomime, Chaos vaincu. La charnelle lady Josiane, Ă©pouse de lord David Dirry-Moir, hĂ©ritier des biens de la famille Clancharlie, assiste Ă  une reprĂ©sentation, et fascine Gwynplaine. Au sein d'une intrigue compliquĂ©e menĂ©e par le sournois Barkipheldro, Ăąme damnĂ©e de Josiane, Gwynplaine, arrĂȘtĂ©, est reconnu pour ĂȘtre le baron Clancharlie, pair du royaume, jadis enlevĂ© Ă  sa famille. Ursus croit Gwynplaine mort et tente vainement de cacher sa disparition Ă  Dea. Le mariage de Josiane Ă©tant annulĂ©, la reine lui donne alors Gwynplaine pour Ă©poux. Josiane le chasse de sa chambre, rĂ©servĂ©e Ă  l'amant et interdite au mari. A la Chambre des lords, Gwynplaine dĂ©clenche l'hilaritĂ© gĂ©nĂ©rale en dĂ©fendant la cause des misĂ©rables, discours Ă  l'issue duquel il Ă©clate en sanglots qui ne font qu'accentuer son rictus. Il prend la fuite, alors que David, son frĂšre, le provoque en duel. De retour vers la Green-Box», il ne trouve qu'Homo, qu'il entraĂźne Ă  sa suite. Conclusion. La Mer et la Nuit». Gwynplaine rejoint un bateau qui emmĂšne ses compagnons. Dea meurt entre ses bras aprĂšs avoir retrouvĂ© la vue. BrisĂ© par la douleur, mais ayant enfin un sourire sur ses lĂšvres mutilĂ©es, Gwynplaine se jette Ă  l'eau. Homo hurle dans l'ombre en regardant la mer». Comme les Travailleurs de la mer, le roman s'ouvre et se clĂŽt sur un engloutissement. Comme Gilliatt, Gwynplaine Ă©prouve un amour sublime pour Dea, et achĂšve sa vie dans le sacrifice. Mais le roman, s'il consacre, comme Quatrevingt-Treize, l'assomption des Ăąmes, ne laisse en place ni un couple heureux ni l'amorce d'un progrĂšs. Tout est reportĂ© vers un avenir hypothĂ©tique. C'est que la seconde partie, sous couvert d'une description de la sociĂ©tĂ© anglaise du dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, dĂ©voile le principe de toute sociĂ©tĂ© humaine historique, et d'abord de la France du second Empire exploitation, dĂ©naturation, perversion. L'Angleterre n'apparaĂźt pas comme libre nation, mais comme terre de cohabitation entre la libertĂ© parlementaire et les survivances fĂ©odales. AnankĂ© [fatalitĂ©] des lois, celle-ci y est bien sociale, comme dans les MisĂ©rables. Gwynplaine, qui veut se faire le Verbe du Peuple», annonce l'illumination de la vĂ©ritĂ©, le passage du faux paradis des richesses matĂ©rielles confisquĂ©es par une aristocratie tyrannique au vĂ©ritable Ă©den du bonheur partagĂ©, utopie d'un Ăąge d'or Ă  venir. Gwynplaine, cet hĂ©ritier du Quasimodo de Notre-Dame de Paris et du Satyre de la LĂ©gende des siĂšcles, se dĂ©finit par sa dualitĂ©. Saltimbanque et lord, dĂ©chirĂ© entre la tentation de la chair et l'appel de l'idĂ©al, tĂ©nĂšbres et lumiĂšre, Ăąme sublime dans un corps grotesquement laid, il ne peut rĂ©concilier sur terre l'aspiration au ciel et le vertige de l'abĂźme. Etre monstrueux, issu du gouffre, il est un condensĂ© de l'humanitĂ©, dont la grimace dit l'oppression. Exemplaire et difforme, Abel et CaĂŻn dans le mĂȘme homme», il inverse le mythe de Job puisque la fortune ne lui vaut que malheur, s'Ă©lĂšve Ă  la grandeur promĂ©thĂ©enne devant les Lords, pour finir en Titan abattu. AuprĂšs de ce hĂ©ros, Dea, qui voit par le coeur, incarne la cĂ©citĂ© du voyant, et possĂšde la connaissance intuitive des mystĂšres de la crĂ©ation. A l'intersection du rĂ©el et du surnaturel, elle figure l'innocence, et stella maris, guide en vierge prĂȘtresse Gwynplaine. A sa lumiĂšre astrale s'oppose l'Ă©clat de Josiane, perverse et divinement belle, toute flamboyante de dĂ©sir. Eve, Titane», ange noir, elle reprĂ©sente les troubles sĂ©ductions du sexe. Gwynplaine, ce monstre d'apparence, ne peut que sĂ©duire le monstre intĂ©rieur. Ursus, l'homme, et Homo, le loup, dont les noms inversent symboliquement la nature et les constituent en couple, unis par l'amitiĂ© et le dĂ©vouement, s'opposent aux produits de la corruption gĂ©nĂ©rale, les malĂ©fiques Comprachicos et le mĂ©chant Barkipheldro, l'ĂȘtre dĂ©moniaque des complots, tout entier du cĂŽtĂ© de la destruction. Figure de l'Ă©loquence dĂ©rĂ©glĂ©e, bavard impĂ©nitent, Ursus, adepte du soliloque et de la ventriloquie, philosophe et poĂšte, est un crĂ©ateur dĂ©gradĂ©. Conjurant sa misanthropie par l'illusion du verbe, il incarne la bontĂ©. Tous ces personnages se trouvent mis en scĂšne par un narrateur qui manifeste son omniprĂ©sence dans le commentaire ou la digression. Comme Ursus et Gwynplaine, il pratique la parole intĂ©rieure, dialogue avec soi ou avec le cosmos, invitant le lecteur Ă  une lecture initiatique du monde. Le noir et la blancheur lumineuse se rĂ©pondent et s'impliquent mutuellement. La nuit se dĂ©finit comme prĂ©sence de l'inconnu, figuration mĂ©taphorique et symbolique du chaos, de l'obscurantisme, de la fatalitĂ©, de la mort, des pulsions inconscientes, de l'Ă©ros charnel. La lumiĂšre dissipatrice renvoie Ă  l'amour mais aussi Ă  la mort libĂ©ratrice, Ă  la justice et l'intĂ©gritĂ©. Le roman chemine des tĂ©nĂšbres vers la clartĂ©, comme le montre Chaos vaincu. Mis en abyme au centre d'un roman oĂč la fin rĂ©pond au dĂ©but, Chaos vaincu, drame allĂ©gorique oĂč se joue la lutte du Bien et du Mal, ne provoque que le rire d'un peuple aveuglĂ© par son avilissement et condamnĂ© au contresens. A ce malentendu succĂšde celui de la Chambre des lords, oĂč Gwynplaine vient plaider la cause des muets». MĂȘme rire, mĂȘme impasse se rejoignent dans la mĂȘme aliĂ©nation les misĂ©rables et les responsables de leur misĂšre. La parole ne saurait suffire, et le gĂ©nie se heurte Ă  l'identique surditĂ© des puissants et des opprimĂ©s. Le roman se fait donc bien critique sociale justifiant la RĂ©volution. Au terme de cet Ă©chec, il ne reste que la poĂ©sie du gĂ©nie. Si la parole s'Ă©lĂšve une derniĂšre fois sur le bateau de l'exil final, la mort donne tout son sens au roman. Chaos vaincu se rĂ©alise ultimement par la rĂ©demption et l'assomption des infirmes, mais se trouve consacrĂ©e l'impossibilitĂ© du bonheur terrestre. Loin de la grande ville, les hĂ©ros ont pu maintenir leur bonheur, mais la venue Ă  Londres a signifiĂ© la confrontation au mal social, ce serpent, car l’Ève satanique tente d'Ă©loigner Gwynplaine de son destin spirituel et de l'ange Dea. Plus profondĂ©ment, dans la sociĂ©tĂ© rĂ©elle», le gĂ©nie, le poĂšte ne peuvent que profĂ©rer ou prophĂ©tiser le Beau se rĂ©vĂšle comme formulation mĂ©taphorique de l'espoir. NapolĂ©on le petit, Victor Hugo 1852 Pamphlet politique de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© en 1852. On sait que Victor Hugo, pair de France sous la monarchie de juillet, avait ensuite pris avec rĂ©solution le parti des RĂ©publicains. Adversaire passionnĂ© du Prince PrĂ©sident, il s'Ă©tait courageusement lancĂ© dans la lutte et, avec la victoire de NapolĂ©on III, avait Ă©tĂ© condamnĂ© au bannissement. BlessĂ© dans son idĂ©al de rĂ©publicain et de penseur, l'exilĂ© lance contre NapolĂ©on III les accusations les plus acĂ©rĂ©es et les mieux fondĂ©es. Le coup d'Etat, qui a chassĂ© de France tant de patriotes, et la restauration de l' Empire Ă©quivalent Ă  la mort de toute libertĂ©. L'hĂ©ritier de NapolĂ©on n'est qu'un parjure et un rĂ©actionnaire; il s'autorise du jeu des partis et de l'alliance entre le TrĂŽne et l' Autel pour mettre un frein au progrĂšs et au bien-ĂȘtre national. Mais l'Etat ne possĂšde pas pour autant la confiance des citoyens, l'organisation des Finances est dĂ©plorable, le dĂ©sir de gloire militaire trouble toutes les entreprises, mĂȘme si l'ordre et la discipline ne leur font pas dĂ©faut; dans ce nouveau rĂ©gime, il n'est rien qui n'attente Ă  la dignitĂ© humaine, au sens des responsabilitĂ©s, en un mot la libertĂ©. Se plaçant Ă  divers points de vue, l'Ă©crivain examine l'oeuvre de NapolĂ©on III, s'attachant plus particuliĂšrement aux dĂ©fauts de l'individu, Ă  son caractĂšre frivole et perfide, Ă  son manque de connaissance des hommes et du gouvernement. Son entourage est fait de factieux et de gens sans scrupules, dont l'histoire jugera sĂ©vĂšrement les iniquitĂ©s. L'auteur insiste sur la prĂ©paration du "crime", c'est-Ă -dire du coup d'Etat de 1851 voir "Histoire d'un crime. Cependant, pour peu qu'il examine les progrĂšs et les avantages que la centralisation administrative a pu apporter, Hugo crie vengeance tout despotisme est vain, en face d'un ProgrĂšs inĂ©luctable, et un NapolĂ©on en miniature ne pourra que faire sentir la distance qui sĂ©pare les dĂ©cisions de grande envergure prises sous le coup des Ă©vĂ©nements et une basse imitation due Ă  l'esprit de famille. Cette oeuvre est un document de premiĂšre importance sur l'opposition qui fut faite au Pouvoir impĂ©rial, dans un temps oĂč l'Europe commençait Ă  connaĂźtre une Ăšre de libertĂ©. Notre-Dame de Paris, Victor Hugo 1831 Roman de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© Ă  Paris chez Gosselin en 1831. On considĂšre comme dĂ©finitive la huitiĂšme Ă©dition parue chez Renduel en 1832. Hugo tira du roman un livret en quatre actes, mis en musique par Louise Bertin et reprĂ©sentĂ© sans succĂšs Ă  l'OpĂ©ra en 1836, la EsmĂ©ralda. QuatriĂšme grande prose de Victor Hugo, alors que Balzac vient de faire en 1829 son entrĂ©e officielle avec les Chouans et que Stendhal a publiĂ© en 1830 le Rouge et le Noir, ce roman, sous-titrĂ© 1482», mais mettant en perspective la rĂ©volution de Juillet, emprunte Ă  Walter Scott les prestiges du roman historique pour mettre en scĂšne la transition du Moyen Ăąge Ă  la Renaissance, et place une fiction chargĂ©e de romanesque au service d'une philosophie de l'Histoire. Le 6 janvier 1482, jour de la fĂȘte des Fous, on donne dans la grande salle du Palais de Justice de Paris un mystĂšre du poĂšte Gringoire, alors que sur le parvis de Notre-Dame danse la bohĂ©mienne Esmeralda. Quasimodo, le sonneur disgracieux de la cathĂ©drale, essaie de l'enlever sur l'ordre de l'archidiacre Claude Frollo. Le capitaine Phoebus de ChĂąteaupers la sauve. Esmeralda, elle, sauve en l'Ă©pousant Gringoire, prisonnier des truands alors qu'il s'Ă©tait Ă©garĂ© dans la cour des Miracles livres I-II. Nous sont prĂ©sentĂ©s Notre-Dame, le chef-d'oeuvre gothique, et, vu du haut de ses tours, le Paris mĂ©diĂ©val. Le hideux Quasimodo vit au milieu de ses cloches. Mis au pilori pour avoir attaquĂ© Esmeralda, il en tombe amoureux quand elle vient lui offrir Ă  boire. Frollo, de son cĂŽtĂ©, est dĂ©vorĂ© de passion pour la bohĂ©mienne III-VI. Esmeralda aime le beau Phoebus. Au cours d'un rendez-vous, le capitaine est poignardĂ© par Frollo qui laisse accuser la jeune femme VII. CondamnĂ©e pour meurtre et pour magie Ă  cause des tours qu'elle fait avec sa chĂšvre Djali, Esmeralda doit faire amende honorable devant la cathĂ©drale. Quasimodo l'enlĂšve alors au sein de l'asile inviolable. Inquiets de sa disparition, les truands attaquent Notre-Dame, mais Quasimodo tue Jehan, le jeune frĂšre de Frollo, et les archers mettent en dĂ©route les assaillants VIII-X. Frollo s'empare d'Esmeralda, mais elle le repousse. Il la confie alors Ă  une vieille recluse, la Sachette. Celle-ci reconnaĂźt en elle son enfant perdue, et tente de la cacher. On reprend pourtant la bohĂ©mienne. Du haut des tours, son ravisseur assiste Ă  son exĂ©cution; Quasimodo le prĂ©cipite dans le vide, et va mourir dans le charnier de Montfaucon en Ă©treignant le cadavre de l'Égyptienne», alors que Gringoire continue d'Ă©crire et que Phoebus se marie XI. Comme dans plusieurs de ses drames, tel Ruy Blas, Hugo place une figure fĂ©minine au centre de trois reprĂ©sentations de l'amour autour d'Esmeralda, en effet, le dĂ©sir maladif de Frollo, les appĂ©tits libertins de Phoebus et le dĂ©vouement passionnĂ© de Quasimodo dĂ©clinent leurs possibilitĂ©s dramatiques. Mais ces personnages masculins valent aussi par leur signification historique. L'archidiacre incarne l'impĂ©rieuse Église thĂ©ocratique, le capitaine, la nouvelle monarchie que Louis XI construit contre la fĂ©odalitĂ© traditionnelle, le monstre, le peuple enfant, sa force encore mal employĂ©e et sa laideur primitive. Alors que naĂźt l'État moderne, s'affrontent peuple et Église, royautĂ© et bourgeoisie, conflits qui prĂ©ludent Ă  leur redistribution dans une France nouvelle. De cette sociĂ©tĂ© en gestation sont exclus les marginaux, truands et bohĂ©miens. La composition organise tout un symbolisme. Si Hugo utilise les ressorts du mĂ©lodrame, c'est pour allier technique narrative et mĂ©taphysique aux livres tĂ©nĂ©breux - la thĂ©ocratie, la caste, le dogme - s'opposent les livres lumineux - la libertĂ©, le peuple, l'homme, la presse de Gutenberg. A l'Ă©clat d'Esmeralda rĂ©pond la noirceur de Frollo; au Phoebus solaire, Quasimodo, l'ĂȘtre de nuit. Les figures nocturnes tendent vers la lumiĂšre et tout le roman prend une valeur allĂ©gorique. Les misĂ©rables, l'archidiacre, le sonneur sourd et muet, la recluse, les truands, l'artiste Gringoire et la malheureuse Esmeralda entrent dans un combat qui est celui de la conscience humaine. L'intrigue se dĂ©roule en quelques journĂ©es, actes du drame. Le dĂ©nouement tragique interroge la vĂ©ritĂ© morale de l'Histoire. Hugo applique au roman les principes Ă©noncĂ©s dans sa critique 1823 du Quentin Durward de Walter Scott. Il faut enchĂąsser Shakespeare dans HomĂšre», d'oĂč, dans ce microcosme», l'importance des tableaux, scĂšnes et descriptions trop souvent portĂ©s au compte de la fantaisie ou du goĂ»t romantique, fussent-ils nourris d'une documentation d'ailleurs bien moins abondante qu'on ne l'a dit. Au centre du dispositif symbolique est posĂ©e la question du savoir. Le roman dramatise les contradictions entre les systĂšmes interprĂ©tatifs et, au sein mĂȘme de l'individu, entre le corps et l'esprit. Si le savant Claude Frollo, au pacte dĂ©moniaque prĂšs, reprend le mythe faustien de la tentation de la science, ce fruit dĂ©fendu, il connaĂźt surtout les affres intellectuelles et charnelles d'un Don Juan qui restera vierge. -tre mĂ©diocre, Gringoire reprĂ©sente l'artiste aux prises avec les contingences. Jehan Frollo, ancĂȘtre de Gavroche, meurt, par une ironie du sort, victime d'une histoire sur laquelle il n'a aucune prise, Ă  l'aube des temps modernes, le crĂąne fracassĂ© sur les pierres de la cathĂ©drale. La fĂ©minitĂ©, cette Ă©nigme, se distribue entre les figures d'Esmeralda, de la Sachette et de Fleur-de-Lys, la fiancĂ©e de Phoebus. De toutes ces contradictions naissent la mise en scĂšne d'un bonheur impossible et l'omniprĂ©sence de la jalousie. On meurt d'amour dans Notre-Dame de Paris. Tous ces personnages sont pris dans une vaste mutation sociale, dĂ©bĂącle de la tradition. Si la dimension anticlĂ©ricale est Ă©vidente, manifeste Ă  travers la dĂ©nonciation des dogmes d'une Église sclĂ©rosĂ©e, Quasimodo, ancĂȘtre de Gwynplaine voir L'homme qui rit, appartient aussi par toutes ses fibres Ă  la cathĂ©drale, dont il est une pierre vive. Faisant corps avec ses cloches, rĂ©plique des gargouilles, il incarne hideusement la possibilitĂ© d'une rĂ©gĂ©nĂ©ration. Mythe d'un peuple Ă  venir, il Ă©voque l'avenir religieux de l'humanitĂ©. Cet avenir est encore incertain. Aux Trois Glorieuses de 1830 fait Ă©cho l'assaut contre la cathĂ©drale, autre Bastille. La monarchie vieillissante incarnĂ©e par un roi mourant ouvre cependant la voie Ă  la modernitĂ©, les intellectuels se partagent entre l'offre de service Gringoire ou le refus Frollo ces analogies lient le roman Ă  son Ă©poque de production, et rĂ©partissent les tensions d'un appel au renouveau, hors de toute synthĂšse rendue impossible par les complexes incertitudes de l'Histoire. Les personnages collectifs et abstraits prennent le pas sur les individus. La foule grouillante, festive lors du mystĂšre et de la fĂȘte, terrifiante lors de l'attaque Ă©pique des truands, la ville vue Ă  vol d'oiseau, disposĂ©e autour de Notre-Dame et non pas de la Bourse moderne, mais surtout la cathĂ©drale, vĂ©ritable univers, sublime et fantastique, imposent leur dimension. Notre-Dame est un personnage Ă©pique. Si le livre III chante le majestueux et sublime Ă©difice», livre de pierre, le deuxiĂšme chapitre du livre V, Ceci tuera cela», ajoutĂ© en 1832, annonce qu'Ă  l'architecture, jusqu'au XVe siĂšcle le registre principal de l'humanité», succĂšde la rĂ©volution mĂšre», celle de l'imprimerie. Notre-Dame se rĂ©vĂšle soleil couchant que nous prenons pour une aurore», alors que le livre devient la seconde tour de Babel du genre humain». Si les pages consacrĂ©es Ă  Notre-Dame, assorties de la dĂ©nonciation des dĂ©molisseurs de monuments gothiques Note» de 1832 reprenant des accents de l'article Guerre aux dĂ©molisseurs» de 1825, semblent engager le roman sur les commodes chemins du pittoresque architectural, l'Ă©videment de sa masse par l'Histoire se mĂ©tamorphose en livre, la signification symbolique des dĂ©gĂąts que Quasimodo lui inflige pour la sauver des truands dĂ©passe la rĂ©habilitation du barbare» art gothique. D'ailleurs, l'analyse du monument dĂ©gage sa valeur symbolique cohĂ©rente avec le reste des Ă©lĂ©ments fictionnels, puisqu'elle souligne son caractĂšre de transition entre le roman et le gothique, comme le XVe siĂšcle s'Ă©tend entre le Moyen Ăąge et la Renaissance. La dĂ©coration, vĂ©gĂ©tation capricieuse», les coins et recoins, les escaliers obscurs, tout confĂšre Ă  cette bible de pierre» une dimension de Cromwell, Victor Hugo CĂ©lĂšbre manifeste qu'au moment de se jeter dans la bataille pour le drame romantique, Victor Hugo 1802-1885 publia en tĂȘte de son drame "Cromwell", qui ne fut d'ailleurs jamais reprĂ©sentĂ©. DĂšs sa parution, la "PrĂ©face de "Cromwell" fut considĂ©rĂ© par la jeune Ă©cole dramatique comme son manifeste. Ce n'est pas d'ailleurs que les idĂ©es, les thĂ©ories que Victor Hugo expose ici soient nouvelles. DĂ©jĂ  Mme de StaĂ«l, dans sa "LittĂ©rature" parue en 1800, avait rĂ©pandu dans le public lettrĂ©, le goĂ»t et le dĂ©sir d'une forme dramatique plus libre que la tragĂ©die classique, forme qui s'inspirerait de Shakespeare, de Goethe et de Schiller. August-Wilhelm Schlegel dans sa "Comparaison entre le "PhĂšdre" de Racine et celle d' Euripide" 1807 avait donnĂ© une place de premier plan au théùtre lorsqu'il s'Ă©tait agi d'engager une bataille contre le classicisme. Les journeaux du temps, en discutant Ă  leur apparition les piĂšces nouvelles, ne manquaient pas d'indiquer aux auteurs la voie Ă  suivre pour renouveler le théùtre. Enfin, Stendhal avait traitĂ© la question dans une brochure d'une importance capitale, "Racine et Shakespeare". Outre ces dĂ©clarations d'ordre dogmatique, ce nouvel esprit s'Ă©tait manifestĂ© en pratique dans le "Théùtre de Clara Gazul" de MĂ©rimĂ©e. Il n'en restait pas moins que le Théùtre-Français fermait obstinĂ©ment ses portes Ă  toute nouveautĂ© et qu'aucune dĂ©claration n'avait encore Ă©tĂ© faite qui rĂ©sumĂąt les nouvelles tendances, qui revendiquĂąt avec Ă©loquence les droits de la PoĂ©sie. C'est ce qu'entreprit Hugo il fit de sa prĂ©face une machine de guerre, tumultueuse, bourrĂ©e de paradoxes, habillĂ©e d'un style magnifique. Ce n'est que cette bombe qui toucha Ă  la fois le grand public et les auteurs. Il entend tout d'abord replacer le théùtre dans l'histoire de l'Ă©volution de l'esprit humain. La poĂ©sie s'est Ă©veillĂ©e au monde avec l'homme mĂȘme; cette premiĂšre forme fut tout lyrique, elle tendait Ă  exprimer l'extase devant les beautĂ©s de la nature, l' adoration pour le CrĂ©ateur. A cette phase mĂ©ditative, succĂšde une phase active l'homme agit, construit, se bat, la poĂ©sie devient Ă©pique. Alors que la "GenĂšse" est un vaste poĂšme lyrique, HomĂšre c'est l'Ă©popĂ©e. Toute l' AntiquitĂ© est dominĂ©e par l' Ă©popĂ©e la poĂ©sie lyrique grecque dĂ©coule de l' Ă©popĂ©e, elle est Ă©pique; il en est de mĂȘme de la poĂ©sie dramatique des Grecs "Tous les tragiques anciens dĂ©taillent HomĂšre. MĂȘmes fables, mĂȘmes catastrophes, mĂȘmes hĂ©ros. Tous puisent au fleuve homĂ©rique. C'est toujours l' "Iliade" et l' "OdyssĂ©e". Comme Achille traĂźnant Hector, la tragĂ©die grecque tourne autour de Troie." On voit ce qu'a de contestable un tel exposĂ©; ni du point de vue de l'histoire gĂ©nĂ©rale, ni du point de vue de l'histoire littĂ©raire, il ne se justifie. Cependant, du point de vue polĂ©mique, de pareilles simplifications sont de bonne guerre. Mais, poursuit-il, l'avĂšnement du Christianisme a rĂ©vĂ©lĂ© Ă  l'homme sa dualitĂ©, lui a donnĂ© le sens du dialogue intĂ©rieur; l'homme est rentrĂ© en lui-mĂȘme; son coeur est dĂ©sormais partagĂ© entre les vertus qu'il doit pratiquer, les vices qu'il lui faut combattre. Sans doute, ici, Hugo se souvient-il de la thĂšse exposĂ©e par Chateaubriand dans "Le gĂ©nie du Christianisme", selon laquelle l'analyse des sentiments et des passions aurait reçu du Christianisme Ă  la fois des Ă©lĂ©ments nouveaux et, -ce qui est plus important, -une mĂ©thode nouvelle il n'en reste pas moins que l'application de cette thĂšse au théùtre est extrĂȘmement suggestive. C'est la raison pour laquelle le théùtre est devenu psychologique, et de ce point de vue, Racine, Shakespeare et Goethe sont supĂ©rieurs par leur profondeur et leur complexitĂ© aux Grecs. L'erreur des classiques, pour Hugo, est d'avoir sĂ©parĂ© deux genres complĂ©mentaires, la tragĂ©die et la comĂ©die le théùtre est un, le drame a pour objet la vĂ©ritĂ©. Victor Hugo le dĂ©finit la rĂ©surrection de la vie dans sa totalitĂ©. Il n'y a donc aucune raison de sĂ©parer les passions nobles des ridicules, le rire des larmes, le beau et le laid, le sublime et le grotesque. C'est Ă  la rĂ©union de ces contraires, que doit se consacrer le théùtre moderne "La poĂ©sie complĂšte est dans l'harmonie des contraires". Ce souci de libertĂ© va trĂšs loin, puisque Victor Hugo proscrit les unitĂ©s classiques de temps et de lieu; quant Ă  l'unitĂ© d'action, sans laquelle il n'y a pas de cohĂ©rence possible, elle ne sera pas abolie, mais renforcĂ©e par la nĂ©cessitĂ© d'une unitĂ© plus intime, toute intĂ©rieure, -celle qui, du point de vue psychologique, est le pendant de l'unitĂ© d'action, -l'unitĂ© "d'impression". De mĂȘme, s'il convient de conserver l' alexandrin, vers dramatique par excellence, il faut l'assouplir, lui donner de la couleur en permettant des libertĂ©s de versification prohibĂ©es depuis deux siĂšcles, telles que l' enjambement, le dĂ©placement de la cĂ©sure; toutefois il convient de "rester fidĂšle Ă  la rime, cette esclave-reine, cette suprĂȘme grĂące de notre poĂ©sie"; par contre, il faut fuir la tirade, c'est le personnage qui doit parler et non, par sa bouche, l'auteur. Cette prĂ©occupation centrale du mĂ©lange des genres aboutira donc Ă  une forme théùtrale qui unira le "style noble" et le "style familier". Cependant on ne s'arrĂȘtera pas Ă  cette fusion du comique et du tragique le nouveau théùtre ne sera pas seulement dramatique, il sera Ă©galement lyrique, Ă©pique, moral et surtout historique; il sera vĂ©ritablement un art complet, utilisant toutes les ressources de la poĂ©sie. On le voit, la thĂ©orie est ambitieuse et on comprend que certains contemporains aient eu conscience, en lisant ce manifeste, qu'une nouvelle Ăšre du théùtre s'ouvrait. Toutefois, il ne faut pas nĂ©gliger le fait que Victor Hugo prĂȘchait pour son saint. S'il recommande l'emploi de l' alexandrin, c'est bien un peu parce qu'il se savait un virtuose de ce mĂštre; s'il soutient le théùtre historique, c'est qu'avec "Cromwell" il s'engageait dans une voie qu'il ne devait pas quitter; c'est donc un peu pour le théùtre qu'il se proposait d'Ă©crire dans l'immĂ©diat, qu'il lance son manifeste. De la prĂ©face de "Cromwell", le théùtre romantique devait tirer sa dĂ©finition, son Ă©lan, mais aussi ses limites il sera un théùtre en vers et un théùtre historique. La prose sera rĂ©servĂ©e aux drames, aux comĂ©dies rĂ©alistes, puis naturalistes, qui, en marge, tenteront une rĂ©forme plus radicale du théùtre. Ce sont peut-ĂȘtre ces limitations qui empĂȘcheront le théùtre romantique de produire ces grandes oeuvres rĂ©volutionnaires qu'il semblait promettre. Peu aprĂšs, c'est en se dĂ©gageant partiellement de cette optique que Delavigne construira ses oeuvres. Avec le recul du temps, le théùtre romantique, tel qu'il est dĂ©fini avec beaucoup de talent et d'Ă©clat par Hugo dans sa "PrĂ©face de Cromwell", ne semble pas avoir eu tellement plus d'importance que la tentative de rĂ©forme que fut la "comĂ©die larmoyante". Lorsque Hugo voudra faire, pour lui-mĂȘme, un nouveau théùtre, il s'Ă©loignera dĂ©libĂ©rĂ©ment des principes qu'il avait fixĂ©s en 1827 et il intitulera cette oeuvre dramatique, Le théùtre en libertĂ©. Quatrevingt-Treize, Victor Hugo 1874 Roman de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© Ă  Paris chez Michel LĂ©vy en 1874. L'orthographe du titre un seul trait d'union est conforme Ă  la volontĂ© expresse de l'auteur. Initialement prĂ©vu pour une trilogie qui aurait compris, outre L'homme qui rit, roman consacrĂ© Ă  l'aristocratie, un volume sur la monarchie, Quatrevingt-Treize, Ă©crit Ă  Guernesey de dĂ©cembre 1872 Ă  juin 1873, aprĂšs l'Ă©chec de Hugo aux Ă©lections de janvier 1872, achĂšve la rĂ©flexion de l'Ă©crivain sur la RĂ©volution Ă  la lumiĂšre de la Commune Nous avons revu ces moeurs» et tente de rĂ©pondre Ă  ces questions Ă  quelles conditions une rĂ©volution peut-elle crĂ©er un nouvel ordre des choses? 1793 Ă©tait-il, est-il toujours nĂ©cessaire? Le roman valut Ă  son auteur la haine des conservateurs. PremiĂšre partie. En mer». En mai 1793, le marquis de Lantenac, Ăąme de l'insurrection vendĂ©enne, arrive en Bretagne sur la Claymore, une corvette anglaise. A bord, il n'a pas hĂ©sitĂ© Ă  dĂ©corer puis Ă  faire exĂ©cuter un matelot qui n'avait pas arrimĂ© assez solidement un canon devenu incontrĂŽlable, ce canon avait failli dĂ©truire le bateau et Ă©craser Lantenac, sauvĂ© par l'intervention du coupable. La consigne du marquis est claire il faut tout mettre Ă  feu et Ă  sang. D'horribles combats s'ensuivent. Lantenac massacre des Bleus et capture trois enfants. DeuxiĂšme partie. A Paris». Pour rĂ©primer la contre-rĂ©volution, les membres du ComitĂ© de salut public nomment commissaire auprĂšs du commandant Gauvain, petit-neveu du marquis de Lantenac mais ralliĂ© Ă  la RĂ©publique, l'inflexible conventionnel Cimourdain, ancien prĂȘtre, conscience pure, mais sombre», dont Gauvain est le fils adoptif et le disciple. TroisiĂšme partie. En VendĂ©e». Gauvain parvient Ă  vaincre Lantenac. A l'issue d'un impitoyable combat, le marquis rĂ©ussit Ă  s'enfuir de la Tourgue, un donjon oĂč il s'est rĂ©fugiĂ© avec ses derniers partisans, dont le redoutable l'ImĂąnus» et Grand Francoeur, nom de guerre de l'abbĂ© Turmeau. L'un d'entre eux, Halmalo, incendie la tour, oĂč se trouvent encore les trois enfants capturĂ©s. Sous les yeux horrifiĂ©s de leur mĂšre, Michelle FlĂ©chard, qui, partie Ă  leur recherche, a fini par les retrouver, Lantenac se porte Ă  leur secours. Cimourdain peut alors l'arrĂȘter Je t'approuve», lui dit son prisonnier. Le marquis est condamnĂ© Ă  mort, mais Gauvain organise sa fuite la veille de l'exĂ©cution. MalgrĂ© les supplications des soldats, parmi lesquels le sergent Radoub, Cimourdain condamne Gauvain Ă  la guillotine, puis se tue d'un coup de pistolet quand tombe le couperet, et ces deux Ăąmes, soeurs tragiques, s'envolĂšrent ensemble, l'ombre de l'une mĂȘlĂ©e Ă  la lumiĂšre de l'autre». Trois hĂ©ros, trois forces historiques en prĂ©sence Lantenac symbolisant le passĂ©, la foi, la royautĂ©; Cimourdain le prĂ©sent, la RĂ©volution, la raison; Gauvain, l'avenir, la RĂ©publique, la misĂ©ricorde et le rĂȘve. Pourtant cette rĂ©partition se brouille Lantenac, renouant avec les sentiments humains, sauve les enfants de la FlĂ©charde»; Gauvain est noble, Cimourdain fils du peuple est prĂȘtre. Chacun relĂšve d'une double identitĂ©, l'une native, l'autre acquise. La double appartenance, cette contradiction dynamique installĂ©e au coeur du roman, transpose l'essentielle dualitĂ© qui anime toute la crĂ©ation hugolienne. S'expliquent alors les rapports des personnages. Ils doivent fonctionner par paires, identiques pour un aspect, opposĂ©es pour l'autre. L'ImĂąnus» et le sergent Radoub appartiennent au peuple et sont politiquement ennemis. Cimourdain et l'abbĂ© Turmeau sont d'Église et en reprĂ©sentent deux tendances radicalement contraires. Le noble Lantenac appelle un Gauvain. A l'inverse, la RĂ©volution rĂ©unit Gauvain, Cimourdain et Radoub. L'Ancien RĂ©gime s'incarne en Lantenac, Turmeau et les paysans vendĂ©ens comme Halmalo et l'ImĂąnus». Le trio Lantenac / Gauvain / Cimourdain Ă©tablit la parentĂ© de Lantenac et Gauvain par filiation naturelle, de Gauvain et Cimourdain par filiation spirituelle; celle de Lantenac et Cimourdain par leur inflexibilitĂ© et leur soumission Ă  la raison d'État autant de couples homogĂšnes. Le dĂ©bat intĂ©rieur, ce que Hugo nommait dans les MisĂ©rables une tempĂȘte sous un crĂąne», et non le seul jeu des forces historiques, occupe dĂšs lors le premier plan. Toute l'intrigue dĂ©pend d'une aventure celle des trois enfants. Issus d'un vendĂ©en mort pour le roi, trouvĂ©s avec leur mĂšre par le bataillon du Bonnet-Rouge, qui les adopte et fait de Michelle FlĂ©chard sa cantiniĂšre, pris en otage par les Blancs, ils sont sauvĂ©s par Lantenac. Enfants de la royautĂ© et de la RĂ©publique, ils naissent d'une contradiction imposĂ©e par l'Histoire et dont tout laisse supposer qu'ils devront l'assumer, comme un certain Victor Hugo, fils d'une VendĂ©enne et d'un gĂ©nĂ©ral rĂ©publicain qui fit cette guerre. Si Gauvain et Cimourdain prouvent par leur ralliement la justesse et la valeur de la RĂ©volution, puisqu'ils n'y trouvent aucun intĂ©rĂȘt personnel, rien ne prĂ©dispose a contrario les gens du peuple Ă  rejoindre l'un ou l'autre camp. Soldats bleus et vendĂ©ens appartiennent tous Ă  un peuple qui se dĂ©chire et se dĂ©nature. Seules quelques figures symboliques, comme Michelle FlĂ©chard, type de la mĂšre, ont conservĂ© une innocence encore intacte, insensible aux passions politiques. ProfondĂ©ment humaine, mais obĂ©issant Ă  un instinct animal, elle pousse un cri de bĂȘte en voyant l'incendie de la Tourgue. Ce cri provoque le retournement de Lantenac accĂ©dant Ă  la pitiĂ©, il devient alors un autre Gauvain. La communautĂ© originelle est refondĂ©e entre des hommes touchĂ©s par le sentiment dĂ©but d'un processus d'humanisation que l'avenir devra favoriser et exalter, notamment par l'Ă©ducation, qui rendra possible cette nĂ©cessaire mĂ©tamorphose. Hugo trace ainsi toute la portĂ©e de la RĂ©volution. Elle se dĂ©finit pour lui comme lutte d'idĂ©es et non de classes. Le peuple porte en germe le destin de l'humanitĂ©, laquelle trouve son expression politique dans la RĂ©publique. Mais la complexitĂ© des enjeux tend, paradoxalement, Ă  dĂ©shumaniser les personnages. Si Lantenac se comporte conformĂ©ment Ă  ses origines sociales, l'ImĂąnus», son lieutenant, est un monstre bestial. Gauvain et Cimourdain se subliment en surhommes, semblables et opposĂ©s Ă  la fois, ce qui les condamne au suicide. La RĂ©publique doit naĂźtre d'une convulsion. Conversion des consciences, elle suppose la violence. Ainsi apparaĂźt toute la contradiction de la Terreur. Loin de se rĂ©duire Ă  une aberration ou Ă  une dĂ©viation de l'Histoire, ce moment paroxystique permet la prise du pouvoir et la mise en place des institutions nĂ©cessaires Ă  l'Ă©radication de la misĂšre matĂ©rielle et spirituelle. Il constitue la foule informe en peuple, mais il risque en mĂȘme temps d'ĂȘtre, comme le dit Gauvain Ă  Cimourdain, la calomnie de la RĂ©volution». Outil nĂ©cessaire, la Terreur prive d'efficacitĂ© historique l'idĂ©al mĂȘme qu'elle promeut et place les individus qui se battent en son nom dans une tragique contradiction. Si le peuple vendĂ©en se mĂ©prend en combattant la RĂ©volution, la Terreur se comporte en effet comme une VendĂ©e Ă  l'envers. La RĂ©volution se trompe sur ses partisans, et fait tuer l'idĂ©aliste Gauvain, dont le crime est au fond d'ĂȘtre proche des idĂ©es girondines, ou d'un libĂ©ralisme anarchisant, ce que la logique terroriste ne peut que considĂ©rer comme une trahison. Le suicide du jacobin Cimourdain, qui ne peut ni soutenir ses propres idĂ©es ni les dĂ©savouer, parachĂšve alors celui de la RĂ©volution. Indissolublement liĂ©es, Terreur et RĂ©volution rendent celle-ci littĂ©ralement inconcevable la RĂ©volution est bien un bloc tragique, Ă©pique, sidĂ©rant, dans lequel on ne peut innocemment choisir. L'aporie idĂ©ologique du roman ne peut se rĂ©soudre que par le passage Ă  un autre plan. Cette mutation s'accomplit de façon triple par le pari sur l'avenir des enfants, lesquels par la destruction iconoclaste du livre de la vie de saint BarthĂ©lemy dĂ©chirent Ă  la fois la culture et le passĂ©; par la derniĂšre conversation de Gauvain et Cimourdain dans le cachot La sociĂ©tĂ©, c'est la nature sublimĂ©e»; enfin par l'assomption de leurs Ăąmes mĂȘlĂ©es qui, se rĂ©conciliant dans l'au-delĂ , y instaurent l'impossible unitĂ© de la Terreur et de la RĂ©volution. Fin poĂ©tique pour un roman oĂč le poĂšte doit s'exclure d'une Histoire qu'il ne peut autrement transcender. Affrontement Ă©pique, le roman brosse une fresque de l'Ă©pisode vendĂ©en en le situant cependant dans la Bretagne de la chouannerie, et met Ă  l'unisson de la tragĂ©die historique le sublime du style. Les pages consacrĂ©es au dialogue entre Danton, Marat et Robespierre dans le cabaret de la rue du Paon II, 2, ou celles filant la mĂ©taphore montagnarde Ă  propos de la Convention II, 3 Ă©lĂšvent le roman jusqu'aux sommets de l'Ă©popĂ©e. La dramatisation des conflits dĂ©passe considĂ©rablement les facilitĂ©s du mĂ©lodrame, mĂȘme si les personnages ne se voient affectĂ©s qu'exceptionnellement d'une vĂ©ritable Ă©paisseur romanesque, tels Lantenac ou Radoub, tandis que Gauvain et Cimourdain restent proches des types du théùtre romantique. Monologues et dialogues, rĂ©partition des lieux aboutissant Ă  l'Ă©pisode de la Tourgue, concentration de l'intrigue la rĂ©fĂ©rence théùtrale sous-tend le roman, par ailleurs enrichi d'une peinture particuliĂšrement remarquable de l'Histoire et de son dĂ©cor. Ruy Blas, Victor Hugo 1838 Drame en cinq actes et en vers de Victor Hugo 1802-1885, créé Ă  Paris au théùtre de la Renaissance le 8 novembre 1838, et publiĂ© Ă  Leipzig chez Brockhaus et Avenarius la mĂȘme annĂ©e. AprĂšs la bataille d'Hernani, Hugo s'efforce de s'attirer un public tant bourgeois que populaire. L'Ă©chec de Le roi s'amuse, le triomphe de LucrĂšce Borgia, que Marie Tudor ne confirma pas, le succĂšs d'Angelo convainquent les auteurs-phares Dumas et Hugo de crĂ©er un théùtre oĂč le drame romantique serait chez lui. Le théùtre de la Renaissance sera ce lieu, et, pour son ouverture, Hugo Ă©crit Ruy Blas. Un salon dans le palais du roi, Ă  Madrid. Don Salluste de Bazan, disgraciĂ© par la reine d'Espagne, Doña Maria de Neubourg, mĂ©dite sa vengeance. Il veut se servir d'un cousin dĂ©voyĂ©, Don CĂ©sar, qui refuse dans un sursaut d'honneur. Ver de terre amoureux d'une Ă©toile», Ruy Blas, valet de Don Salluste, restĂ© seul avec Don CĂ©sar, lui avoue son amour pour la Reine. Ayant tout entendu, Don Salluste fait enlever Don CĂ©sar, dicte des lettres compromettantes Ă  Ruy Blas et, le couvrant de son manteau, le prĂ©sente Ă  la cour comme son cousin CĂ©sar. Il lui ordonne de plaire Ă  la Reine et d'ĂȘtre son amant Acte I. Don Salluste». Un salon contigu Ă  la chambre de la Reine. DĂ©laissĂ©e par son Ă©poux et prisonniĂšre d'une Ă©tiquette tyrannique, la Reine s'ennuie. RestĂ©e seule pour ses dĂ©votions, elle rĂȘve Ă  l'inconnu qui lui a dĂ©posĂ© des fleurs et un billet, laissant un bout de dentelle sur une grille. Entre Ruy Blas, devenu Ă©cuyer de la Reine, porteur d'une lettre du roi. GrĂące Ă  la dentelle, la Reine reconnaĂźt en lui son mystĂ©rieux amoureux, que Don Guritan, vieil aristocrate Ă©pris de cette derniĂšre, provoque en duel. Mais la Reine, prĂ©venue, envoie le jaloux en mission chez ses parents Ă  Neubourg, en Allemagne Acte II. La Reine d'Espagne». La salle du gouvernement dans le palais royal. Six mois plus tard, les conseillers commentent l'ascension de Ruy Blas portant toujours le nom de Don CĂ©sar, devenu Premier ministre, et se disputent les biens de l'Espagne. Ruy Blas les fustige de sa tirade mĂ©prisante Bon appĂ©tit, messieurs!» La Reine qui, cachĂ©e, a tout entendu, lui avoue son amour et lui demande de sauver le royaume. RestĂ© seul, Ruy Blas s'Ă©merveille de cette dĂ©claration quand paraĂźt Don Salluste habillĂ© en valet, qui, humiliant son domestique, lui commande de se rendre dans une maison secrĂšte et d'y attendre ses ordres Acte III. Ruy Blas». Une petite chambre dans la mystĂ©rieuse demeure. Ruy Blas envoie un page demander Ă  Don Guritan de prĂ©venir la Reine elle ne doit pas sortir. DĂ©gringolant par la cheminĂ©e, Don CĂ©sar, tout en se restaurant, raconte ses picaresques aventures. Un laquais apporte de l'argent pour le faux Don CĂ©sar le vrai le prend. Une duĂšgne vient ensuite confirmer de la part de la Reine le rendez-vous, organisĂ© en fait par Don Salluste. Don Guritan vient pour tuer Ruy Blas en duel Don CĂ©sar le tue. Arrive Don Salluste, inquiet. Don CĂ©sar lui apprend la mort de Guritan et la confirmation du rendez-vous. Don Salluste s'en dĂ©barrasse en le faisant passer pour le bandit Matalobos auprĂšs des alguazils, qui l'arrĂȘtent Acte IV. Don CĂ©sar». La mĂȘme chambre, la nuit. Ruy Blas croit avoir sauvĂ© la Reine et veut s'empoisonner. Elle paraĂźt cependant, ainsi que Don Salluste, qui, savourant sa vengeance, prĂ©tend la faire abdiquer et fuir avec Ruy Blas, lequel se dĂ©couvre pour ce qu'il est aux yeux de son amante. RĂ©voltĂ©, le domestique tue Don Salluste, avale le poison et meurt dans les bras de la Reine, qui, se jetant sur son corps, lui pardonne et l'appelle de son nom, Ruy Blas Acte V. Le Tigre et le Lion». DatĂ©e du 25 novembre 1838, la PrĂ©face du drame expose la loi du genre il tient de la tragĂ©die par la peinture des passions, et de la comĂ©die par la peinture des caractĂšres». A cette dĂ©finition gĂ©nĂ©rale, Hugo ajoute une caractĂ©ristique particuliĂšre de Ruy Blas suite d'Hernani oĂč la noblesse lutte contre le roi avant l'installation de la monarchie absolue, la piĂšce met en scĂšne la scission de la noblesse, nĂ©e de la dĂ©cadence monarchique. D'un cĂŽtĂ©, des pillards de l'État uniquement prĂ©occupĂ©s de leur intĂ©rĂȘt personnel Don Salluste; de l'autre, des aventuriers bohĂšmes dĂ©goĂ»tĂ©s de la chose publique Don CĂ©sar. Dans l'ombre remue quelque chose de grand, de sombre et d'inconnu» le peuple, qui a l'avenir et qui n'a pas le prĂ©sent». DĂ©positaire de l'honneur, de l'autoritĂ© et de la charitĂ©, il s'incarne en Ruy Blas. Au-dessus, une pure et lumineuse crĂ©ature, une femme, une reine». Doublement malheureuse, comme Ă©pouse et comme reine, toute de pitiĂ©, elle regarde en bas pendant que Ruy Blas, le peuple, regarde en haut». Proposant d'autres lectures, le dramaturge suggĂšre une interprĂ©tation psychologique Salluste, l'Ă©goĂŻsme absolu et le souci sans repos, CĂ©sar, le dĂ©sintĂ©ressement et l'insouciance, Ruy Blas, le gĂ©nie et la passion bridĂ©s par la sociĂ©tĂ©, la Reine, la vertu minĂ©e par l'ennui aussi bien qu'une piste allĂ©gorico-gĂ©nĂ©rique Salluste serait le drame, CĂ©sar la comĂ©die, Ruy Blas la tragĂ©die. Hugo distingue enfin les sujets philosophique, c'est le peuple aspirant aux rĂ©gions Ă©levĂ©es»; humain, c'est un homme qui aime une femme»; dramatique, c'est un laquais qui aime une reine». La portĂ©e idĂ©ologique semble primer alliance du peuple et de la royautĂ©, promotion du peuple comme sujet de l'Histoire. La logique dramatique dĂ©ment cet apparent optimisme historique. Autant que la tradition comique et picaresque, le mĂ©lodrame imprĂšgne le drame, lui prĂȘtant l'un de ses lieux d'Ă©lection la maison secrĂšte, peuplĂ©e de NĂšgres muets, l'arsenal des situations complots, dĂ©guisements, enlĂšvements, duels, reconnaissances, Ă©vasions, quiproquos, piĂšges, etc., l'horlogerie dramatique des rencontres, dĂ©parts, retours, la rĂ©partition entre le sublime pathĂ©tique et le grotesque picaresque, qui rĂ©git tout l'acte IV. Surtout, il dĂ©termine la psychologie des personnages, construits antithĂ©tiquement. En Don Salluste, l'incarnation du mal, s'opposent la dignitĂ© et la noirceur de l'Ăąme. VĂ©ritable traĂźtre de mĂ©lodrame, il ourdit une trame complexe. Aristocrate cynique, il manipule avec art les ĂȘtres, quitte Ă  changer de tactique quand la rĂ©ponse espĂ©rĂ©e déçoit. MaĂźtre du langage efficace, metteur en scĂšne du drame, il en distribue les rĂŽles et sait bien en rĂ©gler les mouvements. DĂ©chirĂ© entre sa noblesse morale et la bassesse de sa condition, Ruy Blas vit un rĂȘve, qui se brise sur le rappel d'une contrainte l'identitĂ© du laquais et celle de CĂ©sar sont incompatibles. Le masque qu'il doit porter compromet Ă  la fois son discours politique, dĂ» tant Ă  l'amour qu'Ă  une certaine idĂ©e de l'Espagne, et sa parole amoureuse. Ni l'un ni l'autre ne peuvent s'exprimer pleinement. Seule la mort lui restitue son nom, vil et noble Ă  la fois. Don CĂ©sar, de son cĂŽtĂ©, s'impose comme prince du verbe. Truculent, grand seigneur devenu le brigand Zafari, il reste homme d'honneur, champion d'une parole libre, mais aussi un exclu, deux fois dĂ©portĂ©. PoĂšte du grotesque, ĂȘtre du refus et instrument involontaire de mort, il joue Ă  son insu le jeu diabolique de son cousin. Figure romantique par excellence, la Reine incarne le sublime de l'amour, auquel jeunesse, beautĂ©, caractĂšre, tout la destine. Femme dĂ©laissĂ©e, amoureuse passionnĂ©e, mais aussi tĂȘte politique, elle n'a besoin que d'un homme pour accomplir son destin. Pure victime, elle accĂšde Ă  la douleur tragique. La couleur locale ressortit avant tout Ă  l'Histoire. L'Espagne de Charles II, vers 1695, la cour Ă©touffante, rĂ©gie par l'Ă©tiquette glacĂ©e sujet traitĂ© par Latouche dans sa Reine d'Espagne en 1831, les brigands, la cupiditĂ© des Grands, un royaume Ă  l'encan Dans Hernani, le soleil de la maison d'Autriche se lĂšve, dans Ruy Blas, il se couche» PrĂ©face. JouĂ©e quarante-neuf fois de novembre 1838 Ă  juillet 1839 en alternance avec des opĂ©ras-comiques, la piĂšce connut, malgrĂ© une critique dĂ©sastreuse, un grand succĂšs populaire, le dernier du drame romantique Ă  la scĂšne, saluĂ© par une parodie de Maxime de Redon, Ruy Bras, en novembre 1838 et, plus tard, par un Don CĂ©sar de Bazan de Dumanoir et Dennery, en 1844, qui inspira un opĂ©ra Ă  Massenet en 1872. FrĂ©dĂ©rick LemaĂźtre, monstre sacrĂ© du mĂ©lodrame, crĂ©a le rĂŽle-titre. Il le reprit quarante-huit fois en 1841 Ă  la Porte-Saint-Martin. Le drame, aprĂšs une interdiction de NapolĂ©on III en 1867, ne fut redonnĂ© qu'en 1872 Ă  l'OdĂ©on _ Sarah Bernhardt jouant la Reine _ avant d'entrer au rĂ©pertoire de la ComĂ©die-Française en 1879. William Shakespeare, Victor Hugo 1864 Manifeste de Victor Hugo 1802-1885, publiĂ© simultanĂ©ment Ă  Bruxelles chez Lacroix, Verboeckhoven et Cie et Ă  Paris Ă  la Librairie internationale en 1864. Livre insolite, considĂ©rĂ© par son auteur comme faisant partie intĂ©grante de sa philosophie» OEuvres, 1882, cet ouvrage amplifie considĂ©rablement ce qui aurait dĂ» initialement ĂȘtre une prĂ©face Ă  la traduction des oeuvres de Shakespeare par François-Victor Hugo, le fils du poĂšte rĂ©duite Ă  quelques pages, elle paraĂźtra en 1865. Manifeste littĂ©raire du XIXe siĂšcle» destinĂ© Ă  continuer l'Ă©branlement philosophique et social causĂ© par les MisĂ©rables», William Shakespeare mĂȘle poĂ©tique et politique, et dĂ©veloppe la thĂ©orie hugolienne du gĂ©nie. PremiĂšre partie. AprĂšs une Ă©vocation de la vie de Shakespeare, cet homme ocĂ©an» livre 1, Hugo Ă©numĂšre les Égaux», gĂ©nies scandant l'histoire de l'humanitĂ© HomĂšre, Job, Eschyle, IsaĂŻe, ÉzĂ©chiel, LucrĂšce, JuvĂ©nal, Tacite, saint Jean, saint Paul, Dante, Rabelais, CervantĂšs, Shakespeare 2, puis compare l'art, Ă©ternel et non perfectible, et la science, asymptote de la vĂ©rité». On peut donc Ă©galer les gĂ©nies, en Ă©tant autre» 3. Hugo traite ensuite de Shakespeare l'ancien», c'est-Ă -dire Eschyle, l'aĂŻeul du théùtre» 4, pour mĂ©diter ensuite sur la production des Ăąmes», ce secret de l'abĂźme» 5. DeuxiĂšme partie. AprĂšs la dĂ©finition du gĂ©nie» de Shakespeare livre 1 et l'examen des points culminants de son oeuvre» 2, Hugo expose au nom d'une vraie critique admirative opposĂ©e Ă  celle des censeurs pointilleux, la mission du poĂšte mettre la canaille, commencement douloureux du peuple», Ă  l'Ă©cole de l'honnĂȘte» 3-4. Il s'agit de construire le peuple dans le progrĂšs et par la lumiĂšre, le beau Ă©tant serviteur du vrai, et de montrer aux hommes l'idĂ©al, ce miroir oĂč est la face de Dieu» 5-6. TroisiĂšme partie. Conclusion». AprĂšs avoir situĂ© Shakespeare comme gloire de l'Angleterre livre 1, Hugo embrasse le XIXe siĂšcle, fils d'une idĂ©e», la rĂ©volution. Le gĂ©nie moderne n'a pas de modĂšle, il joint le beau Ă  l'utile et guide l'humanitĂ© en la libĂ©rant. L'Ă©popĂ©e suprĂȘme s'accomplit», sublime spectacle, le prophĂšte anĂ©antissant le hĂ©ros, le balayage de la force par l'idĂ©e» 2-3. Immense rĂȘverie, ce livre inclassable entend fonder le droit de la RĂ©volution française Ă  ĂȘtre reprĂ©sentĂ©e dans l'art». Affirmant de nouveau l'unitĂ© moderne du triple mouvement littĂ©raire, philosophique et social», Hugo complĂšte les MisĂ©rables, dĂ©fendus et illustrĂ©s par cette rĂ©flexion sur la nature du gĂ©nie poĂ©tique. Rejetant les critiques adressĂ©es Ă  Shakespeare, Ă©trangement semblables Ă  celles dĂ©cochĂ©es contre le grand roman Ă©crit pour le peuple, Hugo Ă©tablit la nĂ©cessaire appartenance du gĂ©nie au peuple, dont il est Ă  la fois le fils et le pĂšre, comme le XIXe siĂšcle est fils et pĂšre de lui-mĂȘme. L'art n'a pas d'histoire perpĂ©tuelle rĂ©itĂ©ration et complet renouvellement, domaine des Égaux», il s'avĂšre pure discontinuitĂ© de gĂ©nie en gĂ©nie, d'abĂźme en abĂźme. Le gĂ©nie se gĂ©nĂšre, mais ne se dĂ©passe pas, et prouve la puissance continuante de Dieu». Le progrĂšs postrĂ©volutionnaire rĂ©side dĂšs lors en une pĂ©nĂ©tration de l'idĂ©al, type immobile du progrĂšs marchant», et une construction du peuple par le travail du poĂšte, ce phare, cette avant-garde de l'humanitĂ©. La litanie des gĂ©nies de l'Histoire vaut alors comme sĂ©rie emblĂ©matique. Suivant apparemment un ordre chronologique et gĂ©ographique, sont citĂ©s gĂ©nies antiques et modernes, sol sacrĂ© de l'Asie» et Europe. Mais un prophĂšte hĂ©breu rĂ©pond chaque fois Ă  HomĂšre et Eschyle, les Romains reprĂ©sentent autant de faces du talent hugolien, du voyant LucrĂšce au satirique JuvĂ©nal en passant par Tacite l'historien punissant», les ApĂŽtres renouent avec la tradition hĂ©braĂŻque; Dante, repris par Rabelais et CervantĂšs, et Shakespeare sont frĂšres, mĂȘlant drame et roman, genre moderne par excellence. PoĂštes de la dĂ©mesure, ils ouvrent sur le gĂ©nie hugolien. Moi», moi et la RĂ©volution» voilĂ  le sujet principal du livre. Non pas dĂ©lire mĂ©galomane ni orgueil incommensurable, mais conscience d'ĂȘtre l'homme-siĂšcle. Ce moi dĂ©finit superbement la clĂ©ricature des Ă©crivains, Ă©tablit la nĂ©cessitĂ© d'une mission inscrite dans l'Histoire, Ă  la fois rĂ©elle et prophĂ©tique. PrĂ©figurant une nouvelle harmonie, concrĂ©tisant de nouvelles relations sociĂ©taires entre les hommes, proclamant la nouvelle Alliance, il fonde une nouvelle religion, celle du progrĂšs. ÉvĂ©nement crĂ©ateur de la modernitĂ©, la RĂ©volution, ce nom de la civilisation», crĂ©e la rupture fondamentale. L'individu gĂ©nial, homologue du siĂšcle, le contient, tel un microcosme spirituel. Sommet de l'Histoire, le XIXe siĂšcle impose Ă  l'Ă©crivain de devenir pleinement un rĂ©volutionnaire. Irruption d'une Ă©vidence, Ă©ruption du sens l'Ă©crivain quitte les tĂ©nĂšbres de l'erreur et, Ă  la lumiĂšre de la vĂ©ritĂ©, doit tout recrĂ©er, imitant Dieu. Ouvrier du progrĂšs, dĂ©vouĂ© Ă  son sacerdoce, il transcrit l'infini dans une littĂ©rature authentiquement dĂ©mocratique, et fait respirer le genre humain». Son messianisme adjure le siĂšcle de se rĂ©aliser et sa parole le constitue en sujet de sa propre histoire. La somme des livres et des discours totalise le XIXe siĂšcle, littĂ©raire par essence, qui s'Ă©crit lui-mĂȘme par le truchement d'un mĂ©dium. La poĂ©sie devient vĂ©ritable poiesis Ă©crire le siĂšcle, c'est le faire. Transparence de Dieu, le XIXe siĂšcle fait donc du poĂšte un prĂȘtre, serviteur de Dieu dans le progrĂšs et apĂŽtre de Dieu dans le peuple». La rĂ©volution apparaĂźt alors comme l'un des avatars de la Providence et la parole poĂ©tique, parole divine. L'ĂȘtre universel» s'incarne dans le poĂšte. L'Ă©criture ne peut ĂȘtre qu'Ă©criture sainte, Verbe, souffle de l'Esprit. Homme et Dieu Ă  la fois, le poĂšte accomplit un trajet christique. Le XIXe siĂšcle se dĂ©finit ultimement comme siĂšcle des vraies LumiĂšres, Ă©popĂ©e suprĂȘme oĂč chacun sera mis Ă  sa juste place. Le temps historique enfin assumĂ© deviendra lisible comme un texte La civilisation a des phrases. Ces phrases sont les siĂšcles», et toutes ces phrases, exprimant l'idĂ©e divine, Ă©crivent hautement le mot Fraternité». Le XIXe siĂšcle inscrit la fin de l'Histoire et abolit l'altĂ©ritĂ© malĂ©fique. SiĂšcle de la finalitĂ©, il met fin aux siĂšcles. Adviendra le temps de Dieu et des hommes. L'ouvrage reçut les injures de la critique, qui n'y voulut voir que galimatias et amphigouri. Somme philosophique hugolienne, proclamation la plus dĂ©cisive d'une diffĂ©rence de l'Ă©crivain moderne, vision de l'Histoire, William Shakespeare formule la conception la plus Ă©laborĂ©e du romantisme prophĂ©tique. Prose d'idĂ©es oĂč se filent les mĂ©taphores, se combinent les anaphores et alternent les formes du rĂ©cit, de l'essai ou du discours, il offre l'une des plus grandioses productions du gĂ©nie hugolien.
Mortde #JohnnyHallyday Pour @auroreberge, "c'est peut-ĂȘtre comparable Ă  ce que la France avait connu avec la mort de Victor Hugo. Je pense que ce sera une comparaison de ce niveau". Toute son
Vous ĂȘtes ici Accueil Histoire Grands dis... Victor Hugo 15 septembre 1848 Contenu de l'article Victor Hugo abolition de la peine de mort 15 septembre 1848 Toute sa vie Victor Hugo a Ă©tĂ© un farouche abolitionniste. Ce combat contre la peine de mort est d'abord menĂ© au moyen de son oeuvre littĂ©raire. Dans deux romans, Le dernier jour d'un condamnĂ© 1829 et Claude Gueux 1834, il dĂ©peint la cruautĂ© des exĂ©cutions capitales auxquelles il a assistĂ© dans son enfance. S'il avoue que l'Ă©criture l'a libĂ©rĂ© d'une culpabilitĂ©, il ajoute, dans la prĂ©face de 1832 du dernier jour d'un condamnĂ©, que se laver les mains est bien, empĂȘcher le sang de couler serait mieux ». Élu pair de France, Victor Hugo tente sans succĂšs de convaincre ses collĂšgues lors du procĂšs de Pierre Lecomte, accusĂ© de tentative d'assassinat sur Louis-Philippe, d'Ă©carter le chĂątiment suprĂȘme. Mais, c'est au cours de la sĂ©ance de l'AssemblĂ©e constituante du 15 septembre 1848 qu'il prononce son discours le plus cĂ©lĂšbre pour l'abolition de la peine de mort. DĂ©jĂ , en 1830, Ă  l'AssemblĂ©e nationale, cette question avait donnĂ© lieu Ă  un dĂ©bat public. La proposition de loi de Destutt de Tracy dĂ©posĂ©e le 17 aoĂ»t 1830 est suivie d'un vote par la Chambre des dĂ©putĂ©s d'une Adresse au Roi demandant l'abolition. Puis la loi du 28 avril 1832 modifiant le code pĂ©nal supprime neuf cas passibles de la peine capitale complot sans attentat, fausse monnaie, contrefaçon des sceaux de l'Etat, certains incendies volontaires, vol avec circonstances aggravantes notamment et gĂ©nĂ©ralise les circonstances attĂ©nuantes. En 1838 ont lieu de nouveaux dĂ©bats au cours desquels intervient Lamartine. En 1848 deux jours aprĂšs la proclamation de la DeuxiĂšme RĂ©publique, un dĂ©cret du Gouvernement provisoire abolit la peine de mort en matiĂšre politique. Dans une lettre Ă  Lamartine du 27 fĂ©vrier 1848, Victor Hugo approuve l'abolition. Candidat Ă  l'AssemblĂ©e constituante lors du scrutin complĂ©mentaire du 4 juin 1848, il explique, dans sa profession de foi du 26 mai 1848, ce qu'il attend de la RĂ©publique une libertĂ© sans usurpation et sans violence, une Ă©galitĂ© qui admettra la croissance naturelle de chacun, une fraternitĂ© non de moines dans un couvent, mais d'hommes libres, donnera Ă  tous l'enseignement comme le soleil donne la lumiĂšre. » AprĂšs les Ă©meutes de juin, il intervient, pendant tout le mois de juillet, en faveur de nombreux prisonniers politiques menacĂ©s d'exĂ©cution et de dĂ©portation. Quelques mois aprĂšs la proclamation de la RĂ©publique, il s'agit pour les reprĂ©sentants de la Nation de la doter d'une Constitution. L'article 5 du projet, inspirĂ© par le dĂ©veloppement du romantisme rĂ©volutionnaire et par le fait que dans une pĂ©riode si troublĂ©e les opposants d'aujourd'hui, parfois qualifiĂ©s de criminels », ont vocation Ă  devenir les dirigeants de demain, dispose que la peine de mort est abolie en matiĂšre politique ». Trois dĂ©putĂ©s, Coquerel, Rabuan et Buvignier, dĂ©posent alors des amendements identiques visant Ă  supprimer les mots en matiĂšre politique. », ce qui a pour consĂ©quence de proposer d'Ă©tendre l'abolition aux crimes de droit commun. C'est pour soutenir cette rĂ©daction de l'article que Victor Hugo intervient Ă  l'improviste », mais il ne parvient pas Ă  la faire adopter. Les amendements sont rejetĂ©s par 498 voix contre 216. Victor Hugo poursuivra ce combat jusqu'Ă  sa mort. Lors de l'exil, il mĂšnera une campagne auprĂšs de la population de Guernesey pour la commutation de la peine du criminel John Tapner et Ă©choue face Ă  l'inflexibilitĂ© du secrĂ©taire d'État de l'IntĂ©rieur, Lord Palmerston. Ses espoirs de voir sa cause progresser avec le retour de la RĂ©publique seront déçus par la sanglante rĂ©pression des communards ».Pour autant, ce discours constituera une rĂ©fĂ©rence pour ceux qui militeront pour l'abolition de la peine de mort jusqu'Ă  la loi du 9 octobre 1981. Le citoyen Victor Hugo. Messieurs, comme l'honorable rapporteur de votre commission, je ne m'attendais pas Ă  parler sur cette grave et importante matiĂšre. Je regrette que cette question, la premiĂšre de toutes peut-ĂȘtre, arrive au milieu de vos dĂ©libĂ©rations presque Ă  l’improviste, et surprenne les orateurs non prĂ©parĂ©s. Quant Ă  moi, je dirai peu de mots, mais, ils partiront du sentiment d’une conviction profonde et ancienne. Vous venez de consacrer l’inviolabilitĂ© du domicile ; nous vous demandons de consacrer une inviolabilitĂ© plus haute et plus sainte encore ; l’inviolabilitĂ© de la vie humaine. Messieurs, une constitution, et surtout une constitution faite par et pour la France, est nĂ©cessairement un pas dans la civilisation ; si elle n’est point un pas dans la civilisation, elle n’est rien. TrĂšs bien ! trĂšs bien ! Eh bien, songez-y ! Qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spĂ©cial et Ă©ternel de la barbarie. Mouvement. Partout oĂč la peine de mort est prodiguĂ©e, la barbarie domine ; partout oĂč la peine de mort est rare, la civilisation rĂšgne. Mouvement. Ce sont lĂ  des faits incontestables. L’adoucissement de la pĂ©nalitĂ© est un grand et sĂ©rieux progrĂšs. Le 18° siĂšcle, c’est lĂ  une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le 19° abolira certainement la peine de mort. AdhĂ©sion Ă  gauche. Plusieurs voix. Oui ! oui ! Le citoyen Victor Hugo. Vous ne l’abolirez pas peut-ĂȘtre aujourd’hui ; mais, n’en doutez pas, vous l’abolirez ou vos successeurs l’aboliront demain ! Les mĂȘmes voix. Nous l’abolirons ! Agitation. Le citoyen Victor Hugo. Vous Ă©crivez en tĂȘte du prĂ©ambule de votre constitution En prĂ©sence de Dieu, » et vous commenceriez par lui dĂ©rober, Ă  ce Dieu, ce droit qui n’appartient qu’à lui, le droit de vie et de mort. TrĂšs bien ! trĂšs bien ! Messieurs, il y a trois choses qui sont Ă  Dieu et qui n’appartiennent pas Ă  l’homme l’irrĂ©vocable, l’irrĂ©parable, l’indissoluble. Malheur Ă  l’homme s’il les introduit dans ses lois ! Mouvement. TĂŽt ou tard elles font plier la sociĂ©tĂ© sous leur poids, elles dĂ©rangent l’équilibre nĂ©cessaire des lois et des mƓurs, elles ĂŽtent Ă  la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, rĂ©flĂ©chissez-y, messieurs, Profond silence que la loi Ă©pouvante la conscience ! Sensation. Messieurs, je suis montĂ© Ă  cette tribune pour vous dire un seul mot, un mot dĂ©cisif, selon moi ; ce mot, le voici Écoutez ! Ă©coutez ! AprĂšs fĂ©vrier, le peuple eut une grande pensĂ©e le lendemain du jour oĂč il avait brĂ»lĂ© le trĂŽne, il voulut brĂ»ler l’échafaud. TrĂšs bien ! — Sensation. Ceux qui agissaient sur son esprit alors ne furent pas, je le regrette profondĂ©ment, Ă  la hauteur de son grand cƓur. A gauche TrĂšs bien ! Le citoyen Victor Hugo. On l’empĂȘcha d’exĂ©cuter cette idĂ©e sublime. Eh bien, dans le premier article de la constitution que vous vous votez, vous venez de consacrer la premiĂšre pensĂ©e du peuple, vous avez renversĂ© le trĂŽne; maintenant consacrez l’autre, renversez l’échafaud. Vif assentiment sur plusieurs bancs.Je vote l’abolition pure, simple et dĂ©finitive de la peine de mort. VictorHugo a produit ce rĂ©cit en seulement 5 mois. Il ne quittait son bureau que pour manger ou dormir car Ă  la fin de ce dĂ©lai, il devait rendre son roman Ă  son Ă©diteur avec lequel il avait passĂ© un ''traitĂ©''. MalgrĂ© toute cette pression, Hugo a Ă©crit ce livre qui se vendra la mĂȘme annĂ©e Ă  3300 exemplaires (un chiffre Ă©norme pour l'Ă©poque), avant qu'il ne devienne un
29/09/2013 1706Biographie Victor HUGO 1802-1885 NĂ© Ă  Besançon le 26 fĂ©vrier 1802, mort Ă  Paris le 22 mai 1885. Figure littĂ©raire hors pair, Victor Hugo est, trĂšs jeune, attirĂ© par la poĂ©sie et la gloire liĂ©e Ă  l’écriture ; ses premiers succĂšs lui apportent la cĂ©lĂ©britĂ©. PoĂšte, romancier, auteur dramatique, engagĂ© politiquement son roman le Dernier jour d’un condamnĂ© en est le prĂ©lude en 1829, exilĂ© sous le Second Empire, ce gĂ©nie traverse son Ă©poque, la marquant par sa vitalitĂ©, ses combats, ses convictions et son immense talent. Son Ɠuvre poĂ©tique est marquĂ©e notamment par les Odes et ballades 1828, les ChĂątiments 1853, les Contemplations 1856 et la LĂ©gende des siĂšcles 1859 Ă  1883, comme son Ɠuvre romanesque est dominĂ©e par Notre-Dame de Paris 1831 et les MisĂ©rables 1862. AprĂšs la prĂ©face manifeste de Cromwell, Victor Hugo entre de façon fracassante dans le milieu du théùtre du dĂ©but du XIXe siĂšcle avec Hernani 1830 et la cĂ©lĂšbre bataille au moment de la crĂ©ation Ă  la ComĂ©die-Française. Hugo est alors le chef de file incontestĂ© de l’école romantique. Dans l’écriture de ses drames, passion et politique sont des forces qui s’entrechoquent, et les fulgurances de l’action dramatique rĂ©vĂšlent aux cƓurs purs la seule voie, funeste et hĂ©roĂŻque, qui leur est ouverte. La dĂ©cennie suivante voit la prĂ©sentation sur scĂšne de ses drames, Le roi s’amuse 1832, interdite aprĂšs la crĂ©ation, LucrĂšce Borgia 1833, Marie Tudor 1833, Angelo, tyran de Padoue 1835, Ruy Blas et Marion Delorme 1838, jusqu’à l’échec des Burgraves en 1843. À la fin de sa vie, Victor Hugo reviendra au théùtre avec l’écriture de plusieurs piĂšces, dont la sĂ©rie du Théùtre en libertĂ© ». SchĂ©mas narratif et actanciel Le schĂ©ma narratif du rĂ©cit Situation initiale Le personnage-narrateur menait une vie heureuse avec sa famille, sa fille Marie, sa femme et sa mĂšre jusqu’au jour du crime qui a bouleversĂ© sa vie. NB Le rĂ©cit commence in medias res c’est-Ă -dire le moment oĂč l’action est dĂ©jĂ  engagĂ©e. Puisque le plus important est la contestation de la peine de mort, l’auteur fait ellipse de cette situation initiale et passe directement aux faits. Toutefois il nous est facile de dĂ©duire cette situation initiale Ă  travers les flashes back. Analepses, retour en arriĂšre. ElĂ©ment perturbateur Le meurtre commis par le narrateur-personnage. PĂ©ripĂ©ties Le jugement, l’emprisonnement, la condamnation Ă  la peine de mort, recherche du condamnĂ© d’une solution pour prĂ©server sa vie. DĂ©nouement Il n’y a pas de dĂ©nouement. Le condamnĂ© garde l’espoir jusqu’à quelques moments avant l’exĂ©cution, mais Ă  ce moment-lĂ  les bourreaux prĂ©parent l’exĂ©cution. C’est une clausule ouverte, aux lecteurs d’imaginer la fin puisque pour l’auteur ce qui compte c’est la dĂ©nonciation de l’horrible peine de mort. Situation finale L’auteur a fait l’ellipse de la situation finale pour amener le lecteur Ă  rĂ©flĂ©chir. Le schĂ©ma actanciel du rĂ©cit RĂ©sumĂ© chapitre par chapitre RĂ©sumĂ© du chapitre 1 Le roman s’ouvre par une rĂ©flexion sous forme d’un monologue interne InterprĂ©tĂ© dans sa cellule de BicĂȘtre, le narrateur se rappelle son passĂ© de libertĂ© cependant il se trouve prisonnier de l’idĂ©e de sa condamnation Ă  mort. Cette pensĂ©e l’obsĂšde et infecte sa vie. Elle est prĂ©sentĂ©e comme une femme Ă  deux bras qui le secoue, hante ses rĂȘves et le poursuit partout. RĂ©sumĂ© du chapitre 2 RĂ©cit de la proclamation de la condamnation Ă  mort Le narrateur relate les Ă©vĂ©nements passĂ©s le jour de la proclamation de sa condamnation Ă  mort. Il dĂ©crit aussi les juges, les jurĂ©s, la salle d’audience, l’atmosphĂšre qui y rĂ©gnait et les gens qui ont assistĂ© Ă  son procĂšs. SĂ©duit par les lumiĂšres, par les couleurs, par les bruits, le narrateur chante la vie Ă  travers ses sensations et ses impressions dans une ambiance totalement contradictoire. Alors qu’il semble apprĂ©cier la vie dans toutes ses dimensions, les jurĂ©s le condamnent Ă  mort et brisent son espoir. Tout redevient noir et triste Ă  ses yeux. RĂ©sumĂ© chapitre 3 Retour au monologue interne Le narrateur se livre Ă  une rĂ©flexion sur le bien-fondĂ© de sa condamnation Ă  mort. Il estime que les humains sont tous des condamnĂ©s Ă  mort. Ce qui diffĂšre c’est la maniĂšre et le temps. RĂ©sumĂ© chapitre 4 Retour au rĂ©cit de l’incarcĂ©ration Ă  BicĂȘtre L’arrivĂ©e Ă  BicĂȘtre. En attendant son pourvoi =recours auprĂšs d'une juridiction supĂ©rieure contre la dĂ©cision d'un tribunal en cassation, le narrateur est conduit Ă  la prison de BicĂȘtre. De loin le prison ressemble Ă  un chĂąteau de roi mais de plus prĂšs elle est dĂ©labrĂ©e=en ruine, dans un trĂšs mauvais Ă©tat et vĂ©tuste =qui porte les marques de la vieillesse. RĂ©sumĂ© du chapitre 5 Suite du rĂ©cit de l’incarcĂ©ration Ă  BicĂȘtre Lorsque le narrateur est arrivĂ© Ă  BicĂȘtre, les gardes lui ont dĂ©fendu tout objet tranchant qui pourrait servir Ă  un suicide puis ils lui ont remis une camisole. Durant les premiers jours de ses sĂ©jours Ă  BicĂȘtre le narrateur a Ă©tĂ© bien traitĂ© mais battu par la suite comme n’importe quel prisonnier. Cependant certaines faveurs lui ont Ă©tĂ© acceptĂ©es comme le papier, l’encre, les plumes et une lampe. De mĂȘme, il pouvait sortir dans la cour chaque dimanche, ainsi il a cĂŽtoyĂ© les autres prisonniers et a appris leur argot. RĂ©sumĂ© du chapitre 6 Alors le narrateur a dĂ©cidĂ© de noter son journal de chĂątiments. L’écriture devient une justification Ă  la vie terne et monotone de la prison. Il dĂ©cide d’écrire pour communiquer ses souffrances morales afin d’amener les dĂ©cisions a abolir la peine de mort. Il rĂ©alise Ă  qu’ il s’attache Ă  la vie. RĂ©sumĂ© du chapitre 7 Le narrateur s’attarde sur sa situation et espĂšre qu’on s’intĂ©resserait un jour Ă  son cas. Mais l’idĂ©e de sa condamnation continue de l’obsĂ©der et le torturer RĂ©sumĂ© du chapitre 8 En attendant son pourvoi en en cassation, le narrateur passe son temps Ă  compter les jours qui lui restent Ă  vivre, il lui reste donc six semaines. RĂ©sumĂ© du chapitre 9 Le narrateur regrette de laisser derriĂšre lui sa femme, sa mĂšre et surtout sa fille de trois ans sans protection et sans ressources. RĂ©sumĂ© du chapitre 10 Le narrateur dĂ©crit sa cellule, c’est une petite piĂšce Ă  quatre murs en pierre avec une voĂ»te et une petite porte en fer oĂč il y a une petite ouverture servant de fenĂȘtre. Il y a aussi un matelas en paille. A l’extĂ©rieur il y a un couloir qui relie les autres cellules et un garde permanent RĂ©sumĂ© du chapitre 11 Pour passer le temps le narrateur lit et tente de comprendre les inscriptions et les dessins sur les murs de sa cellule. AttirĂ© par des mots Ă©crits par un sous-officier guillotinĂ© pour ces idĂ©es rĂ©publicaines, il est pris de panique Ă  la vue de l’échafaud dessinĂ© sur le mur. RĂ©sumĂ© du chapitre 12 Le narrateur dĂ©couvre les noms de quatre criminels cĂ©lĂšbres passĂ©s par la mĂȘme cellule. Les sont Ă©crits Ă  cotĂ© du nom de Papavoine, un criminel qui tuait les enfants. Il est alors pris de terreur Ă  l’idĂ©e de la mort et du tombeau. RĂ©sumĂ© du chapitre 13 RĂ©cit des prĂ©paratifs au dĂ©part des forçats pour Toulon Le narrateur raconte qu’un jour la prison Ă©tait trĂšs agitĂ©e par le dĂ©part des forçats pour Toulon, Mis dans une autre cellule pour suivre ce spectacle Ă  travers une fenĂȘtre, le narrateur s’attarde sur la description de la grande cour de BicĂȘtre, des bĂątiments vĂ©tustes, des fenĂȘtres grillĂ©es et principalement sur les visages des prisonniers qui regardent Ă  travers ces fenĂȘtres. Le spectacle du dĂ©part commence Ă  midi avec l’entĂ©e =greffer d’une charrette transportant des chaĂźnes servant Ă  attacher les forçats et portant les habits qu’ils vont mettre pour le dĂ©part. Ensuite, les argousins Ă©tendent ces chaĂźnes dans un coin de la cour. Quand ce travail est fini, l’inspecteur donne l’ordre au directeur pour laisser enter les forçats dans une petite cour oĂč ils sont acclamĂ©s par les prisonniers / spectateurs. Puis on les prĂ©sente Ă  l’appel aprĂšs leur avoir fait passer une visite mĂ©dicale. Au moment oĂč les forçats se prĂ©parent pour mettre les vĂȘtements du voyage, une pluie torrentielle commence Ă  tomber. AccablĂ©s de froid dans leur nuditĂ©, les forçats chantent leurs malheurs. Enfin, on les enchaĂźne dans des cordons que deux forgerons fixent Ă  leurs pieds et on leur donne Ă  manger. Ce spectacle dĂ©solant rend le narrateur enragĂ©, il tente de s’enfouir mais il n’arrive pas et s’évanouit sur le champ. RĂ©sumĂ© du chapitre 14 AprĂšs s’ĂȘtre transportĂ© Ă  l’infirmerie, le narrateur a repris connaissance, il s’est enroulĂ© ensuite dans ses draps et sa couverture dont la chaleur lui a donnĂ© l’envie de se rendormir. Mais le bruit de cinq charrettes transportant les forçats le rĂ©veille. Conduit par des gendarmes Ă  cheval et des argousins Ă  pieds, le convoi prend dĂ©part pour un voyage de vingt cinq jours de souffrances et de misĂšres. Emu par ce spectacle dĂ©solant, le narrateur prĂ©fĂšre la guillotine Ă  la galĂšre. RĂ©sumĂ© du chapitre 15 Retour au cachot, le narrateur est remis dans son cachot. L’idĂ©e de sa condamnation continue de le torturer moralement au point oĂč il espĂšre obtenir une grĂące car il tient Ă  la vie plus que jamais. Mais il est trop tard. RĂ©sumĂ© du chapitre 16 Quand le narrateur Ă©tait Ă  l’infirmerie, il avait entendu la voix d’une jeune fille de quinze ans chanter une chanson oĂč il est question d’assassinat et de mort. Il fut terrifiĂ© parce que tout est prison Ă  BicĂȘtre, tout lui rappelle la mort. RĂ©sumĂ© chapitre 17 Le narrateur rĂȘve d’évasion mais son rĂȘve ne peut ĂȘtre rĂ©alisĂ©, il est interrompu par l’idĂ©e de l’incarcĂ©ration et de la condamnation. RĂ©sumĂ© du chapitre 19 Le directeur de la prison rend visite au narrateur dans son cachot pour lui demander s’il se plaint d’un quelconque mauvais traitement. Pris de panique, le narrateur croit que l’heure de son exĂ©cution est venue. RĂ©sumĂ© du chapitre 20 TerrifiĂ©, le narrateur imagine la prison comme une sorte de monstre Ă  moitiĂ© humain, Ă  moitiĂ© objet qui le torture, le boire et le tue. RĂ©sumĂ© du chapitre 21 A six heures et demi du matin le narrateur a Ă©tĂ© visitĂ© dans son cachot par un prĂȘtre puis par l’huissier officier ministĂ©riel chargĂ© de signifier les actes de procĂ©dure et de mettre Ă  exĂ©cution les jugements de la Cour royale de Paris qui lui apprendre le rejet de sa demande du pourvoi en cassation et son transfert Ă  la Conciergerie. RĂ©sumĂ© du chapitre 22 Le narrateur quitte son cachot et se fait conduire dans la voiture qui l’a ramenĂ© Ă  BicĂȘtre vers Paris, le convoi arrive Ă  Paris vers huit heures et demi du matin. La foule, avide de sang, s’est dĂ©jĂ  attroupĂ©e pour ne pas manquer l’exultation. RĂ©sumĂ© du chapitre 23 Une fois arrivĂ© au Palais de Justice, le narrateur s’est senti investi d’une certaine libertĂ© qui n’a pas tardĂ© Ă  disparaĂźtre Ă  la vue des sous-sols. Remis par l’huissier au directeur, le narrateur a Ă©tĂ© enfermĂ© dans un cabinet en compagnie d’un autre condamnĂ© ĂągĂ© de 55 ans et qui attend Ă  son tour son transfert Ă  BicĂȘtre. AprĂšs avoir entendu l’histoire du vieux, le narrateur a Ă©changĂ©, par peur, sa redingote contre la veste du vieillard. Enfin il est reconduit Ă  une chambre dans l’attente de son exĂ©cution. RĂ©sumĂ© du chapitre 24 Le narrateur regrette amĂšrement l’échange de sa redingote qui n’était que par peur. RĂ©sumĂ© du chapitre 25 Le narrateur est amenĂ© ensuite Ă  une cellule oĂč on lui a donnĂ© une table, une chaise et tout pour Ă©crire. Mais on a installĂ© avec lui un gendarme pour empĂȘcher toute tentative du suicide. RĂ©sumĂ© du chapitre 26 Le narrateur a Ă©crit une lettre Ă  sa fille dans laquelle il exprime toute sa douleur et son amertume. Il accuse les hommes de vouloir laisser une enfant de trois ans orphelin. L’attente de l’exĂ©cution semble exercer un effet terrifiant sur le narrateur qui espĂšre un miracle pour le sauver. RĂ©sumĂ© du chapitre 27 Le narrateur est pris dans un tourbillon de peur et de terreur au point oĂč il n’ose pas Ă©crire le mot guillotine ». il imagine que son exĂ©cution sera atroce. RĂ©sumĂ© du chapitre 28 Ayant dĂ©jĂ  assistĂ© Ă  une exĂ©cution, le narrateur imagine comment sera la sienne. Il croit que les prĂ©paratifs ont dĂ©jĂ  commencĂ© par le graissage de la rainure. RĂ©sumĂ© du chapitre 29 Dans un moment de dĂ©lire, le narrateur espĂšre la grĂące royale mais en vain RĂ©sumĂ© du chapitre 30 Le prĂȘtre est revenu consoler le narrateur et l’assister dans ces derniers moments. Le prĂȘtre qui exerce cette fonction depuis des annĂ©es se fait renvoyĂ© par le narrateur qui veut rester seul pendant sa rĂ©flexion. RĂ©sumĂ© chapitre 31 Dans ces derniers moments de retranchement, l’architecte de la prison est entrĂ© dans la cellule oĂč se trouve le narrateur pour prendre des mesures afin de rĂ©nover les murs l’annĂ©e suivante puis il Ă©change des propos avec le narrateur avant de se faire renvoyĂ© par le gendarme. RĂ©sumĂ© du chapitre 32 Le gendarme chargĂ© de surveiller le narrateur a Ă©tĂ© Ă©changĂ© par un autre, un superstitieux et mordu des loteries. Il supplie le narrateur de le visiter dans ces rĂȘves, une fois mort, pour lui donner des numĂ©ros gagnants. Le narrateur lui demande en Ă©change ses vĂȘtements en vue d’une Ă©ventuelle Ă©vasion, mais le gendarme ridicule refuse et le dĂ©sespoir regagne le narrateur. RĂ©sumĂ© du chapitre 33 Le narrateur sentant l’heure de la mort approcher se rĂ©fugie dans le rĂȘve. Il retrouve des souvenirs d’enfance et de jeunesse en compagnie de sa bien-aimĂ©e la petite Espagnole Pepa. Il garde surtout le souvenir d’une soirĂ©e passĂ©e ensemble oĂč ils sont Ă©changĂ©s des bises. RĂ©sumĂ© du chapitre 34 Le narrateur retrouve dans le souvenir ses annĂ©es d’innocence mais il revoit en crime et tente de se repentir. Malheureusement il n’a pas le temps de le faire. Il en pense qu’à son heure qui approche. RĂ©sumĂ© du chapitre 35 Le narrateur envie les gens ordinaires qui vaquent Ă  leurs taches quotidiennes. RĂ©sumĂ© du chapitre 36 Le narrateur se rappelle le jour oĂč il est allĂ© voir la cathĂ©drale Notre-Dame de Paris. Au moment oĂč il est arrivĂ© au sommet de la tour, la cloche a sonnĂ© et a fait trembler tout le toit. Heureusement il a Ă©vitĂ© une chute mortelle. RĂ©sumĂ© du chapitre 37 Le narrateur revoit l’HĂŽtel de Ville dont l’aspect triste lui rappelle la GrĂšve au moment des exĂ©cutions avec les rassemblements des spectateurs. RĂ©sumĂ© du chapitre 38 L’heure de l’exĂ©cution approche, il ne lui reste que deux heures et quarante cinq minutes. Le narrateur ressent alors des douleurs physiques atroces. RĂ©sumĂ© du chapitre 39 Le narrateur imagine comment il va vivre le moment de son exĂ©cution. Il vit ce moment par prĂ©vision. Mais le fait d’y penser le fait souffrir davantage. RĂ©sumĂ© du chapitre 40 PoussĂ© par son instinct de survie , le narrateur pense au roi Charles X en espĂ©rant une Ă©ventuelle grĂące. RĂ©sumĂ© du chapitre 41 Le narrateur dĂ©cide d’affronter la mort avec courage. Il imagine alors ce que sera sa vie aprĂšs la mort. Cela pourrait ĂȘtre des abĂźmes de lumiĂšres sans fin ou des gouffres hideux oĂč tout sera noir et oĂč le narrateur tombera sans cesse. Il imagine aussi les morts pourraient se rassembler dans la place de la GrĂ©ve pour assister Ă  l’exĂ©cution du bourreau par un dĂ©mon. Le narrateur voudrait savoir ce qu’il adviendra de son Ăąme aprĂšs la mort. Dans ce moment de crise Ă  l’approche de l’exĂ©cution le narrateur rĂ©clama un prĂȘtre pour soulager sa douleur RĂ©sumĂ© du chapitre 42 AprĂšs l’arrivĂ©e du prĂȘtre, le narrateur a dormi pendant quelques instants. Il a fait alors un rĂȘve Ă©trange il rĂȘve qu’il Ă©tait chez lui avec des amis, qu’ils avaient parlĂ© de quelque chose qui les avait effrayĂ©s puis ils avaient entendu un bruit dans la maison, c’était une vielle femme qui s’était cachĂ©e dans la cuisine. Au moment oĂč il a rĂȘvĂ© que la vielle le mordait, il s’est rĂ©veillĂ© puis on lui a annoncĂ© la prĂ©sence de sa fille. RĂ©sumĂ© du chapitre 43 Malheureusement sa fille ne l’a pas reconnu. Elle ne l’a pas vu depuis un an. Il a tentĂ© de lui faire comprendre qu’il est son vrai pĂšre mais la fille ne l’a pas cru. Rien ne le rattache Ă  prĂ©sent Ă  la vie. Il se laisse conduire Ă  la mort docilement. RĂ©sumĂ© du chapitre 44 Pendant l’heure qui lui reste Ă  vivre le narrateur se ressaisit et revoit dans son esprit comment sera son exĂ©cution. Il pense au bourreau, Ă  la foule, aux gendarmes et Ă  la place de GrĂšve. RĂ©sumĂ© du chapitre 45 Il imagine la foule en train de l’applaudir, une foule insensible Ă  ses souffrances. Il pense Ă  ce lieu fatal qui est la place de GrĂšve et Ă  toutes les tĂȘtes qui tomberaient aprĂšs lui dans l’indiffĂ©rence totale. RĂ©sumĂ© du chapitre 46 Il pense Ă  sa fille qui l’a dĂ©jĂ  oubliĂ© et veut lui Ă©crire une histoire. RĂ©sumĂ© du chapitre 47 Note Le narrateur n’avait pas le temps pour Ă©crire son histoire. RĂ©sumĂ© du chapitre 48 L’heure de l’exĂ©cution est arrivĂ©, on demande au narrateur de se prĂ©parer mais il se sent faible. On l’a emmenĂ© dans une chambre au rez-de-chaussĂ©e du palais de Justice oĂč son bourreau avec ses deux valets l’attendait. On lui a coupĂ© les cheveux puis on lui a attachĂ© les mains derriĂšre le dos et on a coupĂ© le col de sa chemise ensuite on lui a liĂ© les deux pieds puis on lui a nouĂ© les deux manches de sa veste sur le menton. On l’a pris sous les aisselles pour le conduire Ă  la guillotine. La foule est lĂ  qui attend hurlante. Les gendarmes, les soldats sont aussi lĂ  pour accompagner le condamnĂ©. Mis dans une charrette avec le prĂȘtre, le narrateur frĂ©mit de peur devant cette foule enragĂ©e. Sur le chemin qui mĂšne Ă  la place de GrĂšve la foule s’est attroupĂ©e. Sous une pluie fine la charrette passe par le pont- au- Change, par le quai aux Fleurs puis par la coin du Palais. AttirĂ© par une Tour, le narrateur demande au prĂȘtre des informations sur cet Ă©difice. Ce dernier lui a dit qu’elle s’appelle crucifix et le baise pour avoir du courage Ă  affronter la foule qui semble l’effrayer plus que la mort. Passant par le quai, le narrateur entre dans une sorte d’ivresse qui enveloppe son esprit et le coupe de la rĂ©alitĂ© au point oĂč il ne distingue plus rien. Son corps commence Ă  sentir la mort. Tout dĂ©file devant ses yeux sans qu’il puisse y accorder la moindre attention. Seule la voix de la foule se fait entendre. Enfin la charrette arrive Ă  la place de GrĂ©ve, le narrateur demande alors une derniĂšre faveur Ă©crire ses derniĂšres volontĂ©s. RĂ©sumĂ© du dernier chapitre 49 PoussĂ© par son instinct de la survie, le narrateur supplie un commissaire chargĂ© de suivre l’exĂ©cution de lui accorder cinq minutes dans l’espoir d’avoir une grĂące au dernier moment. Malheureusement on est venu le chercher Ă  quatre heures de l’aprĂšs-midi pour l’exĂ©cuter. Fin Fiche pratique Auteur Victor Hugo Titre et date de publication Le dernier jour d'un condamne , publiĂ© en 1829. Genre RĂ©cit Ă  la premiĂšre personne ; adoption des techniques de l’autobiographie, le journal intime en particulier. Histoire Le livre est l’histoire d’un homme qui a Ă©tĂ© condamnĂ© a mort et, il raconte ce qu’il vit pendant les derniĂšres semaines de sa vie. Nous ne savons ni le nom de cet homme ni ce qu’il a fait pour ĂȘtre condamnĂ© Ă  mort, mais nous pouvons comprendre et vivre avec cet homme ce que veut dire ĂȘtre condamnĂ©s Ă  mort. Il nous raconte sa vie en prison ; nous parle de ses sentiments ; peurs et espoir, de sa famille ; sa fille, sa femme et sa mĂšre. Il raconte aussi quelques bribes de son passĂ© et cesse d’écrire quand arrive le moment de l’exĂ©cution. Composition Le livre comporte trois parties BicĂȘtre, la Conciergerie et la Mairie. BicĂȘtre le procĂšs, le ferrage des forçats et la chanson ; La Conciergerie le voyage vers Paris, la rencontre avec la friauche et la rencontre avec le geĂŽlier qui lui demande les numĂ©ros pour jouer Ă  la loterie ; L’HĂŽtel de Ville le voyage dans Paris, la toilette du condamnĂ© et le voyage vers la Place de GrĂšve l’échafaud. Personnages Le condamnĂ© Ă  mort / Les geĂŽliers / Sa fille / Sa femme et sa mĂšre / Le prĂȘtre. / La foule Cadre Lieux Les grandes prisons de Paris BicĂȘtre, la Conciergerie et l’HĂŽtel de Ville. DurĂ©e Cinq semaines, Ă  partir du moment oĂč le protagoniste est condamnĂ© Ă  mort jusqu’au moment oĂč il monte sur l’échafaud. ThĂšmes La peine de mort / La peur / la haine / la religion / la violence contre les prisonniers / l’injustice / la justice Enonciation, focalisation Le narrateur est le personnage utilisation de la premiĂšre personne. Le narrateur l’auteur. Focalisation interne accĂšs au point de vue du narrateur et Ă  sa vision des choses et du monde.. Personnages le condamnĂ© Ă  mort nous ne savons ni son nom ni ce qu’il a fait pour ĂȘtre condamnĂ© a mort. Il a trĂšs peur et il voudrait ĂȘtre sauvĂ© par la grĂące du roi, mais il sait que cela est impossible. Il semble s’ĂȘtre repenti pour ce qu’il a fait. Il est jeune, sain et fort, il a une bonne Ă©ducation il cite des phrases en latin au concierge qui lui permet de faire la promenade une fois par semaine avec les autres dĂ©tenus, chap. V ; second tome des voyages de Spallanzani dont il lit quelques pages Ă  cĂŽtĂ© d’une jeune fille, Il dit que pour lui le temps passe plus vite que pour les autres. Il n’aime pas la foule et il ne l’aimera jamais et lui-mĂȘme n’a jamais aimĂ© voir tuer un condamnĂ© Ă  mort. Il aime sa fillette Marie et est trĂšs prĂ©occupĂ© pour son futur chap. XXVI "Quand elle sera grande ... Elle rougira de moi et de mon nom ; elle sera mĂ©prisĂ©e, repoussĂ©e, vile Ă  cause de moi qui l’aime de toutes les tendresses de mon coeur."les geĂŽliers quelqu’uns sont gentils avec le protagoniste ; d’autres ne le sont pas. Il y a des geĂŽliers qui parlent avec lui et lui demandent beaucoup de choses et d’autres qui le traitent comme un fillette Elle s’appelle Marie et elle a trois ans au moment de sa visite en prison. C’est une fillette qui a trĂšs envie de vivre. Mais quand elle parle avec le protagoniste, elle dit que son pĂšre est mort c’est ce que lui a dit sa mĂšre elle ne reconnaĂźt plus son pĂšre qu’elle ne voit plus depuis plusieurs femme et sa mĂšre Elles ne sont pas dĂ©crites ; mais elles sont citĂ©es en rĂ©fĂ©rence Ă  la souffrance, Ă  la peine indirecte que l’on fait subir aux membres de la famille du condamnĂ© a mort "J’admets que je sois justement puni ; ces innocentes qu’ont-elles fait ? N’importe ; on les dĂ©shonore, on les ruine. C’est la justice." prĂȘtre Il est dĂ©tachĂ© dans ses rencontres avec le condamnĂ©. Selon le protagoniste, ce prĂȘtre ne parle par avec son coeur, mais dit seulement de façon machinale ce qu’il dit habituellement avec les foule C’est la sociĂ©tĂ© de Paris qui veut voir tuer cet homme. Elle est trĂšs nombreuse. Elle ne veut pas la justice ; elle veut simplement assister Ă  un spectacle celui de l’exĂ©cution de la peine capitale par la guillotine. On peut donc affirmer que de quelque maniĂšre la foule et le condamnĂ© sont proches l’une de l’autre au niveau moral.
VICTORHUGO : RUY BLAS : ACTE V SCENE 4 (DENOUEMENT) (COMMENTAIRE COMPOSE) " Ruy Blas " clÎt la carriÚre du grand Hugo en tant que dramaturge. Ce drame romantique écrit en vers (alexandrins), et composé en 1838, démontre tout l'art du poÚte. Notre scÚne de dénouement présente une double particularité, le héros va jusqu'au suicide
L’Ɠuvre se prĂ©sente comme le journal d’un prisonnier qui se sait condamnĂ© Ă  mort. Chapitre 1 Un prisonnier, dont on ignore le nom et le crime, est enfermĂ© dans une prison depuis cinq semaines. CondamnĂ© Ă  mort, cette pensĂ©e devient une obsession. Chapitre 2 L’esprit du condamnĂ© Ă  mort s’arrĂȘte sur des Ă©vĂšnements particuliers son procĂšs, sa condamnation Ă  mort ainsi que sa rĂ©action lors du verdict. Chapitre 3 Le prisonnier tente de prendre une certaine distance avec sa condamnation. Il semble accepter son sort. Pour cela, il philosophe sur le fait que tous les hommes sont condamnĂ©s Ă  mort, et tous sont pour le moment en sursis. Chapitre 4 Il est transfĂ©rĂ© dans une autre prison, Ă  BicĂȘtre. Il dĂ©crit la prison. Chapitre 5 ArrivĂ©e Ă  la prison. GrĂące Ă  sa docilitĂ© et Ă  quelques mots latins, il amĂ©liore ses conditions de vie dans la prison. Il Ă©voque l’argot qui est pratiquĂ© en prison. Chapitre 6 Le narrateur dĂ©cide d’écrire pour oublier ses angoisses, et pour, peut-ĂȘtre, servir l’abolition de la peine de mort. Chapitre 7 Finalement, le narrateur se demande Ă  quoi lui servirait de sauver d’autres hommes grĂące Ă  son Ă©crit, puisque lui ne sera plus. Chapitre 8 Il compte le temps qui lui reste Ă  vivre
 Chapitre 9 Son testament est fait. Il pense alors Ă  sa mĂšre, sa femme et surtout Ă  sa fille, pour laquelle il s’inquiĂšte tout particuliĂšrement. Chapitre 10 Description du cachot sans fenĂȘtres, du corridor et des autres cachots. Chapitre 11 Description des murs de sa cellule, sur lesquels les anciens prisonniers ont laissĂ© des inscriptions. Le narrateur est perturbĂ© par le dessin de l’échafaud. Chapitre 12 Le prisonnier reprend sa lecture des inscriptions murales. Il dĂ©couvre les noms de criminels qui ont sĂ©journĂ© en ces lieux. Chapitre 13 Le prisonnier raconte le dĂ©part des forçats au bagne de Toulon. Le spectacle, odieux, lui provoque un Ă©vanouissement. Chapitre 14 Il se rĂ©veille Ă  l’infirmerie. De la fenĂȘtre, il regarde les forçats partir. Il dit prĂ©fĂ©rer la mort aux travaux forcĂ©s. Chapitre 15 De retour dans sa cellule, l’idĂ©e de la mort l’envahit il pense Ă  l’évasion. Chapitre 16 Le prisonnier se souvient de la libertĂ© qu’il a ressentie Ă  l’infirmerie, de la voix de la jeune fille qui chantait. Chapitre 17 Il pense Ă  s’évader, s’imagine libre embarquant pour l’Angleterre, mais l’arrivĂ©e d’un gendarme dans sa rĂȘverie brise ses rĂȘves de libertĂ©. Chapitre 18 Six heures du matin. Le guichetier entre dans le cachot et demande au narrateur ce qu’il souhaite manger. Ce dernier se demande alors si l’échafaud sera pour ce jour. Chapitre 19 Le directeur de la prison rend visite au condamnĂ© qui comprend que son heure est arrivĂ©e. Chapitre 20 Le narrateur pense Ă  son geĂŽlier, Ă  la prison
 Chapitre 21 Le condamnĂ© reçoit deux visites celle du prĂȘtre, puis celle de l'huissier. Ce dernier lui annonce que le pourvoi est rejetĂ©, que son exĂ©cution aura lieu le jour mĂȘme et qu’il reviendra le chercher une demi-heure plus tard. Chapitre 22 Le condamnĂ© est transfĂ©rĂ© Ă  la conciergerie. Il raconte le voyage et sa discussion avec le prĂȘtre et l'huissier pendant le trajet. Chapitre 23 Le condamnĂ© fait la connaissance d’un condamnĂ© Ă  mort qui sĂ©journera dans la mĂȘme cellule Ă  BicĂȘtre. Ce dernier, fils d'un ancien condamnĂ© Ă  mort, lui raconte son histoire. Il lui prend sa redingote. Chapitre 24 Le narrateur est en colĂšre que l’autre condamnĂ© ait sa redingote. Chapitre 25 TransfĂ©rĂ© dans une autre cellule, il demande une chaise, une table, ce qu'il faut pour Ă©crire et un lit. Chapitre 26 Le condamnĂ© pense Ă  sa petite fille qui sera sans pĂšre et peut-ĂȘtre repoussĂ©e par les autres Ă  cause de lui. Chapitre 27 Le narrateur se demande comment on meurt sur l'Ă©chafaud. Chapitre 28 Il se souvient avoir vu, une fois, une guillotine sur la place de GrĂšve. Chapitre 29 Le condamnĂ© pense Ă  cette grĂące qui ne vient pourtant pas. Chapitre 30 Nouvelle visite du prĂȘtre. Il parle machinalement et ne semble pas touchĂ© par la souffrance du prisonnier. Il ne rĂ©ussit pas Ă  manger. Chapitre 31 Quelqu’un vient prendre les mesures de la cellule, car la prison va ĂȘtre rĂ©novĂ©e. Chapitre 32 Un autre gendarme prend la relĂšve. Il demande au prisonnier de venir chez lui aprĂšs son exĂ©cution pour lui rĂ©vĂ©ler les numĂ©ros gagnants Ă  la loterie. Pour profiter de la situation, le prisonnier lui propose d’échanger leurs vĂȘtements. Le gendarme refuse, car il comprend qu’il veut s’évader. Chapitre 33 Le narrateur se souvient de son enfance et de sa jeunesse. Il pense tout particuliĂšrement Ă  Pepa, une jeune andalouse dont il Ă©tait amoureux. Chapitre 34 Le condamnĂ© pense Ă  son crime, au sang de sa victime et au sien. Chapitre 35 Le narrateur pense Ă  tous ceux qui vivent normalement autour de lui Ă  Paris. Chapitre 36 Il se souvient du jour oĂč il est allĂ© voir la grande cloche de Notre-Dame de Paris Chapitre 37 Description brĂšve de l'hĂŽtel de ville. Chapitre 38 Le condamnĂ© ressent une douleur violente. Plus que deux heures quarante-cinq Ă  vivre. Chapitre 39 Sous la guillotine, on ne souffre pas le narrateur se demande comment on peut affirmer cela alors qu’aucun condamnĂ© dĂ©jĂ  exĂ©cutĂ© ne peut le confirmer. Chapitre 40 Le jeune dĂ©tenu pense au roi, de qui une grĂące pourrait venir. Chapitre 41 RĂ©alisant qu'il va bientĂŽt mourir, il demande un prĂȘtre pour se confesser, un crucifix Ă  baiser. Chapitre 42 Il s’endort. Il fait un cauchemar et se rĂ©veille baignĂ© d'une sueur froide. Chapitre 43 Sa fille lui rend visite, mais elle ne le reconnaĂźt pas. Elle croit que son pĂšre est mort. Le condamnĂ© n’a plus d’espoir. Chapitre 44 Plus qu’une heure. Suite Ă  la visite de sa fille, le condamnĂ© est dĂ©sespĂ©rĂ©. Chapitre 45 Il pense au peuple qui viendra assister au spectacle » de son exĂ©cution. Il se dit que parmi eux, certains suivront, sans le savoir, ce mĂȘme chemin. Chapitre 46 Sa fille est partie. Il veut lui Ă©crire quelques mots pour se justifier. Chapitre 47 Note de l'Ă©diteur les feuillets qui se rattachent Ă  celui-ci sont perdus ou peut ĂȘtre que le condamnĂ© n'a pas eu le temps de les Ă©crire. Chapitre 48 Le condamnĂ© se trouve dans une chambre de l'hĂŽtel de ville. On vient lui dire qu'il est l’heure. On lui coupe les cheveux et le collet avant de lier ses mains. On se dirige ensuite vers la place de GrĂšve devant la foule qui attend l'exĂ©cution. Chapitre 49 Le condamnĂ© demande qu’on lui donne cinq minutes pour attendre la grĂące qui ne vient pas. Le juge et le bourreau sortent de la cellule. Il reste seul avec le gendarme. Il espĂšre encore mais on vient le chercher

Lapeine de mort est le signe spĂ©cial et Ă©ternel de la barbarie. Le premier de tous les combats de Victor Hugo – le plus long, le plus constant, le plus fervent - est sans doute celui qu’il mĂšne contre la peine de mort. DĂšs l’enfance, il est fortement impressionnĂ© par la vision d’un condamnĂ© conduit Ă  l’échafaud, sur une place
I Le droit incarnĂ©, c’est le citoyen ; le droit couronnĂ©, c’est le lĂ©gislateur. Les rĂ©publiques anciennes se reprĂ©sentaient le droit assis dans la chaise curule, ayant en main ce sceptre, la loi, et vĂȘtu de cette pourpre, l’autoritĂ©. Cette figure Ă©tait vraie, et l’idĂ©al n’est pas autre aujourd’hui. Toute sociĂ©tĂ© rĂ©guliĂšre doit avoir Ă  son sommet le droit sacrĂ© et armĂ©, sacrĂ© par la justice, armĂ© de la libertĂ©. Dans ce qui vient d’ĂȘtre dit, le mot force n’a pas Ă©tĂ© prononcĂ©. La force existe pourtant ; mais elle n’existe pas hors du droit ; elle existe dans le droit. Qui dit droit dit force. Qu’y a-t-il donc hors du droit ? La violence. Il n’y a qu’une nĂ©cessitĂ©, la vĂ©ritĂ© ; c’est pourquoi il n’y a qu’une force, le droit. Le succĂšs en dehors de la vĂ©ritĂ© et du droit est une apparence. La courte vue des tyrans s’y trompe ; un guet-apens rĂ©ussi leur fait l’effet d’une victoire, mais cette victoire est pleine de cendre ; le criminel croit que son crime est son complice ; erreur ; son crime est son punisseur ; toujours l’assassin se coupe Ă  son couteau ; toujours la trahison trahit le traĂźtre ; les dĂ©linquants, sans qu’ils s’en doutent, sont tenus au collet par leur forfait, spectre invisible ; jamais une mauvaise action ne vous lĂąche ; et fatalement, par un itinĂ©raire inexorable, aboutissant aux cloaques de sang pour la gloire et aux abĂźmes de boue pour la honte, sans rĂ©mission pour les coupables, les Dix-huit Brumaire conduisent les grands Ă  Waterloo et les Deux-DĂ©cembre traĂźnent les petits Ă  Sedan. Quand ils dĂ©pouillent et dĂ©couronnent le droit, les hommes de violence et les traĂźtres d’état ne savent ce qu’ils font. II L’exil, c’est la nuditĂ© du droit. Rien de plus terrible. Pour qui ? Pour celui qui subit l’exil ? Non, pour celui qui l’inflige. Le supplice se retourne et mord le bourreau. Un rĂȘveur qui se promĂšne seul sur une grĂšve, un dĂ©sert autour d’un songeur, une tĂȘte vieillie et tranquille autour de laquelle tournent des oiseaux de tempĂȘte, Ă©tonnĂ©s, l’assiduitĂ© d’un philosophe au lever rassurant du matin, Dieu pris Ă  tĂ©moin de temps en temps en prĂ©sence des rochers et des arbres, un roseau qui non seulement pense, mais mĂ©dite, des cheveux qui de noirs deviennent gris et de gris deviennent blancs dans la solitude, un homme qui se sent de plus en plus devenir une ombre, le long passage des annĂ©es sur celui qui est absent, mais qui n’est pas mort, la gravitĂ© de ce dĂ©shĂ©ritĂ©, la nostalgie de cet innocent, rien de plus redoutable pour les malfaiteurs couronnĂ©s. Quoi que fassent les tout-puissants momentanĂ©s, l’éternel fond leur rĂ©siste. Ils n’ont que la surface de la certitude, le dessous appartient aux penseurs. Vous exilez un homme. Soit. Et aprĂšs ? Vous pouvez arracher un arbre de ses racines, vous n’arracherez pas le jour du ciel. Demain, l’aurore. Pourtant, rendons cette justice aux proscripteurs ; ils sont logiques, parfaits, abominables. Ils font tout ce qu’ils peuvent pour anĂ©antir le proscrit. Parviennent-ils Ă  leur but ? rĂ©ussissent-ils ? sans doute. Un homme tellement ruinĂ© qu’il n’a plus que son honneur, tellement dĂ©pouillĂ© qu’il n’a plus que sa conscience, tellement isolĂ© qu’il n’a plus prĂšs de lui que l’équitĂ©, tellement reniĂ© qu’il n’a plus avec lui que la vĂ©ritĂ©, tellement jetĂ© aux tĂ©nĂšbres qu’il ne lui reste plus que le soleil, voilĂ  ce que c’est qu’un proscrit. III L’exil n’est pas une chose matĂ©rielle, c’est une chose morale. Tous les coins de terre se valent. Angulus ridet. Tout lieu de rĂȘverie est bon, pourvu que le coin soit obscur et que l’horizon soit vaste. En particulier l’archipel de la Manche est attrayant ; il n’a pas de peine Ă  ressembler Ă  la patrie, Ă©tant la France. Jersey et Guernesey sont des morceaux de la Gaule, cassĂ©e au huitiĂšme siĂšcle par la mer. Jersey a eu plus de coquetterie que Guernesey ; elle y a gagnĂ© d’ĂȘtre plus jolie et moins belle. À Jersey la forĂȘt s’est faite jardin ; Ă  Guernesey le rocher est restĂ© colosse. Plus de grĂące ici, plus de majestĂ© lĂ . À Jersey on est en Normandie, Ă  Guernesey on est en Bretagne. Un bouquet grand comme la ville de Londres, c’est Jersey. Tout y est parfum, rayon, sourire ; ce qui n’empĂȘche pas les visites de la tempĂȘte. Celui qui Ă©crit ces pages a quelque part qualifiĂ© Jersey une idylle en pleine mer ». Aux temps paĂŻens, Jersey a Ă©tĂ© plus romaine et Guernesey plus celtique ; on sent Ă  Jersey Jupiter et Ă  Guernesey TeutatĂšs. À Guernesey, la fĂ©rocitĂ© a disparu, mais la sauvagerie est restĂ©e. À Guernesey, ce qui fut jadis druidique est maintenant huguenot ; ce n’est plus Moloch, mais c’est Calvin ; l’église est froide, le paysage est prude, la religion a de l’humeur. Somme toute, deux Ăźles charmantes ; l’une aimable, l’autre revĂȘche. Un jour la reine d’Angleterre, plus que la reine d’Angleterre, la duchesse de Normandie, vĂ©nĂ©rable et sacrĂ©e six jours sur sept, fit une visite, avec salves, fumĂ©e, vacarme et cĂ©rĂ©monie, Ă  Guernesey. C’était un dimanche, le seul jour de la semaine qui ne fĂ»t pas Ă  elle. La reine, devenue brusquement cette femme », violait le repos du Seigneur. Elle descendit sur le quai au milieu de la foule muette. Pas un front ne se dĂ©couvrit. Un seul homme la salua, le proscrit qui parle ici. Il ne saluait pas une reine ; mais une femme. L’üle dĂ©vote fut bourrue. Ce puritanisme a sa grandeur. Guernesey est faite pour ne laisser au proscrit que de bons souvenirs ; mais l’exil existe en dehors du lieu d’exil. Au point de vue intĂ©rieur, on peut dire il n’y a pas de bel exil. L’exil est le pays sĂ©vĂšre ; lĂ  tout est renversĂ©, inhabitable, dĂ©moli et gisant, hors le devoir, seul debout, qui, comme un clocher d’église dans une ville Ă©croulĂ©e, paraĂźt plus haut de toute cette chute autour de lui. L’exil est un lieu de chĂątiment. De qui ? Du tyran. Mais le tyran se dĂ©fend. IV Attendez-vous Ă  tout, vous qui ĂȘtes proscrit. On vous jette au loin, mais on ne vous lĂąche pas. Le proscripteur est curieux et son regard se multiplie sur vous. Il vous fait des visites ingĂ©nieuses et variĂ©es. Un respectable pasteur protestant s’assied Ă  votre foyer, ce protestantisme Ă©marge Ă  la caisse Tronsin-Dumersan ; un prince Ă©tranger qui baragouine se prĂ©sente, c’est Vidocq qui vient vous voir ; est-ce un vrai prince ? oui ; il est de sang royal, et aussi de la police ; un professeur gravement doctrinaire s’introduit chez vous, vous le surprenez lisant vos papiers. Tout est permis contre vous ; vous ĂȘtes hors la loi, c’est-Ă -dire hors l’équitĂ©, hors la raison, hors le respect, hors la vraisemblance ; on se dira autorisĂ© par vous Ă  publier vos conversations, et l’on aura soin qu’elles soient stupides ; on vous attribuera des paroles que vous n’avez pas dites, des lettres que vous n’avez pas Ă©crites, des actions que vous n’avez pas faites. On vous approche pour mieux choisir la place oĂč l’on vous poignardera ; l’exil est Ă  claire-voie ; on y regarde comme dans une fosse aux bĂȘtes ; vous ĂȘtes isolĂ©, et guettĂ©. N’écrivez pas Ă  vos amis de France ; il est permis d’ouvrir vos lettres ; la cour de cassation y consent ; dĂ©fiez-vous de vos relations de proscrit, elles aboutissent Ă  des choses obscures ; cet homme qui vous sourit Ă  Jersey vous dĂ©chire Ă  Paris ; celui-ci qui vous salue sous son nom vous insulte sous un pseudonyme ; celui-lĂ , Ă  Jersey mĂȘme, Ă©crit contre les hommes de l’exil des pages dignes d’ĂȘtre offertes aux hommes de l’empire, et auxquelles du reste il rend justice en les dĂ©diant aux banquiers Pereire. Tout cela est tout simple, sachez-le. Vous ĂȘtes au lazaret. Si quelqu’un d’honnĂȘte vient vous voir, malheur Ă  lui. La frontiĂšre l’attend, et l’empereur est lĂ  sous sa forme gendarme. On mettra des femmes nues pour chercher sur elles un livre de vous, et si elles rĂ©sistent, si elles s’indignent, on leur dira ce n’est pas pour votre peau. Le maĂźtre, qui est le traĂźtre, vous entoure de qui bon lui semble ; le prescripteur dispose de la qualitĂ© de proscrit ; il en orne ses agents ; aucune sĂ©curitĂ© ; prenez garde Ă  vous ; vous parlez Ă  un visage, c’est un masque qui entend ; votre exil est hantĂ© par ce spectre, l’espion. Un inconnu, trĂšs mystĂ©rieux, vient vous parler bas Ă  l’oreille ; il vous dĂ©clare que, si vous le voulez, il se charge d’assassiner l’empereur ; c’est Bonaparte qui vous offre de tuer Bonaparte. À vos banquets de fraternitĂ©, quelqu’un dans un coin criera Vive Marat ! vive HĂ©bert ! vive la guillotine ! Avec un peu d’attention vous reconnaĂźtrez la voix de Carlier. Quelquefois l’espion mendie ; l’empereur vous demande l’aumĂŽne par son PiĂ©tri ; vous donnez, il rit ; gaĂźtĂ© de bourreau. Vous payez les dettes d’auberge de cet exilĂ©, c’est un agent ; vous payez le voyage de ce fugitif, c’est un sbire ; vous passez la rue, vous entendez dire VoilĂ  le vrai tyran ! C’est de vous qu’on parle ; vous vous retournez ; qui est cet homme ? on vous rĂ©pond c’est un proscrit. Point. C’est un fonctionnaire. Il est farouche et payĂ©. C’est un rĂ©publicain signĂ© Maupas. Coco se dĂ©guise en ScĂŠvola. Quant aux inventions, quant aux impostures, quant aux turpitudes, acceptez-les. Ce sont les projectiles de l’empire. Surtout ne rĂ©clamez pas. On rirait. AprĂšs la rĂ©clamation, l’injure recommencera, la mĂȘme, sans mĂȘme prendre la peine de varier ; Ă  quoi bon changer de bave ? celle d’hier est bonne. L’outrage continuera, sans relĂąche, tous les jours, avec la tranquillitĂ© infatigable et la conscience satisfaite de la roue qui tourne et de la vĂ©nalitĂ© qui ment. De reprĂ©sailles point ; l’injure se dĂ©fend par sa bassesse ; la platitude sauve l’insecte. L’écrasement de zĂ©ro est impossible. Et la calomnie, sĂ»re de l’impunitĂ©, s’en donne Ă  cƓur joie ; elle descend Ă  de si niaises indignitĂ©s que l’abaissement de la dĂ©mentir dĂ©passe le dĂ©goĂ»t de l’endurer. Les insulteurs ont pour public les imbĂ©ciles. Cela fait un gros rire. On en vient Ă  s’étonner que vous ne trouviez pas tout naturel d’ĂȘtre calomniĂ©. Est-ce que vous n’ĂȘtes pas lĂ  pour cela ? Ô homme naĂŻf, vous ĂȘtes cible. Tel personnage est de l’acadĂ©mie pour vous avoir insultĂ© ; tel autre a la croix pour le mĂȘme acte de bravoure, l’empereur l’a dĂ©corĂ© sur le champ d’honneur de la calomnie ; tel autre, qui s’est distinguĂ© aussi par des affronts d’éclat, est nommĂ© prĂ©fet. Vous outrager est lucratif. Il faut bien que les gens vivent. Dame ! pourquoi ĂȘtes-vous exilĂ© ? Soyez raisonnable. Vous ĂȘtes dans votre tort. Qui vous forçait de trouver mauvais le coup d’état ? Quelle idĂ©e avez-vous eue de combattre pour le droit ? Quel caprice vous a passĂ© par la tĂȘte de vous rĂ©volter du cĂŽtĂ© de la loi ? Est-ce qu’on prend la dĂ©fense du droit et de la loi quand ils n’ont plus personne pour eux ? VoilĂ  bien les dĂ©magogues ! s’entĂȘter, persĂ©vĂ©rer, persister, c’est absurde. Un homme poignarde le droit et assassine la loi. Il est probable qu’il a ses raisons. Soyez avec cet homme. Le succĂšs le fait juste. Soyez avec le succĂšs puisque le succĂšs devient le droit. Tout le monde vous en saura grĂ©. Nous ferons votre Ă©loge. Au lieu d’ĂȘtre proscrit vous serez sĂ©nateur, et vous n’aurez pas la figure d’un idiot. Osez-vous douter du bon droit de cet homme ? mais vous voyez bien qu’il a rĂ©ussi ! Vous voyez bien que les juges qui l’avaient mis en accusation lui prĂȘtent serment ! Vous voyez bien que les prĂȘtres, les soldats, les Ă©vĂȘques, les gĂ©nĂ©raux, sont avec lui ! Vous croyez avoir plus de vertu que tout cela ! vous voulez tenir tĂȘte Ă  tout cela ! Allons donc ! D’un cĂŽtĂ© tout ce qui est respectĂ©, tout ce qui est respectable, tout ce qui est vĂ©nĂ©rĂ©, tout ce qui est vĂ©nĂ©rable, de l’autre, vous ! C’est inepte ; et nous vous bafouons, et nous faisons bien. Mentir contre une brute est permis. Tous les honnĂȘtes gens sont contre vous ; et nous, les calomniateurs, nous sommes avec les honnĂȘtes gens. Voyons, rĂ©flĂ©chissez, rentrez en vous-mĂȘme. Il fallait bien sauver la sociĂ©tĂ©. De qui ? de vous. De quoi ne la menaciez-vous pas ? Plus de guerre, plus d’échafaud, l’abolition de la peine de mort, l’enseignement gratuit et obligatoire, tout le monde sachant lire ! C’était affreux. Et que d’utopies abominables ! la femme de mineure faite majeure, cette moitiĂ© du genre humain admise au suffrage universel, le mariage libĂ©rĂ© par le divorce ; l’enfant pauvre instruit comme l’enfant riche, l’égalitĂ© rĂ©sultant de l’éducation ; l’impĂŽt diminuĂ© d’abord et supprimĂ© enfin par la destruction des parasitismes, par la mise en location des Ă©difices nationaux, par l’égout transformĂ© en engrais, par la rĂ©partition des biens communaux, par le dĂ©frichement des jachĂšres, par l’exploitation de la plus-value sociale ; la vie Ă  bon marchĂ©, par l’empoissonnement des fleuves ; plus de classes, plus de frontiĂšres, plus de ligatures, la rĂ©publique d’Europe, l’unitĂ© monĂ©taire continentale, la circulation dĂ©cuplĂ©e dĂ©cuplant la richesse ; que de folies ! il fallait bien se garer de tout cela ! Quoi ! la paix serait faite parmi les hommes, il n’y aurait plus d’armĂ©e, il n’y aurait plus de service militaire ! Quoi ! la France serait cultivĂ©e de façon Ă  pouvoir nourrir deux cent cinquante millions d’hommes ; il n’y aurait plus d’impĂŽt, la France vivrait de ses rentes ! Quoi ! la femme voterait, l’enfant aurait un droit devant le pĂšre, la mĂšre de famille ne serait plus une sujette et une servante, le mari n’aurait plus le droit de tuer sa femme ! Quoi ! le prĂȘtre ne serait plus le maĂźtre ! Quoi ! il n’y aurait plus de batailles, il n’y aurait plus de soldats, il n’y aurait plus de bourreaux, il n’y aurait plus de potences et de guillotines ! mais c’est Ă©pouvantable ! il fallait nous sauver. Le prĂ©sident l’a fait ; vive l’empereur ! ― Vous lui rĂ©sistez ; nous vous dĂ©chirons ; nous Ă©crivons sur vous des choses quelconques. Nous savons bien que ce que nous disons n’est pas vrai, mais nous protĂ©geons la sociĂ©tĂ©, et la calomnie qui protĂšge la sociĂ©tĂ© est d’utilitĂ© publique. Puisque la magistrature est avec le coup d’état, la justice y est aussi ; puisque le clergĂ© est avec le coup d’état, la religion y est aussi ; la religion et la justice sont des figures immaculĂ©es et saintes ; la calomnie qui leur est utile participe de l’honneur qu’on leur doit ; c’est une fille publique, soit, mais elle sert des vierges. Respectez-la. Ainsi raisonnent les insulteurs. Ce que le proscrit a de mieux Ă  faire, c’est de penser Ă  autre chose. V Puisqu’il est au bord de la mer, qu’il en profite. Que cette mobilitĂ© sous l’infini lui donne la sagesse. Qu’il mĂ©dite sur l’émeute Ă©ternelle des flots contre le rivage et des impostures contre la vĂ©ritĂ©. Les diatribes sont vainement convulsives. Qu’il regarde la vague cracher sur le rocher, et qu’il se demande ce que cette salive y gagne et ce que ce granit y perd. Non, pas de rĂ©volte contre l’injure, pas de dĂ©pense d’émotion, pas de reprĂ©sailles, ayez une tranquillitĂ© sĂ©vĂšre. La roche ruisselle, mais ne bouge pas. Parfois elle brille du ruissellement. La calomnie finit par ĂȘtre un lustre. À un ruban d’argent sur la rose, on reconnaĂźt que la chenille a passĂ©. Le crachat au front du Christ, quoi de plus beau ! Un prĂȘtre, un certain SĂ©gur, a appelĂ© Garibaldi poltron. Et, en verve de mĂ©taphore, il ajoute Comme la lune. ― Garibaldi poltron comme la lune ! Ceci plaĂźt Ă  la pensĂ©e. Et il en dĂ©coule des consĂ©quences. Achille est lĂąche, donc Thersite est brave ; Voltaire est stupide, donc SĂ©gur est profond. Que le proscrit fasse son devoir, et qu’il laisse la diatribe faire sa besogne. Que le proscrit traquĂ©, trahi, huĂ©, aboyĂ©, mordu, se taise. C’est grand le silence. Aussi bien vouloir Ă©teindre l’injure, c’est l’attiser. Tout ce que l’on jette Ă  la calomnie lui est combustible. Elle emploie Ă  son mĂ©tier sa propre honte. La contredire, c’est la satisfaire. Au fond, la calomnie estime profondĂ©ment le calomniĂ©. C’est elle qui souffre ; elle meurt du dĂ©dain. Elle aspire Ă  l’honneur d’un dĂ©menti. Ne le lui accordez pas. Être souffletĂ©e lui prouverait qu’on l’aperçoit. Elle montrerait sa joue toute chaude en disant Donc j’existe ! VI D’ailleurs, pourquoi et de quoi les proscrits se plaindraient-ils ? Regardez toute l’histoire. Les grands hommes sont encore plus insultĂ©s qu’eux. L’outrage est une vieille habitude humaine ; jeter des pierres plaĂźt aux mains fainĂ©antes ; malheur Ă  tout ce qui dĂ©passe le niveau ; les sommets ont la propriĂ©tĂ© de faire venir d’en haut la foudre et d’en bas la lapidation. C’est presque leur faute ; pourquoi sont-ils des sommets ? Ils attirent le regard et l’affront. Ce passant, l’envieux, n’est jamais absent de la rue et a pour fonction la haine ; et toujours on le rencontre, petit et furieux, dans l’ombre des hauts Ă©difices. Les spĂ©cialistes auraient des Ă©tudes Ă  faire dans la recherche des causes d’insomnie des grands hommes. HomĂšre dort, bonus dormitat ; ce sommeil est piquĂ© par ZoĂŻle. Eschyle sent sur sa peau la cuisson d’Eupolis et de Cratinus ; ces infiniment petits abondent ; Virgile a sur lui MƓvius ; Horace, Licilius ; JuvĂ©nal, Codrus ; Dante a Cecchi ; Shakespeare a Green ; Rotrou a ScudĂ©ri, et Corneille a l’acadĂ©mie ; MoliĂšre a Donneau de VisĂ©, Montesquieu a Desfontaines, Buffon a Labeaumelle, Jean-Jacques a Palissot, Diderot a Nonotte, Voltaire a FrĂ©ron. La gloire, lit dorĂ© oĂč il y a des punaises. L’exil n’est pas la gloire, mais il a avec la gloire cette ressemblance, la vermine. L’adversitĂ© n’est pas une chose qu’on laisse tranquille. Voir le sommeil du juste banni dĂ©plaĂźt aux ramasseurs de miettes sous les tables de NĂ©ron ou de TibĂšre. Comment, il dort ! il est donc heureux ! mordons-le ! Un homme terrassĂ©, gisant, balayĂ© dehors ce qui est tout simple ; quand Vitellius est l’idole, JuvĂ©nal est l’ordure, un expulsĂ©, un dĂ©shĂ©ritĂ©, un vaincu, on est jaloux de cela. Chose bizarre, les proscrits ont des envieux. Cela se comprendrait des hautes vertus enviant les hautes infortunes, de Caton enviant RĂ©gulus, de ThrasĂ©as enviant Brutus, de Rabbe enviant BarbĂšs. Mais point. Ce sont les vils qui se mĂȘlent d’ĂȘtre jaloux des altiers ; ce qui est importunĂ© par la fiĂšre protestation du vaincu, c’est la nullitĂ© plate et vaine. Gustave Planche jalouse Louis Blanc, Baculard jalouse Milton, et Jocrisse jalouse Eschyle. L’insulteur antique ne suivait que le char du vainqueur, l’insulteur actuel suit la claie du vaincu. Le vaincu saigne. Les insulteurs ajoutent leur boue Ă  ce sang. Soit. Qu’ils aient cette joie. Cette joie paraĂźt d’autant plus rĂ©elle qu’elle n’est point haĂŻe du maĂźtre et qu’elle est habituellement payĂ©e. Les fonds secrets s’épanouissent en outrages publics. Les despotes, dans leur guerre aux proscrits, ont deux auxiliaires ; premiĂšrement, l’envie, deuxiĂšmement, la corruption. Quand on dit ce que c’est que l’exil, il faut entrer un peu dans le dĂ©tail. L’indication de certains rongeurs spĂ©ciaux fait partie du sujet, et nous avons dĂ» pĂ©nĂ©trer dans cette entomologie. VII Tels sont les petits cĂŽtĂ©s de l’exil, voici les grands Songer, penser, souffrir. Être seul et sentir qu’on est avec tous ; exĂ©crer le succĂšs du mal, mais plaindre le bonheur du mĂ©chant ; s’affermir comme citoyen et se purifier comme philosophe ; ĂȘtre pauvre, et rĂ©parer sa ruine avec son travail ; mĂ©diter et prĂ©mĂ©diter, mĂ©diter le bien et prĂ©mĂ©diter le mieux ; n’avoir d’autre colĂšre que la colĂšre publique, ignorer la haine personnelle ; respirer le vaste air vivant des solitudes, s’absorber dans la grande rĂȘverie absolue ; regarder ce qui est en haut sans perdre de vue ce qui est en bas ; ne jamais pousser la contemplation de l’idĂ©al jusqu’à l’oubli du tyran ; constater en soi le magnifique mĂ©lange de l’indignation qui s’accroĂźt et de l’apaisement qui augmente ; avoir deux Ăąmes, son Ăąme et la patrie. Une chose est douce, c’est la pitiĂ© d’avance ; tenir la clĂ©mence prĂȘte pour le coupable quand il sera terrassĂ© et agenouillĂ© ; se dire qu’on ne repoussera jamais des mains jointes. On sent une joie auguste Ă  faire aux vaincus de l’avenir, quels qu’ils soient, et aux fugitifs inconnus une promesse d’hospitalitĂ©. La colĂšre dĂ©sarme devant l’ennemi accablĂ©. Celui qui Ă©crit ces lignes a habituĂ© ses compagnons d’exil Ă  lui entendre dire — Si jamais, le lendemain d’une rĂ©volution, Bonaparte en fuite frappe Ă  ma porte et me demande asile, pas un cheveu ne tombera de sa tĂȘte. Ces mĂ©ditations, compliquĂ©es de tous les dĂ©chaĂźnements de l’adversitĂ©, plaisent Ă  la conscience du proscrit. Elles ne l’empĂȘchent pas de faire son devoir. Loin de lĂ . Elles l’y encouragent. Sois d’autant plus sĂ©vĂšre aujourd’hui que tu seras plus compatissant demain ; foudroie le puissant en attendant que tu secoures le suppliant. Plus tard, tu ne mettras Ă  ton amnistie qu’une condition, le repentir. Aujourd’hui tu as affaire au crime heureux. Frappe. Creuser le prĂ©cipice Ă  l’ennemi vainqueur, prĂ©parer l’asile Ă  l’ennemi vaincu, combattre avec l’espoir de pouvoir pardonner, c’est lĂ  le grand effort et le grand rĂȘve de l’exil. Ajoutez Ă  cela le dĂ©vouement Ă  la souffrance universelle. Le proscrit a ce contentement magnanime de ne pas ĂȘtre inutile. BlessĂ© lui-mĂȘme, saignant lui-mĂȘme, il s’oublie, et il panse de son mieux la plaie humaine. On croit qu’il fait des songes ; non ; il cherche la rĂ©alitĂ©. Disons plus, il la trouve. Il rĂŽde dans le dĂ©sert et il songe aux villes, aux tumultes, aux fourmillements, aux misĂšres, Ă  tout ce qui travaille, Ă  la pensĂ©e, Ă  la charrue, Ă  l’aiguille aux doigts rouges de l’ouvriĂšre sans feu dans la mansarde, au mal qui pousse lĂ  oĂč l’on ne sĂšme pas le bien, au chĂŽmage du pĂšre, Ă  l’ignorance de l’enfant, Ă  la croissance des mauvaises herbes dans les cerveaux laissĂ©s incultes, aux rues le soir, aux pĂąles rĂ©verbĂšres, aux offres que la faim peut faire aux passants, aux extrĂ©mitĂ©s sociales, Ă  la triste fille qui se prostitue, hommes, par notre faute. Sondages douloureux et utiles. Couvez le problĂšme, la solution Ă©clora. Il rĂȘve sans relĂąche. Ses pas le long de la mer ne sont point perdus. Il fraternise avec cette puissance, l’abĂźme. Il regarde l’infini, il Ă©coute l’ignorĂ©. La grande voix sombre lui parle. Toute la nature en foule s’offre Ă  ce solitaire. Les analogies sĂ©vĂšres l’enseignent et le conseillent. Fatal, persĂ©cutĂ©, pensif, il a devant lui les nuĂ©es, les souffles, les aigles ; il constate que sa destinĂ©e est tonnante et noire comme les nuĂ©es, que ses persĂ©cuteurs sont vains comme les souffles, et que son Ăąme est libre comme les aigles. Un exilĂ© est un bienveillant. Il aime les roses, les nids, le va-et-vient des papillons. L’étĂ© il s’épanouit dans la douce joie des ĂȘtres ; il a une foi inĂ©branlable dans la bontĂ© secrĂšte et infinie, Ă©tant puĂ©ril au point de croire en Dieu ; il fait du printemps sa maison ; les entrelacements des branches, pleins de charmants antres verts, sont la demeure de son esprit ; il vit en avril, il habite florĂ©al ; il regarde les jardins et les prairies, Ă©motion profonde ; il guette les mystĂšres d’une touffe de gazon ; il Ă©tudie ces rĂ©publiques, les fourmis et les abeilles ; il compare les mĂ©lodies diverses joutant pour l’oreille d’un Virgile invisible dans la gĂ©orgique des bois ; il est souvent attendri jusqu’aux larmes parce que la nature est belle ; la sauvagerie des halliers l’attire, et il en sort doucement effarĂ© ; les attitudes des rochers l’occupent ; il voit Ă  travers sa rĂȘverie les petites filles de trois ans courir sur la grĂšve, leurs pieds nus dans la mer, leurs jupes retroussĂ©es Ă  deux bras, montrant Ă  la fĂ©conditĂ© immense leur ventre innocent ; l’hiver, il Ă©miette du pain sur la neige pour les oiseaux. De temps en temps on lui Ă©crit Vous savez, telle pĂ©nalitĂ© est abolie ; vous savez, telle tĂȘte ne sera pas coupĂ©e. Et il lĂšve les mains au ciel. VIII Contre cet homme dangereux les gouvernements se prĂȘtent main-forte. Ils s’accordent rĂ©ciproquement entre eux la persĂ©cution des proscrits, les internements, les expulsions, quelquefois les extraditions. Les extraditions ! oui, les extraditions. Il en fut question Ă  Jersey, en 1855. Les exilĂ©s purent voir, le 18 octobre, amarrĂ© au quai de Saint-HĂ©lier, un navire de la marine impĂ©riale, l’Ariel, qui venait les chercher ; Victoria offrait les proscrits Ă  NapolĂ©on ; d’un trĂŽne Ă  l’autre on se fait de ces politesses. Le cadeau n’eut pas lieu. La presse royaliste anglaise applaudissait ; mais le peuple de Londres le prenait mal. Il se mit Ă  gronder. Ce peuple est ainsi fait ; son gouvernement peut ĂȘtre caniche, lui il est dogue. Le dogue, c’est un lion dans un chien ; la majestĂ© dans la probitĂ©, c’est le peuple anglais. Ce bon et fier peuple montra les dents ; Palmerston et Bonaparte durent se contenter de l’expulsion. Les proscrits s’émurent mĂ©diocrement. Ils reçurent avec un sourire la signification officielle, un peu baragouinĂ©e. Soit, dirent les proscrits. Expioulcheune. Cette prononciation les satisfit. À cette Ă©poque, si les gouvernements Ă©taient de connivence avec le prescripteur, on sentait entre les proscrits et les peuples une complicitĂ© superbe. Cette solidaritĂ©, d’oĂč rĂ©sultera l’avenir, se manifestait sous toutes les formes, et l’on en trouvera les marques Ă  chacune des pages de ce livre. Elle Ă©clatait Ă  l’occasion d’un passant quelconque, d’un homme isolĂ©, d’un voyageur reconnu sur une route ; faits imperceptibles sans doute, et de peu d’importance, mais significatifs. En voici un qui mĂ©rite peut-ĂȘtre qu’on s’en souvienne. IX En l’étĂ© de 1867, Louis Bonaparte avait atteint le maximum de gloire possible Ă  un crime. Il Ă©tait sur le sommet de sa montagne, car on arrive en haut de la honte ; rien ne lui faisait plus obstacle ; il Ă©tait infĂąme et suprĂȘme ; pas de victoire plus complĂšte, car il semblait avoir vaincu les consciences. MajestĂ©s et altesses, tout Ă©tait Ă  ses pieds ou dans ses bras ; Windsor, le Kremlin, SchƓnbrunn et Potsdam se donnaient rendez-vous aux Tuileries ; on avait tout, la gloire politique, M. Rouher ; la gloire militaire, M. Bazaine ; et la gloire littĂ©raire, M. Nisard ; on Ă©tait acceptĂ© par de grands caractĂšres, tels que MM. Vieillard et MĂ©rimĂ©e ; le Deux-DĂ©cembre avait pour lui la durĂ©e, les quinze annĂ©es de Tacite, grande mortalis Ɠvi spatium ; l’empire Ă©tait en plein triomphe et en plein midi, s’étalant. On se moquait d’HomĂšre sur les théùtres et de Shakespeare Ă  l’acadĂ©mie. Les professeurs d’histoire affirmaient que LĂ©onidas et Guillaume Tell n’avaient jamais existĂ© ; tout Ă©tait en harmonie ; rien ne dĂ©tonnait, et il y avait accord entre la platitude des idĂ©es et la soumission des hommes ; la bassesse des doctrines Ă©tait Ă©gale Ă  la fiertĂ© des personnages ; l’avilissement faisait loi ; une sorte d’Anglo-France existait, mi-partie de Bonaparte et de Victoria, composĂ©e de libertĂ© selon Palmerston et d’empire selon Troplong ; plus qu’une alliance, presque un baiser. Le grand juge d’Angleterre rendait des arrĂȘts de complaisance ; le gouvernement britannique se dĂ©clarait le serviteur du gouvernement impĂ©rial, et, comme on vient de le voir, lui prouvait sa subordination par des expulsions, des procĂšs, des menaces d’alien-bill, et de petites persĂ©cutions, format anglais. Cette Anglo-France proscrivait la France et humiliait l’Angleterre, mais elle rĂ©gnait ; la France esclave, l’Angleterre domestique, telle Ă©tait la situation. Quant Ă  l’avenir, il Ă©tait masquĂ©. Mais le prĂ©sent Ă©tait de l’opprobre Ă  visage dĂ©couvert, et, de l’aveu de tous, c’était magnifique. À Paris, l’exposition universelle resplendissait et Ă©blouissait l’Europe ; il y avait lĂ  des merveilles ; entre autres, sur un piĂ©destal, le canon Krupp, et l’empereur des français fĂ©licitait le roi de Prusse. C’était le grand moment prospĂšre. Jamais les proscrits n’avaient Ă©tĂ© plus mal vus. Dans certains journaux anglais, on les appelait les rebelles ». Dans ce mĂȘme Ă©tĂ©, un jour du mois de juillet, un passager faisait la traversĂ©e de Guernesey Ă  Southampton. Ce passager Ă©tait un de ces rebelles » dont on vient de parler. Il Ă©tait reprĂ©sentant du peuple en 1851 et avait Ă©tĂ© exilĂ© le 2 dĂ©cembre. Ce passager, dont le nom est inutile Ă  dire ici, car il n’a Ă©tĂ© que l’occasion du fait que nous allons raconter, s’était embarquĂ© le matin mĂȘme, Ă  Saint-Pierre-Port, sur le bateau-poste Normandy. La traversĂ©e de Guernesey Ă  Southampton est de sept ou huit heures. C’était l’époque oĂč le khĂ©dive, aprĂšs avoir saluĂ© NapolĂ©on, venait saluer Victoria, et, ce jour-lĂ  mĂȘme, la reine d’Angleterre offrait au vice-roi d’Égypte le spectacle de la flotte anglaise dans la rade de Sheerness, voisine de Southampton. Le passager dont nous venons de parler Ă©tait un homme Ă  cheveux blancs, silencieux, attentif Ă  la mer. Il se tenait debout prĂšs du timonier. Le Normandy avait quittĂ© Guernesey Ă  dix heures du matin ; il Ă©tait environ trois heures de l’aprĂšs-midi ; on approchait des Needles, qui marquent l’extrĂ©mitĂ© sud de l’üle de Wight ; on apercevait cette haute architecture sauvage de la mer et ces colossales pointes de craie qui sortent de l’ocĂ©an comme les clochers d’une prodigieuse cathĂ©drale engloutie ; on allait entrer dans la riviĂšre de Southampton ; le timonier commençait Ă  manƓuvrer Ă  bĂąbord. Le passager regardait l’approche des Aiguilles, quand tout Ă  coup il s’entendit appeler par son nom ; il se retourna ; il avait devant lui le capitaine du navire. Ce capitaine Ă©tait Ă  peu prĂšs du mĂȘme Ăąge que lui ; il se nommait Harvey ; il avait de robustes Ă©paules, d’épais favoris blancs, la face hĂąlĂ©e et fiĂšre, l’Ɠil gai. — Est-il vrai, monsieur, dit-il, que vous dĂ©siriez voir la flotte anglaise ? Le passager n’avait pas exprimĂ© ce vƓu, mais il avait entendu des femmes tĂ©moigner vivement ce dĂ©sir autour de lui. Il se borna Ă  rĂ©pondre — Mais, capitaine, ce n’est pas votre itinĂ©raire. Le capitaine reprit — Ce sera mon itinĂ©raire si vous le voulez. Le passager eut un mouvement de surprise. — Changer votre route ? — Oui. — Pour m’ĂȘtre agrĂ©able ? — Oui. — Un vaisseau français ne ferait pas cela pour moi ! — Ce qu’un vaisseau français ne ferait pas pour vous, dit le capitaine, un vaisseau anglais le fera. Et il reprit — Seulement, pour ma responsabilitĂ© devant mes chefs, Ă©crivez-moi sur mon livre votre volontĂ©. Et il prĂ©senta son livre de bord au passager, qui Ă©crivit sous sa dictĂ©e Je dĂ©sire voir la flotte anglaise », et signa. Un moment aprĂšs, le steamer obliquait Ă  tribord, laissait Ă  gauche les Aiguilles et la riviĂšre de Southampton et entrait dans la rade de Sheerness. Le spectacle Ă©tait beau en effet. Toutes les batteries mĂȘlaient leurs fumĂ©es et leurs tonnerres ; les silhouettes des massifs navires cuirassĂ©s s’échelonnaient les unes derriĂšre les autres dans une brume rougeĂątre, vaste pĂȘle-mĂȘle de mĂątures apparues et disparues ; le Normandy passait au milieu de ces hautes ombres, saluĂ© par les hurrahs ; cette course Ă  travers la flotte anglaise dura plus de deux heures. Vers sept heures, quand le Normandy arriva Ă  Southampton, il Ă©tait pavoisĂ©. Un des amis du capitaine Harvey, M. Rascol, directeur du Courrier de l’Europe, l’attendait sur le port ; il s’étonna du navire pavoisĂ©. — Pour qui donc avez-vous pavoisĂ©, capitaine ? Pour le khĂ©dive ? Le capitaine rĂ©pondit — Pour le proscrit. Pour le proscrit. Traduisez Pour la France. Nous n’aurions pas racontĂ© ce fait, s’il n’empruntait une grandeur singuliĂšre Ă  la fin du capitaine Harvey. Cette fin, la voici. Trois ans aprĂšs cette revue de Sheerness, trĂšs peu de temps aprĂšs avoir remis Ă  son passager de juillet 1867 une adresse des marins de la Manche, dans la nuit du 17 mars 1870, le capitaine Harvey faisait son trajet habituel de Southampton Ă  Guernesey. Une brume couvrait la mer. Le capitaine Harvey Ă©tait debout sur la passerelle du steamer, et manƓuvrait avec prĂ©caution, Ă  cause de la nuit et du brouillard. Les passagers dormaient. Le Normandy Ă©tait un trĂšs grand navire, le plus beau peut-ĂȘtre des bateaux-poste de la Manche, six cents tonneaux, deux cent vingt pieds anglais de long, vingt-cinq de large ; il Ă©tait jeune », comme disent les marins, il n’avait pas sept ans. Il avait Ă©tĂ© construit en 1863. Le brouillard s’épaississait, on Ă©tait sorti de la riviĂšre de Southampton, on Ă©tait en pleine mer, Ă  environ quinze milles au delĂ  des Aiguilles. Le packet avançait lentement. Il Ă©tait quatre heures du matin. L’obscuritĂ© Ă©tait absolue, une sorte de plafond bas enveloppait le steamer, on distinguait Ă  peine la pointe des mĂąts. Rien de terrible comme ces navires aveugles qui vont dans la nuit. Tout Ă  coup dans la brume une noirceur surgit ; fantĂŽme et montagne, un promontoire d’ombre courant dans l’écume et trouant les tĂ©nĂšbres. C’était la Mary, grand steamer Ă  hĂ©lice, venant d’Odessa, allant Ă  Grimsby, avec un chargement de cinq cents tonnes de blĂ© ; vitesse Ă©norme, poids immense. La Mary courait droit sur le Normandy. Nul moyen d’éviter l’abordage, tant ces spectres de navires dans le brouillard se dressent vite. Ce sont des rencontres sans approche. Avant qu’on ait achevĂ© de les voir, on est mort. La Mary, lancĂ©e Ă  toute vapeur, prit le Normandy par le travers, et l’éventra. Du choc, elle-mĂȘme, avariĂ©e, s’arrĂȘta. Il y avait sur le Normandy vingt-huit hommes d’équipage, une femme de service, la stuartess, et trente et un passagers, dont douze femmes. La secousse fut effroyable. En un instant, tous furent sur le pont, hommes, femmes, enfants, demi-nus, courant, criant, pleurant. L’eau entrait furieuse. La fournaise de la machine, atteinte par le flot, rĂąlait. Le navire n’avait pas de cloisons Ă©tanches ; les ceintures de sauvetage manquaient. Le capitaine Harvey, droit sur la passerelle de commandement, cria — Silence tous, et attention ! Les canots Ă  la mer. Les femmes d’abord, les passagers ensuite. L’équipage aprĂšs. Il y a soixante personnes Ă  sauver. On Ă©tait soixante et un. Mais il s’oubliait. On dĂ©tacha les embarcations Tous s’y prĂ©cipitaient. Cette hĂąte pouvait faire chavirer les canots. Ockleford, le lieutenant, et les trois contre-maĂźtres, Goodwin, Bennett et West, continrent cette foule Ă©perdue d’horreur. Dormir, et tout Ă  coup, et tout de suite, mourir, c’est affreux. Cependant, au-dessus des cris et des bruits, on entendait la voix grave du capitaine, et ce bref dialogue s’échangeait dans les tĂ©nĂšbres — MĂ©canicien Locks ? — Capitaine ? — Comment est le fourneau ? — NoyĂ©. — Le feu ? — Éteint. — La machine ? — Morte. Le capitaine cria — Lieutenant Ockleford ? Le lieutenant rĂ©pondit — PrĂ©sent. Le capitaine reprit — Combien avons-nous de minutes ? — Vingt. — Cela suffit, dit le capitaine. Que chacun s’embarque Ă  son tour. Lieutenant Ockleford, avez-vous vos pistolets ? — Oui, capitaine. — BrĂ»lez la cervelle Ă  tout homme qui voudrait passer avant une femme. Tous se turent. Personne ne rĂ©sista ; cette foule sentant au-dessus d’elle cette grande Ăąme. La Mary, de son cĂŽtĂ©, avait mis ses embarcations Ă  la mer, et venait au secours de ce naufrage qu’elle avait fait. Le sauvetage s’opĂ©ra avec ordre et presque sans lutte. Il y avait, comme toujours, de tristes Ă©goĂŻsmes ; il y eut aussi de pathĂ©tiques dĂ©vouements[1]. Harvey, impassible Ă  son poste de capitaine, commandait, dominait, dirigeait, s’occupait de tout et de tous, gouvernait avec calme cette angoisse, et semblait donner des ordres Ă  la catastrophe. On eĂ»t dit que le naufrage lui obĂ©issait. À un certain moment il cria — Sauvez ClĂ©ment. ClĂ©ment, c’était le mousse. Un enfant. Le navire dĂ©croissait lentement dans l’eau profonde. On hĂątait le plus possible le va-et-vient des embarcations entre le Normandy et la Mary. — Faites vite, criait le capitaine. À la vingtiĂšme minute le steamer sombra. L’avant plongea d’abord, puis l’arriĂšre. Le capitaine Harvey, debout sur la passerelle, ne fit pas un geste, ne dit pas un mot, et entra immobile dans l’abĂźme. On vit, Ă  travers la brume sinistre, cette statue noire s’enfoncer dans la mer. Ainsi finit le capitaine Harvey. Qu’il reçoive ici l’adieu du proscrit. Pas un marin de la Manche ne l’égalait. AprĂšs s’ĂȘtre imposĂ© toute sa vie le devoir d’ĂȘtre un homme, il usa en mourant du droit d’ĂȘtre un hĂ©ros. X Est-ce que le proscrit liait le prescripteur ? Non. Il le combat ; c’est tout. À outrance ? oui. Comme ennemi public toujours, jamais comme ennemi personnel. La colĂšre de l’honnĂȘte homme ne va pas au delĂ  du nĂ©cessaire. Le proscrit exĂšcre le tyran et ignore la personne du proscripteur. S’il la connaĂźt, il ne l’attaque que dans la proportion du devoir. Au besoin le proscrit rend justice au proscripteur ; si le proscripteur, par exemple, est dans une certaine mesure Ă©crivain et a une littĂ©rature suffisante, le proscrit en convient volontiers. Il est incontestable, soit dit en passant, que NapolĂ©on III eĂ»t Ă©tĂ© un acadĂ©micien convenable ; l’acadĂ©mie sous l’empire avait, par politesse sans doute, suffisamment abaissĂ© son niveau pour que l’empereur pĂ»t en ĂȘtre ; l’empereur eĂ»t pu se croire lĂ  parmi ses pairs littĂ©raires, et sa majestĂ© n’eĂ»t aucunement dĂ©parĂ© celle des quarante. À l’époque oĂč l’on annonçait la candidature de l’empereur Ă  un fauteuil vacant, un acadĂ©micien de notre connaissance, voulant rendre Ă  la fois justice Ă  l’historien de CĂ©sar et Ă  l’homme de DĂ©cembre, avait d’avance rĂ©digĂ© ainsi son bulletin de vote Je vote pour l’admission de M. Louis Bonaparte Ă  l’acadĂ©mie et au bagne. On le voit, toutes les concessions possibles, le proscrit les fait. Il n’est absolu qu’au point de vue des principes. LĂ  son inflexibilitĂ© commence. LĂ  il cesse d’ĂȘtre ce que dans le jargon politique on nomme un homme pratique ». De lĂ  ses rĂ©signations Ă  tout, aux violences, aux injures, Ă  la ruine, Ă  l’exil. Que voulez-vous qu’il y fasse ? Il a dans la bouche la vĂ©ritĂ© qui, au besoin, parlerait malgrĂ© lui. Parler par elle et pour elle, c’est lĂ  son fier bonheur. Le vrai a deux noms ; les philosophes l’appellent l’idĂ©al, les hommes d’état l’appellent le chimĂ©rique. Les hommes d’état ont-ils raison ? Nous ne le pensons pas. À les entendre, tous les conseils que peut donner un proscrit sont chimĂ©riques ». En admettant, disent-ils, que ces conseils aient pour eux la vĂ©ritĂ©, ils ont contre eux la rĂ©alitĂ©. Examinons. Le proscrit est un homme chimĂ©rique. Soit. C’est un voyant aveugle ; voyant du cĂŽtĂ© de l’absolu, aveugle du cĂŽtĂ© du relatif. Il fait de bonne philosophie et de mauvaise politique. Si on l’écoutait, on irait aux abĂźmes. Ses conseils sont des conseils d’honnĂȘtetĂ© et de perdition. Les principes lui donnent raison, mais les faits lui donnent tort. Voyons les faits. John Brown est vaincu Ă  Harper’s Ferry. Les hommes d’état disent Pendez-le. Le proscrit dit Respectez-le. On pend John Brown ; l’Union se disloque, la guerre du Sud Ă©clate. John Brown Ă©pargnĂ©, c’était l’AmĂ©rique Ă©pargnĂ©e. Au point de vue du fait, qui a eu raison, les hommes pratiques, ou l’homme chimĂ©rique ? DeuxiĂšme fait. Maximilien est pris Ă  Queretaro. Les hommes pratiques disent Fusillez-le. L’homme chimĂ©rique dit Graciez-le. On fusille Maximilien. Cela suffit pour rapetisser une chose immense. L’hĂ©roĂŻque lutte du Mexique perd son suprĂȘme lustre, la clĂ©mence hautaine. Maximilien graciĂ©, c’était le Mexique dĂ©sormais inviolable, c’était cette nation, qui avait constatĂ© son indĂ©pendance par la guerre, constatant par la civilisation sa souverainetĂ© ; c’était, sur le front de ce peuple, aprĂšs le casque, la couronne. Cette fois encore, l’homme chimĂ©rique voyait juste. TroisiĂšme fait. Isabelle est dĂ©trĂŽnĂ©e. Que va devenir l’Espagne ? rĂ©publique ou monarchie ? Sois monarchie ! disent les hommes d’état ! Sois rĂ©publique ! dit le proscrit. L’homme chimĂ©rique n’est pas Ă©coutĂ©, les hommes pratiques l’emportent ; l’Espagne se fait monarchie. Elle tombe d’Isabelle en AmĂ©dĂ©e, et d’AmĂ©dĂ©e en Alphonse, en attendant Carlos ; ceci ne regarde que l’Espagne. Mais voici qui regarde le monde cette monarchie en quĂȘte d’un monarque donne prĂ©texte Ă  Hohenzollern ; de lĂ  l’embuscade de la Prusse, de lĂ  l’égorgement de la France, de lĂ  Sedan, de lĂ  la honte et la nuit. Supposez l’Espagne rĂ©publique, nul prĂ©texte Ă  un guet-apens, aucun Hohenzollern possible, pas de catastrophes. Donc le conseil du proscrit Ă©tait sage. Si par hasard on dĂ©couvrait un jour cette chose Ă©trange que la vĂ©ritĂ© n’est pas imbĂ©cile, que l’esprit de compassion et de dĂ©livrance a du bon, que l’homme fort c’est l’homme droit, et que c’est la raison qui a raison ! Aujourd’hui, au milieu des calamitĂ©s, aprĂšs la guerre Ă©trangĂšre, aprĂšs la guerre civile, en prĂ©sence des responsabilitĂ©s encourues de deux cĂŽtĂ©s, le proscrit d’autrefois songe aux proscrits d’aujourd’hui, il se penche sur les exils, il a voulu sauver John Brown, il a voulu sauver Maximilien, il a voulu sauver la France, ce passĂ© lui Ă©claire l’avenir, il voudrait fermer la plaie de la patrie et il demande l’amnistie. Est-ce un aveugle ? est-ce un voyant ? XI En dĂ©cembre 1851, quand celui qui Ă©crit ces lignes arriva chez l’étranger, la vie eut d’abord quelque duretĂ©. C’est en exil surtout que se fait sentir le res angusta domi. Cette esquisse sommaire de ce que c’est que l’exil » ne serait pas complĂšte si ce cĂŽtĂ© matĂ©riel de l’existence du proscrit n’était pas indiquĂ©, en passant, et du reste, avec la sobriĂ©tĂ© convenable. De tout ce que cet exilĂ© avait possĂ©dĂ© il lui restait sept mille cinq cents francs de revenu annuel. Son théùtre, qui lui rapportait soixante mille francs par an, Ă©tait supprimĂ©. La hĂątive vente Ă  l’encan de son mobilier avait produit un peu moins de treize mille francs. Il avait neuf personnes Ă  nourrir. Il avait Ă  pourvoir aux dĂ©placements, aux voyages, aux emmĂ©nagements nouveaux, aux mouvements d’un groupe dont il Ă©tait le centre, Ă  tout l’inattendu d’une existence dĂ©sormais arrachĂ©e de terre et maniable Ă  tous les vents ; un proscrit, c’est un dĂ©racinĂ©. Il fallait conserver la dignitĂ© de la vie et faire en sorte qu’autour de lui personne ne souffrĂźt. De lĂ  une nĂ©cessitĂ© immĂ©diate de travail. Disons que la premiĂšre maison d’exil, Marine-Terrace, Ă©tait louĂ©e au prix trĂšs modĂ©rĂ© de quinze cents francs par an. Le marchĂ© français Ă©tait fermĂ© Ă  ses publications. Ses premiers Ă©diteurs belges imprimĂšrent tous ses livres sans lui rendre aucun compte, entre autres les deux volumes des ƒuvres oratoires. NapolĂ©on le Petit fit seul exception. Quant aux ChĂątiments, ils coĂ»tĂšrent Ă  l’auteur deux mille cinq cents francs. Cette somme, confiĂ©e Ă  l’éditeur Samuel, n’a jamais Ă©tĂ© remboursĂ©e. Le produit total de toutes les Ă©ditions des ChĂątiments a Ă©tĂ© pendant dix-huit ans confisquĂ© par les Ă©diteurs Ă©trangers. Les journaux royalistes anglais faisaient sonner trĂšs haut l’hospitalitĂ© anglaise, mĂ©langĂ©e, on s’en souvient, d’assauts nocturnes et d’expulsions, du reste comme l’hospitalitĂ© belge. Ce que l’hospitalitĂ© anglaise avait de complet, c’était sa tendresse pour les livres des exilĂ©s. Elle rĂ©imprimait ces livres et les publiait et les vendait avec l’empressement le plus cordial au bĂ©nĂ©fice des Ă©diteurs anglais. L’hospitalitĂ© pour le livre allait jusqu’à oublier l’auteur. La loi anglaise, qui fait partie de l’hospitalitĂ© britannique, permet ce genre d’oubli. Le devoir d’un livre est de laisser mourir de faim l’auteur, tĂ©moin Chatterton, et d’enrichir l’éditeur. Les ChĂątiments en particulier ont Ă©tĂ© vendus et se vendent encore et toujours en Angleterre au profit unique du libraire Jeffs. Le théùtre anglais n’était pas moins hospitalier pour les piĂšces françaises que la librairie anglaise pour les livres français. Aucun droit d’auteur n’a jamais Ă©tĂ© payĂ© pour Ruy Blas, jouĂ© plus de deux cents fois en Angleterre. Ce n’est pas sans raison, on le voit, que la presse royaliste-bonapartiste de Londres reprochait aux proscrits d’abuser de l’hospitalitĂ© anglaise. Cette presse a souvent appelĂ© celui qui Ă©crit ces lignes, avare. Elle l’appelait aussi ivrogne », abandonned drinker. Ces dĂ©tails font partie de l’exil. XII Cet exilĂ© ne se plaint de rien. Il a travaillĂ©. Il a reconstruit sa vie pour lui et pour les siens. Tout est bien. Y a-t-il du mĂ©rite Ă  ĂȘtre proscrit ? Non. Cela revient Ă  demander Y a-t-il du mĂ©rite Ă  ĂȘtre honnĂȘte homme ? Un proscrit est un honnĂȘte homme qui persiste dans l’honnĂȘtetĂ©. VoilĂ  tout. Il y a telle Ă©poque oĂč cette persistance est rare. Soit. Cette raretĂ© ĂŽte quelque chose Ă  l’époque, mais n’ajoute rien Ă  l’honnĂȘte homme. L’honnĂȘtetĂ©, comme la virginitĂ©, existe en dehors de l’éloge. Vous ĂȘtes pur parce que vous ĂȘtes pur. L’hermine n’a aucun mĂ©rite Ă  ĂȘtre blanche. Un reprĂ©sentant proscrit pour le peuple fait un acte de probitĂ©. Il a promis, il tient sa promesse. Il la tient au delĂ  mĂȘme de la promesse, comme doit faire tout homme scrupuleux. C’est en cela que le mandat impĂ©ratif est inutile ; le mandat impĂ©ratif a le tort de mettre un mot dĂ©gradant sur une chose noble, qui est l’acceptation du devoir ; en outre, il omet l’essentiel, qui est le sacrifice ; le sacrifice, nĂ©cessaire Ă  accomplir, impossible Ă  imposer. L’engagement rĂ©ciproque, la main de l’élu mise dans la main de l’électeur, le mandant et le mandataire se donnent mutuellement parole, le mandataire de dĂ©fendre le mandant, le mandant de soutenir le mandataire, deux droits et deux forces mĂȘlĂ©s, telle est la vĂ©ritĂ©. Cela Ă©tant, le reprĂ©sentant doit faire son devoir, et le peuple le sien. C’est la dette de la conscience acquittĂ©e des deux cĂŽtĂ©s. Mais quoi, se dĂ©vouer jusqu’à l’exil ? Sans doute. Alors c’est beau ; non, c’est simple. Tout ce qu’on peut dire du reprĂ©sentant proscrit, c’est qu’il n’a pas trompĂ© sur la qualitĂ© de la chose promise. Un mandat est un contrat. Il n’y a aucune gloire Ă  ne point vendre Ă  faux poids. Le reprĂ©sentant honnĂȘte homme exĂ©cute le contrat. Il doit aller, et il va, jusqu’au bout de l’honneur et de la conscience. LĂ  il trouve le prĂ©cipice. Soit. Il y tombe. Parfaitement. Y meurt-il ? Non, il y vit. XIII RĂ©sumons-nous. Ce genre d’existence, l’exil, a, on le voit, une certaine variĂ©tĂ© d’aspects. C’est de cette vie, agitĂ©e si l’on regarde la destinĂ©e, tranquille si l’on regarde l’ñme, qu’a vĂ©cu, de 1851 Ă  1870, du Deux-DĂ©cembre au Quatre-Septembre, l’absent qui rend aujourd’hui compte Ă  son pays de son absence par la publication de ce livre. Cette absence a durĂ© dix-neuf ans et neuf mois. Qu’a-t-il fait pendant ces longues annĂ©es ? Il a essayĂ© de ne pas ĂȘtre inutile. La seule belle chose de cette absence, c’est que lui, misĂ©rable, les misĂšres sont venues le trouver ; les naufrages ont demandĂ© secours Ă  ce naufragĂ©. Non seulement les individus, mais les peuples ; non seulement les peuples, mais les consciences ; non seulement les consciences, mais les vĂ©ritĂ©s. Il lui a Ă©tĂ© donnĂ© de tendre la main du haut de son Ă©cueil Ă  l’idĂ©al tombĂ© dans le gouffre ; il lui semblait par moments que l’avenir en dĂ©tresse tĂąchait d’aborder Ă  son rocher. Qu’était-il pourtant ? Peu de chose. Un effort vivant. En prĂ©sence de toutes les mauvaises forces conjurĂ©es et triomphantes, qu’est-ce qu’une volontĂ© ? Rien, si elle reprĂ©sente l’égoĂŻsme ; tout, si elle reprĂ©sente le droit. La plus inexpugnable des positions rĂ©sulte du plus profond des Ă©croulements ; il suffit que l’homme Ă©croulĂ© soit un homme juste ; insistons-y, si cet homme a raison, il est bon qu’il soit accablĂ©, ruinĂ©, spoliĂ©, expatriĂ©, bafouĂ©, insultĂ©, reniĂ©, calomniĂ© et qu’il rĂ©sume en lui toutes les formes de la dĂ©faite et de la faiblesse ; alors il est tout-puissant. Il est indomptable ayant en lui la droiture ; il est invincible ayant pour lui la rĂ©alitĂ©. Quelle force que ceci n’ĂȘtre rien ! N’avoir plus rien Ă  soi, n’avoir plus rien sur soi, c’est la meilleure condition de combat. Cette absence d’armure prouve l’invulnĂ©rable. Pas de situation plus haute que celle-lĂ , ĂȘtre tombĂ© pour la justice. En face de l’empereur se dresse le proscrit. L’empereur damne, le proscrit condamne. L’un dispose des codes et des juges ; l’autre dispose des vĂ©ritĂ©s. Oui, il est bon d’ĂȘtre tombĂ©. La chute de ce qui a Ă©tĂ© la prospĂ©ritĂ© fait l’autoritĂ© d’un homme ; votre pouvoir et votre richesse sont souvent votre obstacle ; quand cela vous quitte, vous ĂȘtes dĂ©barrassĂ©, et vous vous sentez libre et maĂźtre ; rien ne vous gĂȘne dĂ©sormais ; en vous retirant tout on vous a tout donnĂ© ; tout est permis Ă  qui tout est dĂ©fendu ; vous n’ĂȘtes plus contraint d’ĂȘtre acadĂ©mique et parlementaire ; vous avez la redoutable aisance du vrai, sauvagement superbe. La puissance du proscrit se compose de deux Ă©lĂ©ments ; l’un qui est l’injustice de sa destinĂ©e, l’autre qui est la justice de sa cause. Ces deux forces contradictoires s’appuient l’une sur l’autre ; situation formidable et qui peut se rĂ©sumer en deux mots Hors la loi, dans le droit. Le tyran qui vous attaque rencontre pour premier adversaire sa propre iniquitĂ©, c’est-Ă -dire lui-mĂȘme, et pour deuxiĂšme adversaire votre conscience, c’est-Ă -dire Dieu. Combat, certes, inĂ©gal. DĂ©faite certaine du tyran. Allez devant vous, justicier. Ce sont ces rĂ©alitĂ©s que, dans les premiĂšres pages de cette introduction, nous avons essayĂ© d’exprimer en cette ligne L’exil, c’est la nuditĂ© du droit. XIV C’est pourquoi celui qui Ă©crit ceci a Ă©tĂ© pendant ces dix-neuf annĂ©es content et triste ; content de lui-mĂȘme, triste d’autrui ; content de se sentir honnĂȘte, triste du crime Ă  extension indĂ©finie qui d’ñme en Ăąme gagnait la conscience publique et avait fini par s’appeler la satisfaction des intĂ©rĂȘts. Il Ă©tait indignĂ© et accablĂ© de ce malheur national qu’on appelait la prospĂ©ritĂ© de l’empire. Les joies d’orgie sont misĂšres. Une prospĂ©ritĂ© qui est la dorure d’un forfait ment et couve une calamitĂ©. L’Ɠuf du Deux-DĂ©cembre est Sedan. C’étaient lĂ  les douleurs du proscrit, douleurs pleines de devoirs. Il pressentait l’avenir et dĂ©nonçait dans l’étourdissement des fĂȘtes l’approche des catastrophes. Il entendait le pas des Ă©vĂ©nements auquel sont sourds les heureux. Les catastrophes sont arrivĂ©es, ayant en elles la double force d’impulsion qui leur venait de Bonaparte et de Bismarck, d’un guet-apens punissant l’autre. En somme, l’empire est tombĂ© et la France se relĂšvera. Dix milliards et deux provinces, c’est notre rançon. C’est cher, et nous avons droit au remboursement. En attendant, soyons calmes ; l’empire de moins, c’est l’honneur de plus. La situation actuelle est bonne. Mieux vaut la France mutilĂ©e par une voie de fait qu’amoindrie par un dĂ©shonneur. C’est la diffĂ©rence d’une plaie Ă  un virus. On guĂ©rit de la plaie, on meurt de la peste. La France eĂ»t agonisĂ© par l’empire. La honte bue, c’est la France morte. Aujourd’hui la honte est vomie, la France vivra. Le peuple n’a plus rien en lui que de sain et de robuste, Ă  prĂ©sent que le 18 brumaire et le 2 dĂ©cembre sont recrachĂ©s. Dans la solitude oĂč il mĂ©ditait l’avenir, les prĂ©occupations de l’exilĂ© Ă©taient sĂ©vĂšres, mais sereines ; ses dĂ©sespoirs Ă©taient mĂȘlĂ©s d’espĂ©rances. Il avait, on vient de le voir, la mĂ©lancolie du malheur public, et en mĂȘme temps la joie altiĂšre de se sentir proscrit. L’exil Ă©tait pour cet homme une joie, parce qu’il Ă©tait une puissance. Une bulle dit de Luther excommuniĂ©, mais indomptĂ© Stat coram pontifice sicut Satanas coram Jehovah. La comparaison est juste, et le proscrit qui parle ici le reconnaĂźt. Par-dessus le silence fait en France, par-dessus la tribune aplatie, par-dessus la presse bĂąillonnĂ©e, le proscrit, libre comme le Satan du vrai devant le JĂ©hovah du faux, pouvait prendre la parole et la prenait. Il dĂ©fendait le suffrage universel contre le plĂ©biscite, le peuple contre la foule, la gloire contre le reĂźtre, la justice contre le juge, le flambeau contre le bĂ»cher, et Dieu contre le prĂȘtre. De lĂ  ce long cri qui remplit ce livre. De toutes parts, nous venons de le dire et dans ce livre on le verra, les dĂ©tresses s’adressaient Ă  lui, sachant qu’il ne reculait devant aucun devoir. Les opprimĂ©s voyaient en lui l’accusateur public du crime universel. Il suffit, pour accepter cette mission, d’ĂȘtre une Ăąme, et, pour remplir cette fonction, d’ĂȘtre une voix. Une Ăąme probe et une voix libre, il a Ă©tĂ© cela. Il entendait des appels Ă  l’horizon, et du fond de son isolement il y rĂ©pondait. C’est lĂ  ce qu’on va lire. Toutes les persĂ©cutions des maĂźtres se dĂ©chaĂźnaient sur lui, et il y avait, et il y a encore, sur son nom une inexprimable condensation de haine ; mais qu’est-ce que cela fait, et qu’importe ? Il n’en a pas moins eu le fier bonheur d’ĂȘtre proscrit vingt ans, et de tenir tĂȘte, lui solitaire Ă  toutes les multitudes, lui dĂ©sarmĂ© Ă  toutes les lĂ©gions, lui rĂȘveur Ă  tous les meurtriers, lui banni Ă  tous les despotes, lui atome Ă  tous les colosses, n’ayant en lui que cette seule force, un rayon de lumiĂšre. Cette lumiĂšre, c’était, nous l’avons dit, le droit, l’éternel droit. Il remercie Dieu. Pendant tout le temps qu’il faut Ă  un front de quarante ans pour devenir un front de soixante ans, il a vĂ©cu de cette vie hautaine. Il a Ă©tĂ© l’expulsĂ©, le traquĂ©, le chassĂ©. Il a Ă©tĂ© abandonnĂ© de tous et n’a abandonnĂ© personne. Il a connu l’excellence du dĂ©sert ; c’est au dĂ©sert qu’est l’écho. LĂ  on entend la clameur des peuples. Pendant que les oppresseurs travaillaient au mal sous la fixitĂ© de son regard, il a tĂąchĂ© de travailler au bien. Il a laissĂ© tous les tyrans manier toutes les foudres au-dessus de sa tĂȘte, n’ayant, lui, d’autre souci que la calamitĂ© publique. Il a habitĂ© un Ă©cueil, il a rĂȘvĂ©, mĂ©ditĂ©, songĂ©, tranquille sous une nuĂ©e de colĂšre et de menaces ; et il se dĂ©clare satisfait ; car de quoi peut-on se plaindre quand on a eu vingt ans auprĂšs de soi et avec soi, la justice, la raison, la conscience, la vĂ©ritĂ©, le droit, et la mer aux bruits immenses ? Et dans toute cette ombre il a Ă©tĂ© aimĂ©. La haine n’a pas Ă©tĂ© seule sur lui ; un sombre amour rayonnait jusqu’à sa solitude ; il a senti la profonde chaleur du peuple doux et triste, l’ouverture des cƓurs s’est faite de son cĂŽtĂ©, il remercie l’immense Ăąme humaine. Il a Ă©tĂ© aimĂ© de loin et de prĂšs. Il a eu autour de lui d’intrĂ©pides compagnons d’épreuve, obstinĂ©s au devoir, opiniĂątres au juste et au vrai, combattants indignĂ©s et souriants ; cet illustre Vacquerie, cet admirable Paul Meurice, ce stoĂŻque SchƓlcher, et Ribeyrolles, et Dulac, et Kesler, ces vaillants hommes, et toi, mon Charles, et toi, mon Victor
 – Je m’arrĂȘte. Laissez-moi me souvenir. XV Il ne finira pas ces pages, pourtant, sans dire que, durant cette longue nuit faite par l’exil, il n’a pas perdu de vue Paris un seul instant. Il le constate, et, lui qui a Ă©tĂ© si longtemps l’habitant de l’obscuritĂ©, il a le droit de le constater, mĂȘme dans l’assombrissement de l’Europe, mĂȘme dans l’occultation de la France, Paris ne s’éclipse pas. Cela tient Ă  ce que Paris est la frontiĂšre de l’avenir. FrontiĂšre visible de l’inconnu. Toute la quantitĂ© de Demain qui peut ĂȘtre entrevue dans Aujourd’hui. C’est lĂ  Paris. Qui cherche des yeux le ProgrĂšs, aperçoit Paris. Il y a des villes noires ; Paris est la ville de lumiĂšre. Le philosophe la distingue au fond de ses songes. XVI Voir vivre cette ville, assister Ă  cette grandeur, c’est lĂ  pour l’esprit une Ă©motion poignante. Aucun milieu n’est plus vaste ; aucune perspective n’est plus inquiĂ©tante et plus sublime. Ceux qui, par les hasards quelconques de la vie, ont quittĂ© la vision de Paris pour la vision de l’ocĂ©an, n’ont Ă©prouvĂ©, en changeant de spectacle, aucune hausse d’infini. D’ailleurs, passer de l’horizon des hommes Ă  l’horizon des choses, cela n’efface rien. Ce rĂȘve en arriĂšre, auquel s’opiniĂątre la mĂ©moire, est flottant comme le nuage, mais plus tenace. L’espace n’en fait pas ce qu’il veut. Le vent en marche jour et nuit, les quatre ouragans qui alternent Ă  jamais, les bises, les bourrasques, les rafales, n’emportent pas la silhouette des deux tours jumelles, et ne dispersent pas l’arc de triomphe, le gothique beffroi aux tocsins, et la haute colonnade roulĂ©e autour du dĂŽme souverain ; et, derriĂšre les derniers lointains de l’abĂźme, au-dessus du bouleversement des Ă©cumes et des navires, au milieu des rayons, des nuĂ©es et des souffles, s’ébauche au fond des brumes l’immense fantĂŽme de la citĂ© immobile. Auguste apparition au banni. Paris, Ă©tant une idĂ©e autant qu’une ville, a l’ubiquitĂ©. Les parisiens ont Paris, et le monde l’a. On voudrait en sortir qu’on ne pourrait ; Paris est respirable. Quiconque vit, mĂȘme sans le connaĂźtre, l’a en soi. À plus forte raison ceux qui l’ont connu. La distraction sauvage de l’ocĂ©an se complique de ce souvenir, Ă©gal aux tempĂȘtes. Quelque orage que fasse la mer, Paris a 93. L’évocation se fait d’elle-mĂȘme, les toits semblent surgir parmi les flots, la ville se recompose dans toute cette onde, et ce tremblement infini s’y ajoute. Dans la cohue des houles on croit entendre bruire la fourmiliĂšre des rues. Charme farouche. On regarde la mer et on voit Paris. Les grandes paix que comportent ces espaces ne contrarient pas ce songe. Les vastes oublis qui vous environnent n’y font rien ; la pensĂ©e arrive au calme, mais Ă  un calme qui admet ce trouble ; l’épaisse enveloppe des tĂ©nĂšbres laisse passer la lueur qui vient de derriĂšre l’horizon, et qui est Paris. On y pense, donc on le possĂšde. Il se mĂȘle, indistinct, aux diffusions muettes de la mĂ©ditation. L’apaisement sublime du ciel constellĂ© ne suffit pas Ă  dissoudre au fond d’un esprit cette grande figure de la citĂ© suprĂȘme. Ces monuments, cette histoire, ce peuple en travail, ces femmes qui sont des dĂ©esses, ces enfants qui sont des hĂ©ros, ces rĂ©volutions commençant par la colĂšre et finissant par le chef-d’Ɠuvre, cette toute-puissance sacrĂ©e d’un tourbillon d’intelligences, ces exemples tumultueux, cette vie, cette jeunesse ; tout cela est prĂ©sent Ă  l’absent ; et Paris reste inoubliable, et Paris demeure ineffaçable et insubmersible, mĂȘme pour l’homme abĂźmĂ© dans l’ombre qui passe ses nuits en contemplation devant la sĂ©rĂ©nitĂ© Ă©ternelle, et qui a dans l’ñme la stupeur profonde des Ă©toiles. Novembre 1875. ↑ Voir aux Notes.
HugoĂ©crit ces Contemplations abouchĂ© Ă  la mort.« Contempler » d’ailleurs n’est pas exactement voir, mais plutĂŽt laisser flotter son regard ou le dĂ©couper au fil du rĂȘve intĂ©rieur ou des lambeaux de son imagination (templum en latin, c’est aussi la dĂ©coupe d’un rectangle dans le ciel).Hugo qui sait si exactement poser son regard (Choses vues) et sa parole, remplit
Quel fascinant destin que celui de Victor Hugo ! Destin qui l’amĂšne en seulement quelques annĂ©es du titre de vicomte de la monarchie de Juillet Ă  un long et solitaire exil d’opposant rĂ©publicain sous le Second Empire. Choses vues, recueil de chroniques Ă©crites tout au long de sa vie, nous offre un tĂ©moignage unique sur la RĂ©volution de 1848, moment de rupture dans la vie du poĂšte et commencement d’une vĂ©ritable mĂ©tamorphose politique. Victor Hugo Choses vues est un objet littĂ©raire Ă©tonnant, Ă©troit mĂ©lange de rĂ©flexions politiques entrecoupĂ©es de moments de vie quotidienne et d’anecdotes historiques. Il s’y succĂšde de brefs instants pris sur le vif qui nous rĂ©vĂšlent une ambiance, des atmosphĂšres de rues, l’intimitĂ© de la famille Hugo, les coulisses du jeu parlementaire
 Comme dans une Ɠuvre impressionniste, par diffĂ©rentes petites touches de couleurs, c’est la peinture du temps que l’on peut voir lĂ . L’ouvrage laisse toutefois une impression de brouillage qui renvoie Ă  la confusion des Ă©vĂ©nements vĂ©cus que seule l’histoire Ă©crite a posteriori est capable de mettre en cohĂ©rence. Victor Hugo face Ă  la rue FĂ©vrier 1848. Dans le froid d’un hiver rigoureux, le poĂšte est plongĂ© dans l’écriture de son roman des MisĂšres lorsque la rumeur de la rue et le grondement du peuple de Paris l’amĂšnent Ă  poser sa plume et Ă  devenir l’acteur et le tĂ©moin privilĂ©giĂ© de la rĂ©volte populaire. En ce dĂ©but d’annĂ©e, Victor Hugo n’est pas encore l’immortel rĂ©publicain que l’on enterrera au PanthĂ©on en 1885. AprĂšs avoir Ă©tĂ© un jeune lĂ©gitimiste exaltĂ© cĂ©lĂ©brant le sacre de Charles X, il est devenu, sous le rĂšgne de Louis-Philippe, un notable proche du pouvoir. C’est encore un homme politique assermentĂ© au roi qui vit cette nouvelle RĂ©volution. Il apprĂ©hende avec mĂ©fiance les Ă©vĂ©nements qui agitent Paris. Ce n’est pas le peuple qu’il craint, il en est le thurifĂ©raire, mais il se mĂ©fie de la foule, de ses dĂ©bordements et de ses excĂšs. Dans les annĂ©es prĂ©cĂ©dant la RĂ©volution, la monarchie orlĂ©aniste Ă©tait sourde aux appels des rĂ©formes dĂ©mocratiques. Le rĂ©gime censitaire ne permettait qu’à une infime minoritĂ© de la Nation de participer par le vote Ă  la vie politique. Face Ă  cet immobilisme, l’opposition libĂ©rale mena campagne afin de faire entendre les aspirations d’une partie du pays. Partout en France Ă©taient organisĂ©s des banquets oĂč l’on contestait la politique gouvernementale. L’interdiction d’un de ces banquets, le 22 fĂ©vrier 1848, met soudain le feu Ă  la poudriĂšre parisienne. Autour des Champs-ÉlysĂ©es sont Ă©rigĂ©es les premiĂšres barricades. Ouvriers des faubourgs, Ă©tudiants de la Sorbonne, artisans des quartiers populaires, tout le peuple de Paris s’unit dans la rĂ©volte. Dans une joyeuse et exaltĂ©e confusion, les rues de Paris se couvrent de barricades tandis que s’élĂšvent au-dessus de ses toits La Marseillaise, Le Chant du dĂ©part et Le Chant des Girondins. Paris s’embrase et, fidĂšle Ă  son tempĂ©rament frondeur, dĂ©cide de combattre. Il en faut davantage pour inquiĂ©ter le placide Louis-Philippe qui garde une sĂ©rĂ©nitĂ© inconsciente et n’agit qu’à contretemps. La fraternisation entre la Garde nationale et le peuple accĂ©lĂšre brutalement la chute de la monarchie. Pour Ă©teindre l’incendie, le roi se dĂ©cide Ă  renvoyer Guizot, son impopulaire ministre. La mesure reste inefficace et, face Ă  la montĂ©e de la rĂ©volte, Louis-Philippe est contraint d’abdiquer le 24 fĂ©vrier. Victor Hugo, comme d’autres parlementaires, est alors chargĂ© d’annoncer la nouvelle au peuple rĂ©voltĂ© sur la place de la Bastille. Avec courage, au risque de sa vie, le poĂšte affronte le peuple en colĂšre La foule s’ouvrit devant nous, curieuse et inoffensive. Mais Ă  vingt pas de la colonne, l’homme qui m’avait menacĂ© de son fusil me rejoignit de nouveau et me coucha en joue, en criant A mort le pair de France ! – Non, respect au grand homme. » fit un jeune ouvrier, qui vivement avait abaissĂ© l’arme. » 1848 Ă  l’ombre de 1793 Rare photo d’une barricade de 1848 La RĂ©volution de 1848 et la proclamation de la Seconde RĂ©publique 1848-1852 marquent une rupture dans la vie de Victor Hugo. C’est durant ces quatre annĂ©es qu’il devient l’ardent rĂ©publicain que l’histoire retiendra. Bien que l’auteur des MisĂ©rables ait une empathie naturelle pour le peuple, source pour lui d’inspiration littĂ©raire et de prĂ©occupation politique, son adhĂ©sion Ă  la RĂ©publique n’est pas immĂ©diate. Il conserve en effet un jugement critique Ă  l’encontre des mouvements populaires. D’abord mĂ©fiant, il craint de voir le mouvement socialiste, menĂ© par Blanqui et BarbĂšs, s’attaquer Ă  l’ordre social et aux libertĂ©s. Trop imprĂ©gnĂ© de l’histoire de France, il connaĂźt le risque des dĂ©rives dictatoriales quand le pouvoir est laissĂ© Ă  la rue. La Grande RĂ©volution de 1789 imprĂšgne encore les esprits et l’ombre de la guillotine plane sur cette nouvelle rĂ©publique. Il redoute de voir tomber la France dans la barbarie. Cette rĂ©publique ne serait alors qu’un bĂ©gaiement de l’histoire singeant celle de 1793 On peut tomber au-dessous de Marat, au-dessous de Couthon, au-dessous de Carrier. Comment ? En les imitant. Ils Ă©taient horribles et graves. On serait horrible et ridicule. Quoi ! La Terreur parodie ! Quoi ! La guillotine plagiaire ! Y a-t-il quelque chose de plus hideux et de plus bĂȘte ? 93 a eu ses hommes, il y a de cela cinquante ans, et maintenant il aurait des singes. » Hugo n’a ainsi pas de mots assez durs pour la nouvelle Ă©lite rĂ©publicaine, animĂ©e, selon lui, par la mĂ©diocritĂ© et faite de gesticulations, de petitesses
 Les gĂ©ants de 1789 les rapetissent encore plus. MalgrĂ© ses rĂ©ticences, l’atmosphĂšre du temps l’électrise et il prend conscience que cette rĂ©publique peut devenir un formidable outil au service de la libertĂ© et de la justice sociale. Car il aspire Ă  Ă©lever ce peuple Ă©crasĂ© par la misĂšre. Il dĂ©cide de continuer son combat politique sous le nouveau rĂ©gime. Les Ă©lections l’amĂšnent Ă  devenir dĂ©putĂ©. En juin, c’est donc sur les bancs de l’AssemblĂ©e nationale qu’il apprend une nouvelle rĂ©volte du peuple, déçu par les mesures de la nouvelle rĂ©publique. Face Ă  ces troubles qui remettent en cause la lĂ©gitimitĂ© du suffrage universel, Victor Hugo se range du cĂŽtĂ© des forces de l’ordre. Le pouvoir de la rue lui apparaĂźt comme un despotisme aussi intolĂ©rable que la tyrannie d’un seul homme. Il cherche cependant Ă  attĂ©nuer la rĂ©pression sanglante menĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Cavaignac. Conscient de la nĂ©cessitĂ© de faire respecter les nouvelles institutions dĂ©mocratiques, il n’en reste pas moins violemment Ă©prouvĂ© moralement. Enfin cette affreuse guerre de frĂšres Ă  frĂšres est finie ! Je suis quant Ă  moi sain et sauf, mais que de dĂ©sastres ! » C’est dans ce bouillonnement rĂ©volutionnaire et cette ferveur dĂ©mocratique que le poĂšte voit son destin basculer. L’énergie du dĂ©sespoir de ce peuple qu’il admire dĂ©clenche une prise de conscience. Cette rupture historique ne lui apparaĂźt pas nĂ©e du simple hasard mais plutĂŽt ĂȘtre le fruit d’une longue maturation. La RĂ©volution s’inscrit dans le sens de l’histoire elle est l’enfant de la nĂ©cessitĂ© et permet de canaliser l’énergie du peuple afin de l’élever. L’annĂ©e 1848 amorce ainsi sa mĂ©tamorphose vers un rĂ©publicanisme intransigeant. Il devient le dĂ©fenseur d’une rĂ©publique mystique et charnelle qui pose les bases de ses engagements politiques futurs. Dans la confusion des Ă©vĂ©nements, une vĂ©ritĂ© s’impose la RĂ©publique ne lui a jamais Ă©tĂ© extĂ©rieure, elle l’a rĂ©vĂ©lĂ© Ă  lui-mĂȘme.
Le1er juin 1885, la dépouille de Victor Hugo est conduite au Panthéon. Le poÚte est décédé dix jours plus tÎt, à 83 ans, en l'avenue qui porte son nom. Il écrit dans son testament : « Je donne cinquante mille francs [-or] aux pauvres.
Le 3 fĂ©vrier 1829, la premiĂšre Ă©dition, anonyme, du Dernier Jour d'un CondamnĂ© dĂ©route les critiques comment ? On ne connaĂźt mĂȘme pas le crime du personnage principal !... MĂȘme pas un mois plus tard, Victor Hugo ajoute une prĂ©face sous forme de comĂ©die, oĂč il met en scĂšne ses dĂ©tracteurs LE POËTE ÉLÉGIAQUE — Ce criminel, [...] qu’a-t-il fait ? on n’en sait rien. [...] Moi, J’eusse contĂ© l’histoire de mon condamnĂ©. [...] Un crime qui n’en soit pas un. Et puis des remords, [...] beaucoup de remords. Mais [...] il faut qu’il meure. Et lĂ  j’aurais traitĂ© ma question de la peine de mort. LE PHILOSOPHE — Pardon. Le livre, comme l’entend monsieur, ne prouverait rien. La particularitĂ© ne rĂ©git pas la gĂ©nĂ©ralitĂ©. Victor Hugo, PrĂ©face du Dernier Jour d'un CondamnĂ©, 1829. En 1832, Victor Hugo publie une nouvelle prĂ©face, oĂč il rĂ©vĂšle enfin, sans ambiguĂŻtĂ©, son projet littĂ©raire L'auteur [...] avoue hautement que Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© n'est autre chose qu'un plaidoyer [...] pour l'abolition de la peine de mort. Ce qu'il a eu dessein de faire, [...] ce n'est pas la dĂ©fense [...] toujours transitoire, [...] de tel ou tel accusĂ© [...] c'est la plaidoirie gĂ©nĂ©rale et permanente pour tous les accusĂ©s prĂ©sents et Ă  venir. Victor Hugo, PrĂ©face du Dernier Jour d'un CondamnĂ©, 1832. Vous connaissez les types de texte ici, on va plutĂŽt trouver du narratif et du descriptif, mais, pour expliquer et argumenter de façon sous-jacente. On parle ainsi d'argumentation indirecte ou d'apologue quand la visĂ©e argumentative passe par le rĂ©cit. On dĂ©signe souvent Le Dernier Jour d’un CondamnĂ© comme un roman Ă  thĂšse la rĂ©flexion philosophique et politique dirige l'intrigue. Mais on va voir que la question du genre littĂ©raire est plus complexe que cela. En tout cas, on va rester attentifs Ă  tous les arguments de Victor Hugo contre la peine de mort, cachĂ©s dans le rĂ©cit. I — BicĂȘtre. CondamnĂ© Ă  mort ! VoilĂ  cinq semaines que j’habite avec cette pensĂ©e, toujours seul avec elle, toujours glacĂ© de sa prĂ©sence. Autrefois [...] j'Ă©tais un homme comme un autre homme. [...] Maintenant je suis captif [...] d'une idĂ©e [...] Elle est toujours lĂ , [...] comme un spectre de plomb Ă  mes cĂŽtĂ©s. [...] Je n’ai plus qu’une pensĂ©e, qu’une conviction, qu’une certitude condamnĂ© Ă  mort ! DĂšs les premiers mots, le passĂ© s'oppose au prĂ©sent Ă  partir du moment oĂč l'accusĂ© se sait condamnĂ©, il n'est plus un homme, en tout cas, il n'est plus un homme comme un autre homme. Symboliquement, il a quittĂ© le monde des vivants. Victor Hugo joue sans cesse avec les registres littĂ©raires. D'abord le pathĂ©tique, pour inspirer la pitiĂ©, avec des exclamations, rĂ©pĂ©titions, souffrances concrĂštes, effets d'amplification. Mais on tend aussi vers le registre lyrique l'expression poĂ©tique d'une douleur Ă  la premiĂšre personne. On peut mĂȘme parler d'un lyrisme Ă©lĂ©giaque cette douleur est causĂ©e par une perte, un deuil, la fuite du temps, la mort. D'ailleurs, tout le texte sera Ă  la premiĂšre personne. Quel est ce genre littĂ©raire ? Une autobiographie ? Des MĂ©moires ? Non le narrateur n'est pas un auteur rĂ©el, il n'a pas de rĂŽle historique. Ici, le dĂ©roulement des pensĂ©es rappelle le monologue intĂ©rieur et les entrĂ©es Ă  intervalles rĂ©guliers Ă©voquent le Journal, mais on ne trouve pas de dates. Dans ses prĂ©faces, Victor Hugo ne tranche pas, il semble surtout vouloir jouer avec l'effet de vraisemblance Ou il y a eu, en effet, une liasse de papiers [...] sur lesquels on a trouvĂ© [...] les derniĂšres pensĂ©es d’un misĂ©rable ; ou il s’est rencontrĂ© un homme, [...] un poĂšte, [...] [saisi par] cette idĂ©e, [et qui] n’a pu s’en dĂ©barrasser qu’en la jetant dans ce livre. Victor Hugo, PrĂ©face du Dernier Jour d'un CondamnĂ©, Retour en arriĂšre, le narrateur n’est pour l’instant qu’un simple accusĂ©, que le guichetier emmĂšne en salle d’audience C’était par une belle matinĂ©e d’aoĂ»t. Il y avait trois jours que mon procĂšs Ă©tait entamĂ©, trois jours que mon nom et mon crime ralliaient chaque matin une nuĂ©e de spectateurs, qui venaient s’abattre sur les bancs de la salle d’audience comme des corbeaux autour d’un cadavre. C'est ici une premiĂšre rĂ©fĂ©rence au théùtre la peine de mort attise la curiositĂ© et devient un spectacle, on parlerait aujourd'hui d'un théùtre mĂ©diatique. Mais cela va plus loin... Les corbeaux reprĂ©sentent les gens de la cour de justice comme des charognards qui se nourrissent des morts. C'est un premier argument contre la peine de mort elle dĂ©shumanise la sociĂ©tĂ©. Vous allez voir que Victor Hugo utilise souvent des images impressionnantes, car il souhaite convaincre, et persuader. Convaincre, c'est faire appel Ă  des arguments rationnels. Persuader, sollicite en plus des Ă©motions, et donc, des images. Or justement, la comparaison va relier les deux dimensions, regardez derriĂšre l'argument rationnel les hommes ont une fascination pour la mort, on trouve une image Ă©motive les corbeaux se nourrissent d'un cadavre. Le point commun, c'est l'horreur instinctive que nous inspirent les charognards. À ce moment du rĂ©cit, l’accusĂ© n’est pas encore condamnĂ© Ă  mort, mais son destin est dĂ©jĂ  annoncĂ© par cette image de cadavre. Victor Hugo joue avec le registre tragique le hĂ©ros est Ă©crasĂ© par un destin, une fatalitĂ© qui le dĂ©passe. Quand l’accusĂ© arrive Ă  sa place, il se fait un grand silence Au moment oĂč le tumulte cessa dans la foule, il cessa aussi dans mes idĂ©es. Je compris tout Ă  coup clairement [...] que le moment dĂ©cisif Ă©tait venu, et que j’étais lĂ  pour entendre ma sentence. Pour mettre en valeur une idĂ©e, Victor Hugo utilise souvent des effets de contraste violents. L'accusĂ© n'Ă©prouve pas de terreur Ă  ce moment lĂ , parce qu'il regarde une fleur Au bord de la croisĂ©e, une jolie petite plante jaune, toute pĂ©nĂ©trĂ©e d’un rayon de soleil, jouait avec le vent dans une fente de la pierre. C'est ce qu'on appelle la focalisation interne toutes les marques de subjectivitĂ© se rapportent au mĂȘme personnage principal perceptions, pensĂ©es, souvenirs, opinions, sentiments... Le lecteur va vivre l'expĂ©rience du point de vue du personnage principal, qui assiste Ă  son procĂšs sans tout comprendre. Par exemple, il est obligĂ© d’interprĂ©ter les attitudes des personnes prĂ©sentes Les juges, au fond de la salle, avaient l’air satisfait, probablement de la joie d’avoir bientĂŽt fini. [...] Les jurĂ©s seuls paraissaient blĂȘmes et abattus, mais c’était apparemment de fatigue d’avoir veillĂ© toute la nuit. Cette fatigue des jurĂ©s introduit un nouvel argument ils portent une responsabilitĂ© Ă©crasante, d'autant que la mort d'un innocent serait irrĂ©parable. Lors de l'abolition de la peine de mort en France en 1981, Robert Badinter dĂ©veloppe cet argument dans son discours Douze personnes, dans une dĂ©mocratie, qui ont le droit de dire celui-lĂ  doit vivre, celui-lĂ  doit mourir ! Je le dis cette conception de la justice ne peut ĂȘtre celle des pays de libertĂ©. Robert Badinter, Discours Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, 1981. Arrive alors l'avocat qui se veut rassurant — Ils auront sans doute Ă©cartĂ© la prĂ©mĂ©ditation, et alors ce ne sera que les travaux forcĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ©. — Que dites-vous lĂ , monsieur ? [...] PlutĂŽt cent fois la mort ! Avec cette rĂ©action, Victor Hugo veut montrer que la peine de mort n’est pas dissuasive. En fait, la mort est mĂȘme souvent prĂ©fĂ©rĂ©e Ă  la perpĂ©tuitĂ© car elle semble abrĂ©ger la punition, le condamnĂ© ne parvient pas Ă  imaginer sa propre mort Qu’est-ce que je risque Ă  dire cela ? A-t-on jamais prononcĂ© sentence de mort autrement qu’à minuit, [...] par une froide nuit [...] d’hiver ? Mais au mois d’aoĂ»t, [...] un si beau jour, [...] c’est impossible ! Tout Ă  coup, le prĂ©sident invite tout le monde Ă  se lever Une figure insignifiante et nulle, [...] c’était, je pense, le greffier, [...] lut le verdict. [...] Une sueur froide sortit de tous mes membres ; je m’appuyai au mur pour ne pas tomber. Le narrateur ne rapporte pas la sentence, seulement sa propre rĂ©action physique comme assourdi et hors de lui-mĂȘme. Victor Hugo joue ici avec les limites de la focalisation interne. Une rĂ©volution venait de se faire en moi. [...] Je distinguais clairement comme une clĂŽture entre le monde et moi. [...] Ces hommes, ces femmes, ces enfants qui se pressaient sur mon passage, je leur trouvais des airs de fantĂŽmes. DĂšs que la sentence tombe, le condamnĂ© est irrĂ©mĂ©diablement sĂ©parĂ© du monde des vivants. Victor Hugo va d'abord illustrer cette idĂ©e en jouant avec le registre fantastique le surnaturel fait irruption dans la rĂ©alitĂ©. Les vivants sont comme des fantĂŽmes pour le condamnĂ©, et rĂ©ciproquement. Deux jeunes filles me suivaient avec des yeux avides. — Bon, [...] ce sera dans six semaines ! C'est une premiĂšre marque d'humour noir de Victor Hugo la sentence de mort est une bonne nouvelle pour ces jeunes filles. Alors qu'on imagine ces personnages plus aptes Ă  la compassion, au contraire, elles font preuve de sadisme. Dans ces conditions, la peine de mort n'a plus rien de dissuasif. Nous nions [...] qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier le peuple, [...] il ruine en lui toute sensibilitĂ©, partant toute vertu. Victor Hugo, PrĂ©face du Dernier Jour d'un CondamnĂ©, 1832. Avec ces jeunes filles, Victor Hugo montre comment les spectateurs perdent leur humanitĂ© en suivant les exĂ©cutions. Aujourd’hui encore, mĂȘme alors que l’exĂ©cution n’est pas publique, on retrouve cette fascination. Regardez par exemple le moment de la mort de Ted Bundy, un cĂ©lĂšbre serial killer amĂ©ricain. III Dans son cachot, le narrateur essaye de trouver des raisons d’accepter son sort... Les hommes, [...] sont tous condamnĂ©s Ă  mort avec des sursis indĂ©finis. Qu’y a-t-il donc de si changĂ© Ă  ma situation ? Depuis l’heure oĂč mon arrĂȘt m’a Ă©tĂ© prononcĂ©, combien sont morts qui s’arrangeaient pour une longue vie ! Ah, n’importe, c’est horrible ! Ici, Victor Hugo montre la diffĂ©rence entre la conscience de la mort, le concept philosophique, et la sentence de mort, qui produit un isolement radical et dĂ©sespĂ©rant. Vous verrez que sans cesse le condamnĂ© oscille entre espoir et dĂ©sespoir. IV Maintenant, notre condamnĂ© est transfĂ©rĂ© Ă  BicĂȘtre, qui a Ă©tĂ© construit par Louis XIII sur les ruines d'une ancienne forteresse. Le bĂątiment sert d'abord Ă  soigner les soldats invalides, mais on finit par y garder aussi les vagabonds, les aliĂ©nĂ©s, les criminels, et mĂȘme les homosexuels et les prisonniers politiques. Vu de loin, cet Ă©difice [...] garde quelque chose de son ancienne splendeur. [...] Mais Ă  mesure que vous approchez, le palais devient masure. [...] Aux fenĂȘtres [...] de massifs barreaux de fer [...] auxquels se colle [la] figure d’un galĂ©rien ou d’un fou. C’est la vie vue de prĂšs. On entre de plain pied dans le registre rĂ©aliste un regard qui s’attache aux dĂ©tails sordides d’une rĂ©alitĂ© banale. Et c’est lĂ  ce que veut nous montrer Victor Hugo ce cadre atroce constitue le quotidien de tous les prisonniers. V Victor Hugo donne juste assez d'informations sur le condamnĂ© pour favoriser l'identification et garder une dimension universelle Ă  son tĂ©moignage. Ma jeunesse, ma docilitĂ©, [...] quelques mots en latin [...] m’ouvrirent la promenade une fois par semaine [...] et firent disparaĂźtre la camisole oĂč j’étais paralysĂ©. AprĂšs bien des hĂ©sitations, on m’a aussi donnĂ© de l’encre [et] du papier. Le condamnĂ© peut donc Ă©crire son histoire au fur et Ă  mesure. C'est une maniĂšre pour Victor Hugo de prĂ©server la vraisemblance. On se rapproche du genre du journal, mais sans les dates. Notre condamnĂ© Ă  mort rencontre aussi les autres dĂ©tenus, qui lui parlent en argot. Ils m’apprennent [...] Ă  rouscailler bigorne, comme ils disent. [...] Épouser la veuve ĂȘtre pendu, [...] le taule le bourreau, la cĂŽne la mort, la placarde la place des exĂ©cutions. Quand on entend parler cette langue, cela fait l’effet [...] d’une liasse de haillons que l’on secouerait devant vous. C'est un autre trait de l'Ă©criture de Victor Hugo il mĂ©lange les niveaux de langage soutenu, courant, familier. Mais vous allez voir que cela permet surtout d’illustrer des modes d’expression variĂ©s la prose, le vers, l’oral, l’écrit, le chant et mĂȘme la danse. VI Maintenant qu’il a de l’encre et du papier, le condamnĂ© se pose la premiĂšre question de l'Ă©crivain pourquoi Ă©crire ? Pourquoi n’essaierais-je pas de me dire Ă  moi-mĂȘme tout ce que j’éprouve de violent et d’inconnu dans la situation abandonnĂ©e oĂč me voilĂ  ? [...] Ces angoisses, le seul moyen d’en moins souffrir, c’est de les observer. Mais il songe aussi que son tĂ©moignage pourrait ĂȘtre lu par d’autres, et notamment par les juges N’y aura-t-il pas [...] dans cette espĂšce d’autopsie intellectuelle d’un condamnĂ©, plus d’une leçon pour ceux qui condamnent ? Se sont-ils jamais seulement arrĂȘtĂ©s Ă  cette idĂ©e poignante que dans l’homme qu’ils retranchent il y a une intelligence [...] ? Non. Ils ne voient dans tout cela que la chute verticale d’un couteau triangulaire, et pensent sans doute [...] qu'il n’y a rien avant, rien aprĂšs. Ces feuilles les dĂ©tromperont. Pour faire reculer l’ignorance, le scientifique doit regarder de prĂšs la rĂ©alitĂ©, il fait une autopsie. Mais la peine de mort, par son sensationnalisme et son instantanĂ©itĂ©, nous focalise sur la souffrance physique elle cache l’avant et l’aprĂšs. Avant, c’est la souffrance morale, et aprĂšs, c’est aussi une interrogation importante aux yeux de Victor Hugo nul ne sait si l’ñme existe et ce qu’elle devient aprĂšs la mort. La peine de mort nie Ă  la fois l’intelligence humaine et la spiritualitĂ©. VII Le condamnĂ© se met aussitĂŽt Ă  douter de ses raisons d'Ă©crire. Que ce que j’écris ici puisse ĂȘtre un jour utile Ă  d’autres, [...] Ă  quoi bon ? [...] Quand ma tĂȘte aura Ă©tĂ© coupĂ©e, qu’est-ce que cela me fait qu’on en coupe d’autres ? [...] Ah ! c’est moi qu’il faudrait sauver ! C'est un nouvel argument que Victor Hugo prĂ©sente ici une fois condamnĂ©, le coupable ne songe plus qu’à sa propre fin. Le sort des autres lui devient indiffĂ©rent, il n'est plus disponible pour rĂ©parer son crime... Au contraire, le prisonnier Ă  perpĂ©tuitĂ© a le temps de rĂ©flĂ©chir et de s'amender. VIII AprĂšs cette phase de dĂ©sespoir, le condamnĂ© tente de calculer froidement le temps qui lui reste, mais cela finit comme un compte Ă  rebours, d’autant plus oppressant qu’il ne sait plus depuis combien de temps il est enfermĂ©. En tout six semaines. La petite fille avait raison. Or voilĂ  cinq semaines au moins [...] que je suis dans ce cabanon de BicĂȘtre. MalgrĂ© ce qu'annonce le titre, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© ne se dĂ©roule pas sur 24h, mais sur 1 semaine Ă  peu prĂšs, avec en plus des retours dans le passĂ©. Pour Victor Hugo, le plus important, ce n'est pas l'unitĂ© de temps ou de lieu, mais bien l'unitĂ© d'action. IX Le condamnĂ© a fait son testament. Il rĂ©alise qu’il ne pourra rien lĂ©guer Ă  ses proches, car il doit payer son exĂ©cution. La guillotine, c’est fort cher. Je laisse une mĂšre, je laisse une femme, je laisse un enfant. J’admets que je sois justement puni ; ces innocentes, qu’ont-elles fait ? N’importe ; on les dĂ©shonore, on les ruine. C’est la justice. Ma pauvre vieille mĂšre a soixante-quatre ans, elle mourra du coup. [...] Ma femme [...] mourra aussi. À moins qu’elle ne devienne folle. Mais ma fille, [...] ma pauvre petite Marie, qui rit, qui chante Ă  cette heure [...] c’est elle qui me fait mal ! Avec ce registre pathĂ©tique, Hugo veut montrer que la peine de mort enlĂšve dĂ©finitivement une personne Ă  ses proches sans pour autant soulager les victimes. Elle augmente l'injustice en punissant des innocents. X Le prisonnier dĂ©crit son cachot avec minutie. C'est dĂ©jĂ  pratiquement un tombeau. Huit pieds carrĂ©s. Quatre murailles de pierre de taille. [...] Une noire voĂ»te en ogive. [...] Pas de fenĂȘtres, pas mĂȘme de soupirail. [...] Je me trompe ; au centre de la porte, [...] une ouverture [...] coupĂ©e d’une grille en croix. Un jour il entend mĂȘme son guichetier faire une visite guidĂ©e. Le prisonnier est radicalement coupĂ© des autres, ceux qui continuent Ă  vivre, ceux qui continuent d'ĂȘtre humains. Ces cachots sont tout ce qui reste de l’ancien chĂąteau de BicĂȘtre tel qu’il fut bĂąti dans le quinziĂšme siĂšcle par le cardinal de Winchester, le mĂȘme qui fit brĂ»ler Jeanne d’Arc. J’ai entendu dire cela Ă  des curieux [...] qui me regardaient Ă  distance comme une bĂȘte de la mĂ©nagerie. Le guichetier a eu cent sous. Cette rĂ©fĂ©rence Ă  Jeanne d'Arc n'est pas anodine, elle rappelle que la peine de mort sert des intĂ©rĂȘts politiques il faut se dĂ©barrasser d'une personne qui serait gĂȘnante mĂȘme en prison. Cela favorise donc les faux procĂšs. Autre argument le condamnĂ© Ă  mort devient martyr d'une cause. C'est le cas des rĂ©sistants et des libĂ©rateurs, mais Ă©galement des terroristes. Au lieu de faire un exemple, la peine de mort donne le criminel en exemple. Aux yeux de certains [...] l'exĂ©cution du terroriste en fait une sorte de hĂ©ros [...] au service d'une cause. DĂšs lors apparaĂźt le risque [...] de voir se lever [...] pour un terroriste exĂ©cutĂ©, vingt jeunes gens Ă©garĂ©s. [...] La peine de mort nourrit le terrorisme. Robert Badinter, Discours Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, Pendant la nuit, le prisonnier regarde les murs de sa cellule avec une lampe, ils sont couverts d’inscriptions. Ce sont les derniĂšres traces des condamnĂ©s, comme autant d'Ă©pitaphes. J’aimerais Ă  [...] retrouver chaque homme sous chaque nom ; Ă  rendre le sens et la vie Ă  ces inscriptions mutilĂ©es, [...] corps sans tĂȘte comme ceux qui les ont Ă©crits. Pauvre jeune homme ! Que leurs prĂ©tendues nĂ©cessitĂ©s politiques sont hideuses ! La rĂ©fĂ©rence Ă  Jeanne d'Arc permettait Ă  Victor Hugo de prĂ©parer cette dĂ©nonciation les partisans rĂ©publicains comme Jean-François Bories sont sacrifiĂ©s pour des raisons politiques. XII Sous une toile d'araignĂ©e, le condamnĂ© dĂ©couvre encore d’autres noms Dautun, celui qui a coupĂ© son frĂšre en quartiers, et qui allait la nuit dans Paris jetant la tĂȘte dans une fontaine et le tronc dans un Ă©gout ; Poulain, celui qui a assassinĂ© sa femme ; Jean Martin, celui qui a tirĂ© un coup de pistolet Ă  son pĂšre [...] ; Castaing, ce mĂ©decin qui a empoisonnĂ© son ami, et qui, [...] au lieu de remĂšde lui redonnait du poison. Papavoine, l’horrible fou qui tuait les enfants Ă  coups de couteau sur la tĂȘte ! VoilĂ  [...] quels ont Ă©tĂ© avant moi les hĂŽtes de cette cellule. C’est ici, sur la mĂȘme dalle oĂč je suis, qu’ils ont pensĂ© leurs derniĂšres pensĂ©es, ces hommes de meurtre et de sang ! [...] Ils se sont succĂ©dĂ© Ă  de courts intervalles ; [...] ce cachot ne dĂ©semplit pas. Victor Hugo cite les pires crimes mutilations, parricide, empoisonnement avec prĂ©mĂ©ditation, meurtre d'enfants. Est-ce que cela ne justifie pas la peine de mort ? Victor Hugo donne dĂ©jĂ  quelques Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse D'abord, la peine de mort fait disparaĂźtre les criminels, comme la toile d'araignĂ©e qui couvre leurs noms et leurs pensĂ©es. Les causes et motifs des crimes disparaissent avec eux. Seul un vĂ©ritable travail d'analyse donnerait les clĂ©s de comprĂ©hension des crimes, et donc le moyen de les empĂȘcher Ă  l'avenir. Par exemple, Michel Fourniret, incarcĂ©rĂ© depuis 2008, avoue de nouveaux meurtres 10 ans plus tard, et participe Ă  la recherche des corps. La peine de mort aurait laissĂ© ces crimes irrĂ©solus, sans reconnaissance par la sociĂ©tĂ©, ni sanction pĂ©nale, ce qui est le pire cas de figure pour les familles des victimes. Ensuite, si la peine de mort Ă©tait dissuasive, pourquoi ce cachot est-il sans cesse rempli ? Aucun de ces crimes passionnels n'a pu ĂȘtre empĂȘchĂ© par la peine de mort. Ceux qui croient Ă  la valeur dissuasive de la peine de mort mĂ©connaissent la vĂ©ritĂ© humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrĂȘtĂ©e par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-lĂ , sont nobles. Robert Badinter, Discours Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, 1981. Enfin, pour Victor Hugo, jouer avec la vie et la mort, c'est nier l'importance de la spiritualitĂ© dans la vie humaine. Le registre fantastique lui permet d'illustrer cette question que devient l'Ăąme d'un homme exĂ©cutĂ© ? Il m’a semblĂ© tout Ă  coup [...] que le cachot Ă©tait plein d’hommes [...] qui portaient leur tĂȘte [...] par la bouche, parce qu’il n’y avait pas de chevelure. [...] Ô les Ă©pouvantables spectres ! [...] ChimĂšre Ă  la Macbeth ! Les morts sont morts, ceux-lĂ  surtout. [...] Bien cadenassĂ©s dans le sĂ©pulcre. [...] Comment se fait-il donc que j’aie eu peur ainsi ? Ici Victor Hugo est ironique il laisse entendre l'inverse de ce qu'il dit. S'il y a des morts qui reviennent, ce sont justement ceux-lĂ  ceux qui ont eu une mort violente. Et ce n'est pas un cadenas qui les empĂȘchera de revenir ! Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© n'est pas dĂ©coupĂ© en grandes parties, mais on peut retrouver une logique théùtrale avec ici la fin d'un premier acte et un changement de dĂ©cor. On a tous les Ă©lĂ©ments de l'intrigue, le mĂ©canisme tragique est enclenchĂ©. Avec mes vidĂ©os, je vais tenter de suivre ces mouvements. ⇹ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© 📓 Texte intĂ©gral au format PDF ⇹ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© 🃏 Chapitres I Ă  XII axes de lecture ⇹ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© 🎹 Portraits des personnages ⇹ Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© đŸŽžïž Chapitres I Ă  XII diaporama de la vidĂ©o ⇹ Hugo, Le dernier jour d'un condamnĂ© 🎧 chapitres 1 Ă  12 podcast ⇹ Hugo, Le dernier jour d'un condamnĂ© 📚 Chapitres 1 Ă  12 PDF
VictorHugo est un poÚte, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français, né le 26 février 1802 (7 ventÎse an X) à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris.Il est considéré comme l'un des plus importants écrivains de la langue française.Il est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a eu un rÎle idéologique majeur et occupe une place
Bien que Hugo ait lui-mĂȘme qualifiĂ© de "philosophiques" certaines de ses oeuvres - de LittĂ©rature et philosophie mĂȘlĂ©es publiĂ© en 1834 au long poĂšme intitulĂ© "Philosophie" dans Religions et religion 1880 - il ne va pas pour autant de soi que l'on puisse vĂ©ritablement parler d'une philosophie de Victor Hugo. Nietzsche estimait mĂȘme, pour sa part, que "ce qui frappe chez Victor Hugo, qui a l'ambition de vouloir passer pour un penseur c'est l'absence de la pensĂ©e". Faut-il ĂȘtre aussi sĂ©vĂšre ? On serait certes en peine de trouver chez Hugo un enchaĂźnement rationnel des idĂ©es, une argumentation en bonne et due forme ou la construction d'un systĂšme cohĂ©rent, voire des idĂ©es philosophiques entiĂšrement originales. Mais l'omniprĂ©sence, dans sa poĂ©sie comme dans son oeuvre en prose, de thĂšmes tels que Dieu, le mal, la mort, le droit et la morale, l'histoire et le progrĂšs, la fatalitĂ© et la libertĂ© tĂ©moignent de prĂ©occupations authentiquement philosophiques, si l'on admet que la philosophie ne prend pas nĂ©cessairement une forme conceptuelle, mais peut revĂȘtir une forme vivante et s'incarner dans des images. Ombre et lumiĂšre, Dieu et Satan, grotesque et sublime les antithĂšses, dont Hugo use et abuse, ne sont pas de simples figures rhĂ©toriques. Elles expriment une vision du monde conçu comme un Ă©ternel combat entre les forces antagonistes du bien et du mal. Le mal est, chez lui, en premier lieu la consĂ©quence nĂ©cessaire de la crĂ©ation "Dieu donc fit l'univers, l'univers fit le mal1." Le mal s'identifie ici au monde matĂ©riel - "Le mal, c'est la matiĂšre" - et Ă  la nature elle-mĂȘme, "effrayant abĂźme" que Hugo peint sous un aspect lugubre. La loi terrible du monde c'est que "toute la nature que nous avons sous les yeux est mangeante ou mangĂ©e. [...] Notre vie est faite de mort. Telle est la loi terrifiante". On songe Ă  Schopenhauer. Au sinistre tableau des misĂšres de la crĂ©ation, il faut ajouter les maux dont la responsabilitĂ© incombe Ă  l'homme lui-mĂȘme. Qu'il s'agisse des ThĂ©nardier, de Clubin dans Les travailleurs de la mer ou de Barkilphedro dans L'homme qui rit, les romans de Hugo sont peuplĂ©s de personnages dont l'extrĂȘme noirceur tient tout Ă  la fois au dĂ©terminisme du caractĂšre et Ă  l'action des circonstances. S'il y a des Ăąmes davantage prĂ©disposĂ©es au mal et d'autres, pures et lumineuses - comme celles de Gilliatt ou de Gwynplaine -, qui inclinent naturellement au bien, toutefois, quels que soient la triste condition qui est la nĂŽtre et le lot imparti Ă  chacun, l'individu possĂšde un libre arbitre qui lui permet de s'arracher Ă  la fatalitĂ© - l'anankĂš - et d'Ă©couter la voix du devoir "L'homme est une prison oĂč l'Ăąme reste libre." Jean Valjean, aux prises avec sa conscience dans le chapitre "TempĂȘte sous un crĂąne" des MisĂ©rables, en est la figure exemplaire. Offre limitĂ©e. 2 mois pour 1€ sans engagement Mais les hommes sont-ils rĂ©ellement responsables du mal ? Les textes suggĂšrent parfois le contraire "Ah ! vous voulez qu'on soit responsable ? De quoi ? /D'ĂȘtre homme de tel siĂšcle ou bien fils de tel roi ? [...] Est-on donc accusable et sera-t-on puni /De la place oĂč vous met l'obscure destinĂ©e ?" Cette idĂ©e, selon laquelle l'homme naĂźt innocent, est de plus en plus accentuĂ©e chez Hugo, Ă  mesure que s'affirme sa pensĂ©e sociale et politique. Il accuse dĂ©sormais l'ignorance et les circonstances "HumanitĂ©, c'est identitĂ©. Tous les hommes sont la mĂȘme argile. Nulle diffĂ©rence, ici-bas du moins, dans la prĂ©destination. MĂȘme ombre avant, mĂȘme chair pendant, mĂȘme cendre aprĂšs. Mais l'ignorance mĂȘlĂ©e Ă  la pĂąte humaine la noircit." Le mal ne saurait donc ĂȘtre une fatalitĂ©. Et si l'histoire "a Ă©tĂ© presque toujours Ă©crite jusqu'Ă  prĂ©sent au point de vue misĂ©rable du fait ; il est temps de l'Ă©crire au point de vue du principe". L'optimisme de Hugo procĂšde ici de la conviction que l'histoire est en marche, que "Nous allons Ă  l'amour, au bien, Ă  l'harmonie" et que "Les mondes, qu'aujourd'hui le mal habite et creuse /Echangeront leur joie Ă  travers l'ombre heureuse6". La lĂ©gende des siĂšcles sera l'Ă©popĂ©e messianique de ce progrĂšs. Victor Hugo se propose d'y peindre "l'Ă©panouissement du genre humain de siĂšcle en siĂšcle, l'homme montant des tĂ©nĂšbres Ă  l'idĂ©al, la transfiguration paradisiaque de l'enfer terrestre, l'Ă©closion lente et suprĂȘme de la libertĂ©". Sans doute davantage visionnaire que vĂ©ritablement philosophe, le poĂšte se conçoit comme le songeur ou le mage, dont le flambeau Ă©claire cette marche Ă  l'IdĂ©al pour le reste de l'humanitĂ©. Les plus lus OpinionsLa chronique de Pierre AssoulinePierre AssoulineEditoAnne RosencherChroniquePar GĂ©rald BronnerLa chronique d'AurĂ©lien SaussayPar AurĂ©lien Saussay, chercheur Ă  la London School of Economics, Ă©conomiste de l'environnement spĂ©cialiste des questions de transition Ă©nergĂ©tique
\n\n\n \nce que c est que la mort victor hugo
Ceque c’est que la mort. Ne dites pas : mourir ; dites : naĂźtre. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous ĂȘtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fĂȘtes ; On tĂąche d’oublier le bas, la
Pendant que la mer gronde et que les vagues roulent, Et que sur l'horizon les tumultes s'Ă©croulent, Ce veilleur, le poĂšte, est montĂ© sur sa tour. Ce qu'il veut, c'est qu'enfin la concorde ait son tour. Jadis, dans les temps noirs comme ceux oĂč nous sommes, Le poĂšte pensif ne se mĂȘlait aux hommes Que pour les dĂ©sarmer et leur verser son coeur ; Il aimait le vaincu sans haĂŻr le vainqueur ; Il suppliait l'armĂ©e, il suppliait la ville ; Aux vivants aveuglĂ©s par la guerre civile Il montrait la clartĂ© du vrai, du grand, du beau, Etant plus qu'eux tournĂ© du cĂŽtĂ© du tombeau ; Et cet homme, au milieu d'un monde inexorable, Etait le messager de la paix vĂ©nĂ©rable. Il criait N'a-t-on point assez souffert, hĂ©las ! Ne serons-nous pas bons Ă  force d'ĂȘtre las ? C'Ă©tait la fonction de cette voix qui passe De demander Ă  tous, pour tous, Paix ! PitiĂ© ! GrĂące ! Les devoirs sont encor les mĂȘmes aujourd'hui. Le poĂšte, humble jonc, a son coeur pour appui. Il veut que l'homme vive, il veut que l'homme crĂ©e. Le ciel, cette demeure inconnue et sacrĂ©e, Prouve par sa beautĂ© l'Ă©ternelle douceur ; La poĂ©sie au front lumineux est la soeur De la clĂ©mence, Ă©tant la soeur de l'harmonie ; Elle affirme le vrai que la colĂšre nie, Et le vrai c'est l'espoir, le vrai c'est la bontĂ© ; Le grand rayon de l'art c'est la fraternitĂ©. À quoi bon aggraver notre sort par la haine ? Oh ! si l'homme pouvait Ă©couter la gĂ©henne, Si l'on savait la langue obscure des enfers, — De cette profondeur pleine du bruit des fers, De ce chaos hurlant d'affreuses destinĂ©es, De tous ces pauvres coeurs, de ces bouches damnĂ©es, De ces pleurs, de ces maux sans fin, de ces courroux, On entendrait sortir ce chant sombre Aimons-nous ! L'ouragan, l'ocĂ©an, la tempĂȘte, l'abĂźme, Et le peuple, ont pour loi l'apaisement sublime, Et, quand l'heure est venue enfin de s'Ă©pouser, Le gouffre Ă©perdu donne Ă  la terre un baiser ! Car rien n'est forcenĂ©, terrible, effrĂ©nĂ©, libre, Convulsif, effarĂ©, fou, que pour l'Ă©quilibre ; Car il faut que tout cĂšde aux branches du compas ; Car l'indignation des flots ne dure pas, L'Ă©cume est furieuse et n'est pas Ă©ternelle ; Le plus fauve aquilon demande Ă  ployer l'aile ; Toute nuit mĂšne Ă  l'aube, et le soleil est sĂ»r ; Tout orage finit par ce pardon, l'azur. Victor Hugo Mer 31Kl2yb.